Dévastée par la famine, la Somalie est au bord du gouffre

Trois mois après l’avertissement lancé par les Nations unies concernant un risque imminent de famine en Somalie, les ONG font face à une immense crise humanitaire sur le terrain.

La sécheresse a ravagé la végétation et les points d’eau, et la faim guette. Plus de la moitié du pays – 6,2 millions de personnes – est en état d’urgence humanitaire et risque de mourir de faim. Et près d’1,4 million denfants pourraient souffrir de malnutrition sévère en 2017, selon l’UNICEF – 50 pour cent de plus que ce que l’ONG prévoyait en janvier.

Videos by VICE

Avril aurait dû être l’un des mois les plus pluvieux de la saison, mais la plupart des Somaliens n’ont quasiment pas vu une goutte ces derniers temps. Selon des estimations pour mars et avril, les habitants ont vu très peu, voire pas du tout d’eau tomber du ciel.

Warsama Mahad, 16 ans, dans le camp de fortune où il vit avec son frère et quelques éleveurs.

Trois saisons extrêmement sèches ont eu un impact catastrophique sur la qualité de vie des familles. Environ 60 pour cent des Somaliens vivent du bétail, mais les terres brûlées, sur lesquelles les animaux comptent pour manger, ne produisent plus aucune végétation. Sur 18 millions de vaches, moutons et chèvres, 10 millions sont morts.

Un cadavre de chèvre à Puntland, dans le nord-est de la Somalie. Le bétail est ce que la Somalie exporte le plus, mais plus de la moitié des animaux sont morts.

« C’est de la survie », a déclaré à VICE News Abdul Qadr Hussain, un pasteur de 42 ans. Hussain a dû déplacer son cheptel de 500 kilomètres, depuis sa ville natale de Mudug, au centre de la Somalie, à la recherche de pâturages. Seules 80 chèvres sur les 600 qu’il possédait ont survécu aux trois années de sécheresse consécutives, et la moitié de celles qui restent sont malades.

« C’est un endroit où la vie d’un enfant de deux ans est perdue. Ils se nourrissaient grâce aux animaux – maintenant, nous devons mixer le sucre avec l’eau pour les enfants. Nous ne trouvons pas assez de nourriture pour vivre ».

Pour sauver son troupeau, Abdul Qadr Hussain (au centre) a voyagé depuis sa ville natale de Mudug, située au centre de la Somalie.

Comme beaucoup d’éleveurs forcés à l’exil, Abdul a laissé sa femme et ses 16 enfants derrière lui. « Quand nous nous reverrons ? Seul Dieu sait. Je sais juste que neuf d’entre eux sont morts, mais la mort arrive toujours, à moins que Dieu ne l’empêche. »

Abdul voyage avec un groupe de cinq autres éleveurs. Ils dorment sous les rares buissons trouvés sur leur chemin et mangent du riz une seule fois par jour. Malgré la chaleur suffocante de 40 degrés, leur unique source d’eau est stockée dans quelques jerrycans. Fin mars, les animaux des éleveurs ont été soignés et nourris par les Nations unies, qui a déployé 120 équipes de vétérinaires aidant plus de 8 millions de troupeaux dans le pays. Le but est de garder ces élevages en vie afin que les familles puissent se nourrir.

Des vétérinaires administrent des médicaments à l’un des 8,1 millions d’animaux encore vivants dans le pays, afin que les familles puissent se nourrir.

Quand la famine a frappé la Somalie en 2011, le manque de réactivité de la communauté internationale a été critiqué. 260 000 personnes ont perdu la vie. Cette fois-ci, l’aide humanitaire est arrivée plus vite. Les Nations unies ont réussi à collecter 70 pour cent des 750 millions d’euros demandés en juillet, un don « sans précédent ».

Les ONG se concentrent sur la salubrité de l’eau, la distribution de nourriture, les transferts d’argent et les traitements contre le choléra. La Somalie connaît sa pire épidémie de choléra depuis cinq ans – plus de 618 personnes en sont mortes depuis 2017, un chiffre qui pourrait doubler d’ici la fin juin selon l’OMS.

Le point central de l’épidémie se situe autour de la capitale Mogadiscio, au centre-sud de la Somalie, où des milliers de personnes vivent dans des camps de fortune et dans des conditions sanitaires déplorables. Mais l’aide humanitaire doit aussi toucher les campagnes, plus difficiles à atteindre. 90 pour cent de ses habitants ont pourtant besoin de nourriture de façon urgente.

Muna Hashid Mohammed, 23 ans, et Abdi Khaliq, son bébé d’un an. Contrairement aux autres éleveurs, c’est la première fois que la sécheresse la force à quitter sa région – et ses deux enfants plus âgés, restés avec leurs grand-parents.

Muna Hashid Mohammed vit dans les plaines avec son troupeau, son mari et leur bébé d’un an. C’est la première fois que la famine pousse cette mère de 23 ans à quitter sa maison de Garowe, à 400 kilomètres de là. Elle y a laissé ses deux enfants plus âgés avec leurs grands-parents. Tous ses chameaux sont morts, et les chèvres encore en vie sont trop malades pour marcher. Mais la famille ne doit pas bouger pour l’instant.

« Parfois nous n’avons pas de nourriture », confie-t-elle. « Les organisations humanitaires sont venues dans les villes, pas dans les campagnes – c’est ce que nous avons entendu. Il y avait des camions pleins qui passaient à côté, mais aucun n’est venu jusqu’à nous. »

Sophie Eastaugh est journaliste freelance. Suivez Sophie sur Twitter : @sophieeastaugh. Toutes les photos sont de l’auteur.