Les furries, fursuits et autres fursonas existent depuis les balbutiements d’internet. L’anniversaire officiel du réseau, à savoir le 1er janvier 1983, coïncide avec la décennie au cours de laquelle les visiteurs d’une convention de science-fiction américaine ont découvert l’amour qu’ils partageaient pour les costumes d’animaux anthropomorphes pelucheux, appelés « fursuits ».
Cette passion commune a donné naissance à une fandom qui allait connaître une croissance exponentielle au cours des décennies suivantes. Des années plus tard, les furries ont marqué leur territoire aux quatre coins du web, uploadant des comics sur DeviantArt, vendant des accessoires DIY sur Etsy et mettant même sur pied leurs propres groupes antifa pour cibler l’alt-right. À ce stade, aucun thread Twitter n’est vraiment légitime sans l’intervention d’un compte de fursona.
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Si le photographe Tom Broadbent n’est pas lui-même un furry, cela fait quatorze ans qu’il prend plaisir à rencontrer et découvrir les êtres humains cachés sous les têtes géantes. Après avoir établi un lien de confiance avec cette communauté souvent représentée d’une manière peu avantageuse, son premier livre At Home With The Furries, publié en 2018, offrait aux lecteurs un aperçu rare du quotidien banal des celles et ceux qui aiment occasionnellement se déguiser en chien, en chat ou en dragon poilu.
Son dernier livre, At Home With Xavier Fox, suit un renard roux de l’Essex, passionné de sports mécaniques et amateur de bolides japonais de la fin des années 90. On a rencontré Tom pour en savoir un peu plus.
VICE : Salut Tom ! Quand as-tu découvert les furries ? Tom Broadbent : Ma première rencontre avec des furries c’était en 2008, lors d’un événement à Londres appelé RBW — Rather Brilliant Weekend — dans un hôtel de Bloomsbury. À l’époque, je faisais un shooting pour un magazine, je venais de sortir du taxi avec mon appareil photo et j’ai vu un loup d’un mètre quatre-vingt entrer dans le hall de l’hôtel. J’ai été directement subjugué ! Je n’arrivais pas à y croire. J’avais lu des articles sur les furries, je savais qu’ils s’habillaient comme des personnages sortis tout droit de leur imagination, mais voir le phénomène en chair et en os était extraordinaire.
Sur place, j’ai commencé à demander aux furries la permission de les prendre en photo, puis de me parler de leurs noms de personnages et de leurs costumes. Ça a vraiment ouvert une porte. C’était un sentiment formidable. Beaucoup de gens faisaient des trucs un peu stupides, ils jouaient les idiots, agissaient bizarrement dans leurs costumes, bref, des trucs qu’ils n’auraient sans doute pas fait s’ils n’en avaient pas porté un. En les regardant, j’ai tout de suite pensé que c’était une communauté géniale.
**Qu’est-ce qui t’a donné envie de continuer à les suivre ?
**Je me suis dit qu’il y avait sans doute un projet plus profond à aller chercher sous cette horrible carpette d’hôtel, mais je me demandais bien quoi. Puis j’ai pensé : « et pourquoi ne pas les photographier chez eux ? ». La graine a commencé à germer, et après il a fallu gagner la confiance des gens pour qu’ils me donnent leur accord. Pendant une bonne année, j’ai assisté à des rencontres de furries qui avaient lieu environ toutes les trois semaines, pour apprendre à connaître les gens.
« Mon projet porte sur l’aspect visuel mais en soi, ça va au-delà. Il s’agit avant tout de cette idée de joie. Il m’a fallu du temps pour réaliser que c’était le sujet de mon travail. » – Tom Broadbent
Ce que j’ai assez vite remarqué à l’époque, c’était la façon dont les furries étaient dépeints dans les médias grand public. Souvent de manière négative, très injustement. Je voulais que mon projet répare certains torts. Qu’il montre qu’il s’agit d’un groupe de personnes formidables, capables de faire des trucs hyper créatifs.
