Devenir agent de joueur est un peu plus galère qu’on ne le croit

Dimanche 10 janvier, stade Yves-du-Manoir, à Colombes. Le terrain de l’équipe première du Racing-Métro est vide, mais sur une pelouse annexe se joue le derby parisien opposant les Espoirs du club des Hauts-de-Seine à ceux du Stade Français. Les Franciliens contre les Parisiens de moins de 22 ans renforcés par quelques professionnels. La minuscule cahute qui fait office de tribune est pleine. Certains professionnels, tels Rémi Bonfils et Henry Chavancy, habitués du Top 14, sont présents aux côtés des parents et des potes de ceux qui représentent la relève.

Et puis, un peu à l’écart, il y deux mecs qui observent les 30 joueurs tout en se faisant des messes basses. Ils parlent entre eux, serrent des mains et écrivent dans de mystérieux carnets de notes. Ce sont deux jeunes agents de joueurs qui ont accepté d’expliquer un peu leur activité naissante. Et il ne suffit pas de connaître ou d’être bon pote un futur crack pour être agent de joueur.

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Après trois ans de collaboration, sous forme de stage, dans une entreprise spécialisée dans la gestion des intérêts des sportifs, Sébastien et Arnaud ont décidé de monter leur propre entreprise d’agent sportif. Mais avant ça, il a fallu passer par la case concours pour obtenir la licence d’agents de joueurs indispensable pour signer des contrats. Une sélection drastique pour moins de 20 % de reçus seulement : des épreuves de droit général, tout d’abord, puis, pour les candidats admissibles, un examen spécifique à chaque sport qui porte sur la réglementation (contrat, transferts, commission…). Tendu. Les deux potes qui se sont connus lorsqu’ils étaient plus jeunes sur un terrain de rugby, et sur les bancs de leur école de commerce, ont réussi le concours et ont pu lancer leur activité.

« On voulait tous les deux travailler dans le sport, explique Arnaud. Nous n’aurions jamais pu toucher au haut niveau en tant que joueur et le métier d’agent de joueur nous permet de travailler dans le rugby et de toucher le haut niveau. » Mais dans un milieu dominé par quelques agents très influents, la tâche n’est pas aisée. Il est très difficile de se faire connaître et de se constituer un réseau. La patience est donc de mise.

Pour deux jeunes qui débarquent, c’est un peu la guerre dans ce milieu, parfois décrit comme opaque : « Certains agents ont une ancienneté qui leur permet d’avoir des relations privilégiées avec des entraîneurs, poursuit Arnaud. Ils prennent un maximum de joueurs avec eux et les placent dans des clubs sans prendre en compte l’intérêt du joueur et sans effectuer de suivi ». Car le métier d’agent sportif ne se résume pas à placer des joueurs aux quatre coins de la France et toucher une commission. Il faut se tenir au courant de l’évolution de ses aptitudes physiques et rugbystiques et créer une relation de confiance avec les joueurs comme les clubs.

On a cherché à rencontrer des agents plus expérimentés pour avoir leur avis. En vain. Du coup, le seul avec qui on a réussi à avoir un contact c’est Sidney Broutinovski, le boss de l’Ecole des agents de joueurs de football. On vous voit venir, le foot ça n’a rien à voir avec le rugby. On est tout à fait d’accord mais le métier d’agent reste le même, peu importe le sport. Sauf qu’il y a bien plus d’argent en jeu dans le ballon rond. Et force est de constater que Sydney a un petit peu plus de bouteille qu’Arnaud et Sébastien. « Le sportif reste un client, précise l’intéressé, et s’il n’est pas satisfait des services de son agent, il est en droit d’en changer. »

« On travaille dans l’intérêt des joueurs, on est proche d’eux, détaille Sébastien. On va les voir, on essaie d’analyser l’évolution de leur jeu, de leurs qualités, leurs défauts et leur état d’esprit. » Cette démarche leur permet de mieux valoriser les joueurs auprès des clubs et de répondre parfaitement à leurs besoins. « On s’est toujours dit qu’on ferait tout pour combattre l’image de l’agent voyou. Nous on a été joueur de rugby, éducateur, arbitre, c’est notre passion, on aime ce jeu », poursuit Arnaud.

Dans cet univers concurrentiel, Arnaud et Sébastien se sont dirigés naturellement vers les jeunes joueurs à fort potentiel, peu connus du grand public : Etienne Dussartre (Racing-Métro), Maxime Gau (La Rochelle), Eliott Roudil (La Rochelle) ou encore Mike Tadjer (Agen) par exemple. Alors les deux jeunes agents se déplacent assez souvent pour rendre visite à leurs joueurs, font en sorte de leur fournir des équipements et s’entretiennent régulièrement avec eux. « On est aussi là pour protéger le joueur ».

Comme bon nombre de leur collègues, Sébastien et Arnaud vont à la rencontre des rugbymen. Ça s’appelle la prospection. Et si le joueur a déjà un agent et qu’il en est satisfait, il n’y a aucune raison qu’il aille voir ailleurs. « Contrairement à d’autres, quand on rencontre un joueur, on ne lui vend pas du rêve pour l’attirer, note Sébastien. Il y a des joueurs qui attendent d’un agent qu’il les fasse briller alors que seules ses performances sur le terrain lui permettront d’atteindre le très haut niveau ».

Le travail des deux agents se divise en trois parties : une première qui s’étale du mois d’août au mois de novembre et qui consiste à repérer des joueurs qu’ils tenteront de ramener dans leur giron. « On regarde énormément de matches amicaux durant l’été, juste avant la reprise des championnats, explique Sébastien. On va aussi à la rencontre des entraîneurs pour se faire connaître et solidifier notre réseau. C’est à ce moment-là qu’ils approchent les joueurs et nouent des contacts avec les entraîneurs pour leur expliquer leur philosophie et leur façon de travailler. « Oui mais au final, on la fait toute l’année la prospection, elle est juste plus intense durant l’intersaison », tempère Sébastien.

Dès le mois de novembre, alors que la période des mutations (mai-juin-juillet selon les divisions) approche, c’est le moment de placer les joueurs dont Sébastien et Arnaud gèrent les intérêts. Ils font la tournée des clubs pour leur proposer des joueurs et, en fonction de leurs besoins, ils les guident vers certains profils. « On se porte garant du niveau du joueur auprès des clubs. Tout doit se faire dans la confiance et c’est dans notre intérêts de ne pas mentir afin de collaborer sur le long terme avec un club ». Si ce dernier est intéressé, les agents, le joueur et les responsables du club se retrouvent autour d’une table pour négocier et signer le contrat. A noter que, selon la législation en vigueur, les deux agents ne peuvent pas toucher une commission supérieure à 10 % du montant du salaire annuel brut.

Les deux compères travaillent aujourd’hui avec 80 joueurs dont une dizaine vient de l’étranger. Ce sont principalement des joueurs évoluant dans les catégories de jeunes et en Pro D2. Mais ils commencent à faire leur trou dans le paysage des agents puisqu’ils ont fait signer Doug Wooldridge comme joker médical de Davit Zarakashvili à Clermont en Top 14.