Je ne me souviens pas ne pas avoir été féministe. Ma mère ne m’a jamais brodé l’expression girl power sur des couches lavables, mais elle m’a élevée en espérant que je sois aussi forte qu’elle. Nous sommes très différentes : j’ai à la fois sa force et sa fragilité, mais elles ne se dévoilent pas identiquement chez elle et chez moi.
Ce qu’elle m’a surtout légué est l’idée de ne pas se préoccuper de l’avis des autres. Elle est la raison pour laquelle ça ne m’embarrasse pas trop de porter des leggings argentés et du rouge qui dépasse de mes lèvres quand je vais porter les lunchs de mes enfants à l’école, de crier masculinité toxique dans ma ruelle et de chanter toujours trop fort et toujours trop faux partout où je vais. Je fais ce qui me plaît, comme ma mère l’a fait avant moi.
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Ma mère sera toujours féministe. Je ne lui ai jamais demandé pourquoi elle, elle se définissait comme ça; probablement en lien avec sa mère que nous accueillons parfois à la maison, brisée, meurtrie. C’était si naturel, pour moi, de me dire féministe, sans nécessairement comprendre comment cela se manifesterait dans ma vie. Il y a près de quatre ans, lorsqu’un sauveteur à la pataugeoire de mon quartier m’a demandé de cesser d’allaiter, parce que l’acte de nourrir mon fils d’un an était dérangeant selon lui, j’ai constaté la puissance de la solidarité féminine.
J’ai demandé à d’autres femmes, et à des hommes qui reconnaissent l’importance du féminisme dans leur vie, le moment qui a révélé leur sentiment d’appartenance au mouvement.
Iris : « C’est quand j’étais au secondaire. J’étais dans un party avec mon chum de l’époque. Il y avait un gars de ma classe fucking saoul qui s’est mis à crier. Il criait que j’avais des grosses boules, alors je devrais être à genou en train de le sucer. Mon chum avait trouvé ça drôle. J’avais 15 ans. »
Nora : « En première année de droit, un gars avec qui j’étais souvent en désaccord dans nos discussions politiques et idéologiques a lancé quelque chose du genre « je ne suis pas féministe, je suis humaniste », suivi d’un beau monologue sur le fait que l’égalité était déjà atteinte au Québec.
C’est con, mais je n’avais juste pas envie d’être d’accord avec lui sur quoi que ce soit. J’ai peut-être un petit trouble d’opposition, mais ça m’a donné envie de lire sur le sujet, juste pour le contredire. Merci à ce dude. »
Marie-Julie : « Quand j’ai accouché et que ce n’était pas comme je voulais. Personne ne m’a écouté. Ni mon chum, ni les médecins et les infirmières. J’étais seule contre leur avis et j’ai abdiqué. Je m’en suis voulu et je me suis promis de ne jamais laisser d’autres personnes me convaincre de faire quoi que ce soit avec mon corps quand moi, je ne veux pas le faire. Pour moi, c’est ça être féministe, mais je ne fais pas de coming out. Je ne suis pas gênée, mais j’ai l’impression que le terme divise beaucoup les gens. »
Virginie : « Depuis le plus loin que je me souvienne, je me suis considérée féministe. Ça faisait partie de mon éducation familiale “de base”, mais je me rappelle de quelques moments en particulier qui m’ont fait réaliser que ce n’était pas toutes les familles qui “éduquaient” ainsi. Par exemple, quand je me faisais garder chez nos grands-parents et que mon petit frère pouvait me frapper parce qu’il était un gars et avait de l’agressivité à sortir, c’était sain et normal, mais je ne devais pas répondre physiquement parce que j’étais une fille. Et quand, à la fin du primaire et au début de l’école secondaire, je voyais les autres filles rire des jokes vraiment pas drôles des garçons. J’ai réalisé alors que mon rôle changeait : je ne voulais plus participer activement à ces blagues, ni n’être que spectatrice passive.
Ariel : « Je me suis toujours considérée féministe, même avant de vraiment comprendre ce que c’était, parce que c’était important pour mes parents, l’égalité. J’ai deux autres sœurs. C’est à l’université toutefois, pendant un cours sur les identités genrées et sexuelles, donné par Catherine Mavrikakis, que j’ai vraiment eu à la fois la piqûre et la révélation nécessaire pour en faire un combat de tous les instants. »
Nate : « Des rencontres et des discussions avec différentes femmes ont fait de moi qui je suis maintenant. J’aurais pu, sans elles, devenir un red neck. Je suis particulièrement reconnaissant envers une lesbienne militante de Waterloo.
Mais le véritable moment, innommable, est lorsque j’ai été témoin du viol d’une personne dans ma famille. Je ne peux en parler que depuis avoir suivi beaucoup de thérapies. C’est le moment fondateur de ce que je considère être mon rôle d’allié. »
Christophe : « Depuis quelque temps, j’ai arrêté de me dire féministe, en fait. J’ai commencé à entendre trop d’histoires de self proclaimed male feminists qui sont en fait plus trous de cul que le petit macho ordinaire. Des gars au doctorat en études féministes qui sont jaloux maladifs. Des Koriass qui trompent leur baby mama à tour de bras et qui racontent des histoires aux filles. Des Jian Ghomeshi qui prêchent en public, puis tu catches ce que je veux dire.
Je me suis demandé si se dire féministe est simplement une technique de cruise, un branding que je me donne pour avoir l’air plus noble que le voisin? Une façon de m’attirer l’amitié, l’affection, le cul surtout, du type de fille que je préfère?
J’ai réalisé qu’une couple de statuts Facebook et de commentaires online, ça vaut fuck all. Ça aide plus à mon image qu’à l’avancement de la cause pour l’équité.
Suis-je un bon gars parce que j’ai supporté et été disponible pour une fille que j’ai mise enceinte dans sa décision de se faire avorter huit fois dans ma vie?
Au final, je me dis que je ne mérite pas d’être un allié, encore moins un féministe. Mais je me demande vraiment ce que je pourrais faire pour m’en approcher. Je sais aussi que ce n’est pas la job d’une femme de me materner vers le féminisme. Elles ont mieux et plus important à faire. C’est à moi de trouver tout seul. »
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