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Tout plaquer et devenir guide touristique en Corée du Nord

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Le secret qui entoure la Corée du Nord est persistant, mais les documentaires télé qui cherchent à s’y introduire sont hélas toujours chiants à souhait. On y voit souvent les mêmes interdits « révélés » par les mêmes ambitions journalistiques qui cherchent à percer un mystère dont tout le monde est déjà plus ou moins au courant. 

En réalité, rien qu’une vidéo d’accordéonistes de Pyongyang qui jouent Take On Me en dit déjà plus, notamment que la musique occidentale de qualité supérieure a introduit le pays. Seulement voilà, ça reste quand même compliqué de choper de l’info de qualité sans entrer en contact avec quelqu’un sur place – chose relativement impossible. Pour des raisons évidentes, les photos qu’on trouve sur les réseaux et qui sont géolocalisées en Corée du Nord sont quasi toutes postées par des touristes. Dans ce flux de photos pas dingues, celles que Zoe Stephens (27 ans) poste sur son compte Instagram détonnent pas mal et offrent un aperçu plus rare du pays ermite. Originaire du Royaume-Uni et résidant en Chine, Zoe est guide touristique en Corée du Nord. À ses heures perdues, elle alimente aussi sa chaîne YouTube de vidéos de bouffe, d’animaux ou de timelapses un peu flous. Depuis quelques années, le nombre de touristes en Corée du Nord augmente alors que certain·es se demandent s’il ne s’agirait pas là d’une autre forme de propagande de l’Etat totalitaire. Pour Zoe, voyager en Corée du Nord peut être tout à fait éthique.

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Actuellement bloquée au Tonga, elle a eu un peu de temps à nous consacrer, histoire de nous parler de son travail, de ses loisirs à Pyongyang et de la distance qu’elle maintient avec les questions politiques.

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La vue depuis la Grande maison des études du peuple de Pyongyang, la plus grande bibliothèque du pays

VICE : Déjà, qu’est-ce que tu fais au Tonga ?
Zoe Stephens :
Disons que j’étais venue pour un voyage d’un week-end en mars 2020, et je suis toujours là un an plus tard. Le Tonga est l’un des rares pays qui n’a pas été touché par le Covid-19, et j’attends la fin de la pandémie ici.

On n’a pas beaucoup d’informations sur l’impact de la pandémie en Corée du Nord. Tu sais comment ça se passe là-bas ? 
Malheureusement non. J’espère juste que mes ami·es et collègues se portent bien. 

Venons-en au fait. Comment t’as eu ce job de guide en Corée du Nord ?
Il y a environ six ans, j’étais en échange étudiant au Japon. À l’époque, le Royaume-Uni était en état d’alerte maximale après avoir été la cible d’attentats terroristes. Quand mes camarades de classe ont appris que je venais de là, on m’en parlait comme d’un pays dangereux. J’étais choquée ; depuis quand le Royaume-Uni est une zone de guerre ? Et puis j’ai réalisé l’influence des médias japonais. J’ai trouvé ça intéressant et je me suis demandé dans quels autres pays les médias diraient de ne pas aller, et j’ai pensé à la Corée du Nord. Environ six mois plus tard, j’y ai fait mon premier voyage. Après ça, je suis rentrée au Royaume-Uni, j’ai décroché mon diplôme de Langues modernes avant d’être engagée par Koryo Tours, avec qui j’ai déjà fait une trentaine de voyages en Corée du Nord.

« La réaction de ma mère m’a donné une raison supplémentaire d’aller en Corée du Nord. »

T’avais des craintes avant d’y aller ?
En fait, pas du tout. J’étais enthousiaste à l’idée de voir par moi-même si le pouvoir des médias était si fort. J’avais beaucoup lu sur le tourisme en Corée du Nord et l’agence m’avait aussi rassurée. Mon père trouvait ça plutôt cool, mais ma mère pas du tout. Quand je lui ai dit que je voulais y aller, elle a fondu en larmes et m’a dit que je lui brisais le cœur. Je lui ai suggéré de faire une recherche sur internet avant de parler. Elle m’a répondu qu’elle « ne voulait même pas taper Corée du Nord sur Google ». Sa réaction m’a donné une raison supplémentaire d’y aller. Comment on peut avoir un avis aussi tranché sur un pays dont on ne sait rien ? 

Comment on t’a accueillie ? 
L’accueil en Corée du Nord m’a rappelé celui au Japon : les Nord-coréen·nes font de leur mieux pour te faire passer un bon moment et pour te montrer les meilleurs aspects de leur pays. Tu penses sûrement que ça signifie obligatoirement qu’iels « cachent » les mauvais côtés, mais tu penses pareil quand je te parle du Japon ? 

