Deux mois dans un camping-car sur les routes de France

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Franceland

Deux mois dans un camping-car sur les routes de France

Nos journalistes de « Franceland » reviennent sur ce qu’ils ont vu de la province en arpentant ses villages.

À partir de ce soir sur notre chaîne de télé VICELAND, nous diffuserons le documentaire « Franceland », où nous suivrons les aventures en terres françaises de nos trois présentateurs et collaborateurs Christelle, Sylla et Adrien. Avec eux, nous découvrons la jeunesse de France dont on ne parle jamais : celle de la Creuse, des Pyrénées, du Nord ou de la Bretagne rurale. On revient aussi sur la précarité dans le pays, la crise des migrants, et les divers espoirs et désillusions de la jeunesse à l'heure où le pays s'apprête à élire un nouveau président tandis que le Front national atteint plus de 30 % des intentions de vote.

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En guise d'introduction, nous avons demandé à nos trois contributeurs de nous raconter ce qu'ils avaient vu lors du tournage, réunis à trois dans un vieux camping-car pété pendant 60 jours.

« Franceland » sera diffusé le 19 janvier à 21 heures, sur VICELAND. Soyez devant.


Christelle : On a passé deux mois sur la route. On a dormi dans le camping-car et chez l'habitant, et ce mode de vie est devenu épuisant à partir de la troisième semaine. Il faut dire que le camping-car n'était pas des plus modernes. Ni des plus neufs d'ailleurs – du coup, tout prenait plus de temps.

Sylla : En vrai, on ne dormait pas tous les soirs dans le camping-car. Heureusement pour nous, on avait un deuxième van avec nous, avec une équipe technique qui nous suivait. Je dirais qu'on a dormi une nuit sur trois dans le truc. Et c'était pourri à chaque fois. Le reste du temps, c'était un peu comme partir en tournée avec son groupe : on bouffait de la junk food tous les jours en roulant dans un van pérave, avec des potes autour.

Christelle : On a visité la région du Nord, les Pyrénées Orientales, la Dordogne, la Bretagne, ou la région Rhône-Alpes, entre autres. Le truc que j'ai appris de cette France-là, c'est qu'il n'y a pas de France, justement. Il y a des Frances, avec plusieurs vitesses, plusieurs niveaux de vies.

Adrien : Les différences entre la vie à la campagne et la vie en ville ne sont plus si énormes aujourd'hui, selon moi – pour peu qu'on ait l'habitude de sortir de chez soi. Mais évidemment, il y a beaucoup plus de gilets de pêche et de jeans mal coupés en dehors de Paris. Partout toutefois, les gens sont avenants et pensent que toute personne munie d'une caméra fait partie d'une « équipe de tournage de France 3 Régions ».

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Christelle : On est notamment passés par le département de la Creuse, et celui-ci est très fidèle à sa réputation : complètement vide. Densité de la population ultra-faible, on peut marcher des heures sans rencontrer personne. Les routes sont tortueuses, on trouve encore des charrettes dans les champs, et impossible de capter quoique ce soit là-bas – pas de Wi-Fi, peu de téléphone. C'est un endroit hors du temps, qui a échappé aux lois de la mondialisation. À titre indicatif, il n'y a qu'un seul McDonald's dans tout le département. Il est à Guéret, le chef-lieu. Une fois, aux alentours de 21 heures et tandis qu'on ne trouvait rien à bouffer dehors puisque tout était fermé, on s'est pointés dans ce McDo. Là, étrangement, il y avait un monde fou. Un truc presque dystopique ; les clients avaient l'air aux anges de se retrouver à plein dans un même endroit.

Adrien, Sylla et Christelle sur un bateau. Toutes les photos sont de Hugo Denis-Queinec.

Sylla : La Creuse, c'est probablement l'endroit le plus « vieille France » qu'on a traversé. On s'est arrêtés dans un hôtel qui ressemblait à l'Auberge Rouge, avec une patronne qui nous faisait croire qu'elle préparait des plats du coin alors qu'elle nous filait des surgelés. Son bar était incroyable. Sur les murs étaient disposés tous les écussons de tous les régiments qui étaient passés s'entraîner dans la base militaire d'à côté. Je me souviens également d'y avoir croisé un mec bourré qui insultait son berger allemand sous prétexte que celui-ci « gueulait », avant de reprendre la route avec 3 grammes dans le sang.

