Des physiciens du Département de l’énergie du Laboratoire national américain Oak Ridge (ORNL) ont découvert un nouvel état de l’eau qui ne peut être décrit comme solide, liquide ou gazeux. Il s’agit d’un état très particulier, quoiqu’assez commun, dans lequel les molécules sont obligées de s’adapter à une pression et un confinement extrêmes. Les effets quantiques règnent en maîtres sur ce phénomène, surpassant les catégories de la physique classique que nous manions d’ordinaire.
Le travail de l’équipe a été publié dans la dernière publication de Physical Review Letters.
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Tout d’abord, il faut imaginer une molécule d’eau : deux atomes d’hydrogènes liés à un atome d’oxygène. Cette molécule est placée dans un tunnel naturel minuscule formé par les cristaux hexagonaux du béryl minéral. Le canal, qui assez grand pour accueillir une molécule d’eau (mais pas deux), mesure seulement 5 angströms de long, soit environ un dix-milliardième de mètre. Selon les physiciens, ce genre de confinement est assez répandu dans l’environnement, en particulier dans les sols, les interfaces minérales et les parois cellulaires.
Les atomes eux-mêmes ne mesurent qu’un angström de long, de sorte que les canaux de béryl sont pour eux des sortes de camisoles de force. Prise au piège, la molécules d’eau subit un effet tunnel et devient en quelque sorte « délocalisée ». Comme nous le savons, dans le monde quantique, les molécules et leurs atomes constitutifs sont capables d’exister sous plusieurs états différents à la fois.
Comme le montre le schéma ci-dessus, les atomes d’hydrogène de la molécule d’eau prennent six orientations symétriques différentes simultanément, l’atome d’oxygène restant piégé au milieu d’eux.
Normalement, une molécule d’eau comporte un atome d’oxygène au milieu de atomes d’hydrogène répartis du même côté, selon un arrangement en forme de « >. » Dans un tunnel de béryl, cette configuration peut emprunter six configurations différentes correspondant aux six murs du tunnel de forme hexagonale. Tant que l’atome d’hydrogène n’a pas assez d’énergie pour changer de configuration, il demeure dans sa configuration d’origine. Sur le principe. Mais dans le monde quantique, les choses sont bien plus étranges que cela.
En effet, nous nous retrouvons avec un atome d’oxygène central et un anneau entourant des sortes de « pics flous. » Les atomes d’hydrogène ne sont plus appariés à l’atome d’oxygène comme des antennes, mais existent désormais dans une sorte de suspension de toutes les orientations possibles qu’ils pourraient emprunter. De plus, leur température augmente. Les atomes d’hydrogène passent de configuration en configuration par effet tunnel.
Les physiciens de l’ORNL ont pu observer ce phénomène en exploitant la diffusion neutronique. Ici, les neutrons sont utilisés pour sonder des structures subatomiques, et non pas pour sonder les électrons et les photons lors de procédés d’imagerie optique et radiographique. Les neutrons, comme leur nom l’indique, sont électriquement neutres, ce qui est très commode : ils ne sont pas percutés par des matériaux qui pourraient se trouver entre l’observateur et l’entité observée. Leur absence de charge électrique signifie également qu’ils n’interfèreront pas avec les particules chargées dont ils permettent l’observation.
La diffusion neutronique est une technique essentielle pour comprendre les propriétés des matériaux à l’échelle atomique, et l’ORNL est bien équipé pour la réaliser grâce à l’accélérateur de particules Spallation Neutron Source. Celui-ci a permis aux physiciens d’observer pour la première fois l’effet tunnel sur des molécules d’eau. Une seconde série d’expériences a été menée en utilisant des neutrons à haute énergie de l’ISIS Neutron Facility au Laboratoire Rutherford Appleton au Royaume-Uni.
Ce nouvel état de l’eau possède des propriétés particulièrement intéressantes. D’une part, le centre de gravité de la molécule est déplacé des deux atomes d’hydrogène périphériques à son atome central d’oxygène. (Plutôt que d’être répartis d’un seul côté, les atomes d’hydrogène sont maintenant disposés autour d’un cercle.)
Plus intéressant encore, la molécule d’eau, dans cette configuration, perd son moment dipolaire électrique. Normalement, une molécule d’eau est chargée plus négativement au niveau de son coin d’oxygène (le sommet du <) et chargée de manière plus positive au niveau des atomes d’hydrogène. Dès lors que ces atomes sont également répartis de l’atome d’oxygène, cette asymétrie n’existe plus.
Une fois que la molécule a perdu son moment dipolaire, elle n’est plus disposée à se lier avec d’autres atomes/molécules. La consequence est que l’eau n’est alors plus un solvant universel : pourtant c’est cette propriété qui permet au monde biologique de tourner plus ou moins rond. Dans ces conditions, il est difficile de décider s’il faut appeler cet état de l’eau « super-pur, » ou simplement « mort. »