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Du Taedonggang mal servi

Non, c’est vrai. Du coup, tu t’es fait facilement des potes ? 
Je me fais des potes partout où je vais, c’est dans ma nature. La Corée du Nord n’est pas l’endroit le plus facile pour se faire des ami·es, mais je crée des liens et des relations là où je peux, et il y a une bonne poignée de personnes qui me sont chères là-bas. 

Vous faites la teuf comment à Pyongyang ?
C’est pas vraiment l’endroit idéal pour ça, mais je ne laisse jamais passer une occasion de chanter ou de danser avec les gens si je le peux. Les Nord-Coréen·nes boivent beaucoup, donc c’est pas rare de prendre un soju ou deux le soir avec les autres guides. 

« Il y a des règles pour prendre des photos, mais elles ne sont pas aussi strictes que tu le penses. »

Tu fais quoi pendant tes jours de congé ?
Pour être honnête, la plupart de mes jours off sont consacrés à la récup’ après les circuits touristiques. C’est hyper intense. Mais j’ai déjà fait quelques jours à Pyongyang sans travailler. Une fois, j’ai eu trois jours de congé. C’était pendant le Festival du film de Pyongyang. On est allé·es voir des films avec les autres guides, on a bu quelques verres et on est allé·es manger dans des restaurants moins connus. Une autre fois, je suis allée faire du ski à Masik-Ryong, à quelques heures de Pyongyang. 

Tu peux marcher seule dans les rues ?
Non. Il est interdit aux titulaires d’un visa touristique de se promener seul·es. Les étranger·es qui travaillent et vivent à Pyongyang ont un permis spécial qui leur autorise ça.

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Sur le Mont Chilbosan

Ça t’arrive de te sentir coupée du reste du monde quand t’es à Pyongyang ?
Oui et non. C’est sûr que quand je n’ai pas Internet, je me sens isolée, mais ce sentiment ne dure que quelques heures. Tu t’y habitues. Et tu peux toujours rattraper les nouvelles le soir à l’hôtel. Sinon, ça te fait une bonne excuse pour être hors ligne, et il y a peu d’occasions dans la vie où t’as cette opportunité. En cas d’urgence, la plupart des hôtels disposent de téléphones pour les appels internationaux. 

Combien coûte le WiFi ?
Il n’y a pas vraiment de WiFi en Corée du Nord ; il y a quelques spots, dans des hôtels par exemple. En général, j’utilise une carte SIM spéciale pour étranger·es. Tu peux accéder à l’internet pour les étranger·es mais tu ne peux pas appeler vers des numéros nord-coréens. La connexion à internet est clairement la plus chère du monde. Je peux consulter 50 euros de données en deux ou trois jours avec une utilisation très limitée : vérification quotidienne des e-mails, un ou deux messages sur Instagram, une story et quelques recherches Google. Si je ne me limite pas, ces 50 euros peuvent disparaître en quelques heures. 

« Tout ce que je publie sur les réseaux, tout le monde peut le faire. Je n’ai pas d’accès spécial à quoi que ce soit, mais je ne poste jamais rien qui pourrait me causer des ennuis. »

J’ai toujours pensé que le gouvernement contrôlait tout, y compris les photos que tu prends. Comment tu fais pour poster autant de choses ?
C’est une fausse idée reçue. Tout ce que je publie sur les réseaux, tout le monde peut le faire. Je n’ai pas d’accès spécial à quoi que ce soit, mais je ne poste jamais rien qui pourrait me causer des ennuis. Quand je suis en Corée du Nord, je poste aussi sur mon propre Instagram et sur le compte de Koryo Tours sans problème. J’ai déjà fait des lives aussi. Il y a des règles pour prendre des photos, mais elles ne sont pas aussi strictes que tu le penses : pas de photos de militaires, pas de photos de travaux de chantier, et il faut être prudent·e quand on prend une photo d’objets avec l’un des dirigeants dessus. Si tu suis ces règles, t’es assez libre. 

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Mais t’as pris plein de photos avec des militaires…
Le seul endroit où tu peux prendre des photos des militaires c’est dans la DMZ, la zone frontalière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.

Ce militaire, je pense que c’est la première fois que j’ai vu un sourire sur un visage nord-coréen hors dirigeants. 
Peut-être, mais ce n’est pas la première fois qu’une personne nord-coréenne sourit.