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Christelle : Plus au sud et à l'opposé en termes de souvenirs, les Pyrénées-Orientales ont été pour nous trois une sorte de paradis : ciel bleu, palmiers, montagne et mer tout à la fois. Les paysages étaient beaux, variés et les habitants particulièrement accueillants – et fêtards. On a même eu la chance de faire un peu de trekking pour trouver une source d'eau chaude dont notre ami Mathias nous avait parlé. On a certes pris mille ans à débusquer l'endroit mais c'était ouf : des dizaines de hippies nus sous des cascades d'eau chaude. Et nous.

Sylla : Du coup les trois-quarts de l'équipe se sont également foutus à poil, sauf Adrien et Fred, le réalisateur.

Christelle : Le soir, on se faisait des apéros entre nous. On est allés en boîte une seule fois, à Perpignan ; comme je suis un peu une snob niveau musique, je me souviens avoir été hermétique au truc pendant les vingt premières minutes. Puis, après un verre puis deux, j'étais sur la piste de danse avec Adrien et Sylla.

Adrien : Les jeunes de France répondent de diverses façons à l'héritage nauséabond laissé par les baby-boumeurs. L'establishment et l'intelligentsia sont leurs cibles, la plupart du temps. Même si le rapport de classes tend à s'estomper, ils en ont globalement tous après les « élites bourgeoises ». Certains virent à l'extrême gauche comme les zadistes, d'autres à l'inverse font le choix d'intégrer les Identitaires. Mais dans tous les cas, ce ne sont pas les débiles que l'on dépeint parfois. Notre génération souffre du syndrome  blank generation : inquiète et souffrant de ne pas être représentée. Si les smartphones pouvaient sauver la société, ça se saurait.

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Christelle : Le voyage m'a également permis de vérifier que la France est sans doute l'un des pays qui aiment le moins ses jeunes. Évidemment dans notre malheur, on a de la chance : on n'a pas à s'endetter pour pouvoir poursuivre des études supérieures comme dans les pays anglo-saxons. En revanche, le système éducatif est clairement à deux vitesses : il y a ceux qui ont fait des écoles, et les autres… Et dans le même temps, les hommes politiques, dans une manœuvre électorale, parlent en priorité à l'électorat vieillissant, se désintéressant des jeunes et des problématiques qui les concernent. Le jeune Français qui vit en dehors de l'Île-de-France a évidemment plein de talents à revendre, genre vraiment. Cependant, à force d'être mis sur le banc de touche d'un point de vue social et économique, et las de voir que son pays ne s'adresse qu'aux vieux, il se replie sur soi.

Adrien : Le mec qui m'a le plus marqué du voyage, c'est ce type hyper babos qui travaille sur un chantier naval de Bretagne. Je ne suis pas fan des babos c'est un fait, mais le mec savait coudre et monter une voile de bateau tout seul. Moi tu vois, j'ai du mal à recoudre un bouton.

Christelle : Je me souviens du chasseur des Landes. Il devait avoir mon âge, 23 ans, et il avait une putain de personnalité. Avant de débarquer, je m'attendais à tomber sur un mec un peu rustre, qui allait me fatiguer en deux-deux. Mais en réalité, même si je ne partageais pas certaines de ses idées, il m'a permis d'envisager la chasse d'une manière différente.

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Sylla : La jeunesse France de 2017 est une sorte de mélange entre traditions et connexion ADSL. Par exemple, le jeune chasseur que l'on a croisé perpétuait les traditions de son grand-père en chassant des oiseaux à l'aide d'une espèce de filet de badminton, tout en checkant en même temps son groupe Facebook de chasseurs pour savoir d'où viendraient les migrations. Je trouve ça cool de voir des gens qui utilisent les nouvelles technologies pour améliorer un truc qui existe déjà. C'est autre chose que de poster une photo hi-res de son bo bun.