**D’après toi, pourquoi les gens sont à ce point attirés par les fursonas ?
**Il y a beaucoup de raisons. Certaines personnes y viennent par le biais du jeu de rôle, de l’art, mais en réalité, il s’agit surtout de rencontres et de connexions. Mon projet porte sur l’aspect visuel — les fursuiters — mais en soi, ça va au-delà. Il s’agit avant tout de cette idée de joie. Il m’a fallu du temps pour réaliser que c’était le sujet de mon travail, mais la communauté fursuit, c’est vraiment de la joie pure.
**Cela fait plus de dix ans que tu côtoies cette communauté à fourrure. Est-ce qu’elle a grandi, évolué, ou bien sa beauté réside justement dans le fait qu’elle reste plus ou moins la même ?
**Elle a définitivement changé, comme toute communauté au fil du temps. Il ne fait aucun doute que les conventions vont générer une affluence gigantesque après cette pandémie. Confuzzled, par exemple, qui se déroule à Birmingham en mai. Aux États-Unis aussi, la popularité a vraiment explosé. Deux grandes conventions, l’une à Pittsburgh, appelée AnthroCon, et l’autre dans l’Illinois, Midwest FurFest, ont attiré plus de 10 000 participants. Plus le temps passe, plus cette popularité augmente. Je pense qu’il y a aussi eu du changement d’un point de vue démographique. Il y a de plus en plus de jeunes qui s’y intéressent.
**Tu as déjà évoqué les idées reçues et préjugés des médias, mais ton travail donne-t-il aux personnes extérieures une chance de réaliser que celles et ceux impliqués dans la sous-culture furry ne sont pas une sorte de menace ?
**En 2013, The Sunday Times a présenté mon travail. Si je le dis, c’est parce qu’un certain nombre de furries m’ont écrit par la suite pour me dire que si le magazine Sunday Times abordait le sujet, c’est que ce n’était finalement pas si bizarre que ça. Ils me disaient que ça leur avait donné la confiance nécessaire pour se rendre à leur toute première réunion de furries et se faire des potes. C’était vraiment super touchant. Mon travail normalise cette communauté, mais jamais je ne décrirais les furries comme une menace, ce sont juste des gens qui s’amusent autour d’un intérêt commun.
**Comment as-tu rencontré le protagoniste de ton nouveau livre, Xavier Fox ?
**C’est un ami qui me soutient beaucoup. On s’est rencontrés pour la première fois lors d’un furmeet à Londres, et il a participé avec moi au lancement de mon premier livre au Photobook Café, où aura lieu le prochain lancement. Même s’il n’apparaissait pas dans ce premier livre, il a débarqué en costume. C’était une soirée vraiment spéciale parce que les furries se ramènent en costume et ça donne vraiment vie à l’œuvre, comme lors de certaines de mes expos.
**Qu’est-ce qui rend Xavier si spécial — j’ai vu sur son Instagram qu’il était dingue de voitures ?
**C’est un personnage extraordinaire, très créatif. Je voulais vraiment montrer le spectre complet de son caractère, y compris le fait qu’il passe beaucoup de temps à gérer une entreprise qui œuvre pour le bien commun, notamment en transportant des enfants qui ont des besoins spéciaux. La série se concentre sur son identité et sa merveilleuse vision de la vie. Mais il s’agit aussi de voitures, oui.
J’ai fait une conférence à la Royal Photographic Society le mois dernier à propos du nouveau livre, et pendant que j’y étais, j’ai parlé de ma rencontre avec les furries à Confuzzled en 2019. Là-bas, il y avait un parking séparé rempli de voitures hautes performances. Xavier était venu avec l’une de ses Nissan GTR incroyablement surpuissantes, une caisse tout droit sortie de Fast and Furious. Il y a un sous-groupe dans les furries appelée les Motor Furs, qui rassemble tous les furries passionnés de voitures. Deux fois par an, Xavier loue une piste de course pour eux et 30 à 40 furries se présentent. Pas tous pour conduire, bien sûr.
Beaucoup de furries sont très généreux et font énormément pour leur communauté, sans chercher à recevoir quelque chose en retour. « Tu colles un grand sourire sur le visage de quelqu’un », m’a dit Xavier. « Et tu peux tout de suite voir que sa joie est sincère. C’est très gratifiant ».
At Home With Xavier Fox est disponible depuis le 5 mai
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