Le pays est relativement fermé à l’influence occidentale, mais n’a apparemment pas pu échapper à la culture du selfie.
Ces dernières années, le smartphone s’est beaucoup démocratisé, et le selfie aussi, bien évidemment. Beaucoup de guides (souvent des femmes qui côtoient régulièrement des étranger·es), demandent de prendre des photos avec moi, et je vois qu’elles en ont plein d’elles et de leurs ami·es dans leur téléphone. C’était pas le cas il y a encore quelques années. C’est probablement un mélange de l’exposition à la culture étrangère qui se répand grâce aux touristes et aux médias étrangers. 

« Si je ne mets pas en avant le stéréotype du pays horrible avec des gens malveillants, on dit que je soutiens la Corée du Nord. »

Comment ça des médias étrangers ?
En gros, des médias étrangers sont entrés dans le pays via des canaux illégaux. La Corée du Nord tente de stopper la diffusion de l’information, mais avec la frontière avec la Chine et les entrées et sorties dans le territoire, c’est impossible. Et puis, certains films occidentaux sont autorisés.

T’es consciente que ton contenu est à l’opposé de ce qu’on voit toujours à travers les médias ?
Mon but n’est pas de faire du contenu qui soit « à l’opposé », mais plutôt de montrer une autre facette, sous-représentée, de la Corée du Nord. Les médias véhiculent des préjugés négatifs sur la Corée du Nord. Dès que je publie quelque chose de différent, on dit que je fais de la propagande, que je suis une imbécile et que je bosse pour un régime malfaisant… Si je ne mets pas en avant le stéréotype du pays horrible avec des gens qui sont malveillants et qui ont le cerveau lobotomisé, aux yeux du public, je soutiens la Corée du Nord. C’est tout simplement faux, mais il faudra un certain temps pour que le public accepte cette nouvelle représentation de la Corée du Nord. 

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À ce propos, c’est vrai que tu ne parles jamais de politique.
C’est pas la raison pour laquelle je fais ce que je fais. Si tu veux en savoir plus sur la politique nord-coréenne, il y a d’autres sources. On ne demande pas aux bloggers voyage de France, de Russie, ou même du Myanmar de parler de politique, alors pourquoi je le ferais ? J’espère juste montrer une perspective différente, loin des fusées et des dirigeants, parce qu’il y a tellement plus que ça. Bien sûr, la politique est un sujet sensible, surtout pour les Nord-Coréen·nes, et c’est une autre raison pour laquelle je n’aime pas en parler. J’ai mes propres opinions, mais je ne les exprime pas publiquement. J’ai mes raisons de faire ce que je fais ; je crois que le tourisme en Corée du Nord est éthique et bénéfique à la fois pour les touristes et pour la Corée du Nord elle-même.

T’entends quoi par « éthique » ?
En gros, je pense que voyager en Corée du Nord fait plus de bien que de mal. L’exposition aux étranger·es, l’introduction à de nouvelles cultures et l’échange d’informations – tout ça est inestimable en Corée du Nord. Et ça fonctionne dans les deux sens. La plupart des gens ne connaissent la Corée du Nord qu’à travers les médias. En voyant les choses de nos propres yeux, on en apprend plus qu’on ne pourrait jamais l’imaginer. En fin de compte, je pense que le fait de ne pas aller en Corée du Nord pour des raisons éthiques isole encore plus une société déjà isolée. J’ai fait une vidéo de 30 minutes à ce sujet où j’expose tous mes arguments.

« Je pense que le fait de ne pas aller en Corée du Nord pour des raisons éthiques isole encore plus une société déjà isolée. »

C’est quand la meilleure période pour s’y rendre alors ? 
En mai. C’est le moment que je préfère. Le temps est parfait et tu peux participer aux activités de la fête du travail le 1er mai. Les gens passent la journée à manger et à boire dans le parc, vont à la fête foraine, au restaurant, etc. L’atmosphère est vraiment géniale et c’est une excellente occasion de voir les gens se détendre et s’amuser. 

L’un de mes meilleurs souvenirs, c’était le 1er mai 2019. On était sur le point de faire un barbecue dans un parc et un groupe de Nord-Coréens chantait un air que je connaissais. J’ai couru les rejoindre et iels m’ont donné le micro. C’était vraiment une chouette expérience parce qu’iels ont aussi accueilli tout le groupe avec lequel j’étais, du coup on a chanté et dansé ensemble. Ce sont des expériences humaines comme celle-là qui comptent et m’encouragent à continuer. 

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Fountain Park, Pyongyang⁠
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Un spectacle de masse à Pyongyang
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