Adrien : On n'a pas ressenti de réelle animosité vis-à-vis de nous journalistes, plutôt une forme de méfiance envers les « médias », par laquelle s'exprime une frustration, une haine de ce qu'ils imaginent être le « show-biz parisien ». Bien évidemment, un mec comme le maire de Béziers Robert Ménard, proche de Marine Le Pen, n'a pas été facile à manœuvrer – VICE étant un journal de « socialo-traîtres » selon lui. Il en a d'ailleurs profité pour nous démonter. Dans le même genre à Lyon, les mecs d'extrême droite de Génération Identitaire ont exercé une forme de contrôle des propos de tous leurs membres. Là-bas, l'atmosphère était rance. Heureusement qu'ils servaient des bières pour se détendre.

Christelle : À l'opposé, au camp de réfugiés de Grande-Synthe dans le Nord, j'ai sympathisé avec un réfugié kurde irakien. Tous les deux, on rigolait bien et j'ai senti chez lui une envie d'apprendre et une vulnérabilité qui m'ont beaucoup touchée. Lorsque je suis partie, il m'a serrée dans ses bras de toutes ses forces – et m'a offert une pomme. En toute honnêteté, il m'a peut-être mieux traitée que la majorité des mecs que j'ai rencontrés en 2016.

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Avec lui, j'ai pu faire une forme de parallèle avec le parcours de mon père, même si ce dernier n'a jamais été réfugié politique. Il n'en demeure pas moins que c'est un immigré. Et l'immigration en tant que contingence ça va, mais dès que c'est une nécessité politique ou économique, elle implique déracinement, traversée, et souvent aliénation une fois arrivé dans le pays d'accueil. C'est une expérience douloureuse et complexe. Il faudrait recentrer le débat autour de valeurs humaines comme l'empathie, la compréhension – tout en réussissant à ne pas le dépolitiser pour autant, et regarder les choses telles qu'elles sont.

Sylla : On se reconnaît dans tous les gens qu'on a rencontrés, parce qu'ils se posent les mêmes questions que nous, Parisiens. « Comment je vais payer mon loyer ? », « comment je vais payer mes impôts ? », « j'ai pas assez de blé », « je m'épanouis pas dans mon boulot », etc. Le truc déprimant, c'est qu'en France tout le monde a justement les mêmes problèmes – quelle que soit ta classe socioculturelle, ta région ou ta ville. Les Trente Glorieuses sont très loin de nous, quoi.

Adrien : La France peut être horrible de naïveté, parfois. Les gens gueulent contre la perte d'une « identité » – genre : religion, culture, paysages martyrisés, etc. – mais dans le même temps, ils veulent tous vivre dans un paradis gris fait de bagnoles bon marché et de centres commerciaux. Le problème vient peut-être de là : le fossé entre ce que les gens attendent de la vie et ce qu'ils désirent vraiment.

Christelle : Ce que le parcours m'a confirmé au sujet de la France d'aujourd'hui, c'est une forme de désenchantement. Plus personne ne fait confiance aux institutions, au moment même où les élections présidentielles approchent. Avec Internet et le déclin de l'Europe, on revit un peu l'ère du soupçon de la fin du XIXe siècle avec Marx, Freud ou Nietzsche. On ne sait plus qui croire. Et pendant ce temps, chaque discours prononcé, chaque commentaire fait, reste mémorisé quelque part sur le Web, à jamais.

Sylla : Même si l'on sent que la France a perdu de sa superbe d'un point de vue du rayonnement international, les Français resteront toujours ces Gaulois râleurs et vanneurs, et le demeureront sans doute jusqu'à la fin du monde. Je pense qu'on devrait faire profiter de notre gauloiserie au monde entier : on a plus trop d'argent certes, mais on sait toujours déconner.

À part ça, le truc que m'a définitivement appris ce long séjour, c'est que la France entière déteste les Parisiens.

« Franceland » sera diffusé ce soir 19 janvier à 21 heures sur notre chaîne de télé VICELAND.