Music

Diapsiquir : « Arriver sur scène et se tirer une balle ? On y a pensé, mais à quoi bon ? »


Pendant plus de quinze ans, Diapsiquir a fièrement porté son titre d’ambassadeur de la crasse absolue, chacune de leurs sorties se posant comme un pipeline en connexion directe avec l’Enfer, dégueulant son fiel en flot continu. A.N.T.I., sorti en 2011, tenait de la purge ultime, plongeant quiconque osait s’y coller dans une abîme de noirceur et d’autodestruction. J’ai d’ailleurs longtemps cru que ce disque serait le dernier, pour des raisons évidentes de santé publique. Cinq années de sommeil relatif ont suivi, jusqu’à ce que le duo – aujourd’hui constitué de Damien/Toxic et Pascal/SxC – prononce son propre décès et par la même occasion, sa résurrection avec 180°, cinquième disque de Diapsiquir. L’étiquette ne ment pas : il est bien ici question de virage total et de rédemption, une transfiguration au moins aussi impressionnante que celle de Gucci Mane sur Everybody Looking

Sans se lancer dans l’exégèse, disons simplement que 180° porte les stigmates de cette mutation profonde, de la rupture difficile avec l’héro au retour vers Dieu le Père, des séjours chez les Bénédictins aux phases inévitables de doute qui jalonnent cette quête de changement. Le résultat est dur à décrire, un pote me disait récemment que ça ressemblait à « Véronique Sanson en date Tinder avec Jean-Louis Costes dans un parking de Marcadet ». Je n’ai pas trouvé de meilleure formule, aussi réductrice soit-elle. Parce que 180° synthétise quarante ans de chanson et française qualité rue avec une férocité et une aisance rare, remettant au goût du jour le triumvirat variét’ – 8.6 – survêt’. Je suis allé passer 4 heures avec Damien et Pascal dans « la cave du 18 », neuf mètre carrés faisant office de studio d’enregistrement et regroupant une collection impressionnante de livres rares.

Videos by VICE

Noisey : Ça fait 5 ans que vous n’avez rien sorti de concret, à part un split et une mixtape. Il s’est passé quoi pour vous pendant tout ce temps ?
Pascal : On a voulu faire un album grandiôôôse. Et on a fait ce disque, 180°.                        

Damien : On a eu plein de plans. Au début on devait enregistrer ce disque au Liban. Chez un pote, Riad, qui a été batteur pour Kickback pendant un temps. On a enregistré des démos et  au final, ça ne s’est pas fait. Puis il est quand même venu pour voir si on pouvait gérer ça à distance, refaire des prises.

P : Et puis il ne faut pas oublier qu’on avait encore Kickback en même temps.

D : Ce qui supposait se voir deux à trois fois par semaine, minimum. Et ça recule, ça recule, ça recule… Mais cinq ans, c’est quoi ? C’est rien pour nous, ça ne veut rien dire. Ces considérations, c’est bon pour les gens qui sont habitués aux formats sur-beaufs du genre : un album par an, des concerts, une carrière, un clip, un Hellfest. Déjà, le live, c’est fini pour nous.

Ah ouais ? Plus rien ? Ça avait l’air de marcher pourtant après A.N.T.I.
D : Mais ouais putain, c’est fatiguant… Pourquoi ? Pour qui ? Jouer devant des gars ré-bous qui vont chanter faux sur deux trois refrains ? En plus un concert, qu’est ce que ça suppose ? Je vais te le dire : c’est une heure qui en nécessitent douze autres remplies de Bolognaise froide de merde, de gros culs et de grands sourires de merde, dans des salles de merde avec des gens de merde. Tout ce qu’il y a autour et qui nous renvoie à notre propre médiocrité. Et aussi toutes ces discussions de merde qui me rendent ouf, qui finissent malheureusement toujours par réveiller mon agressivité. Alors qu’aujourd’hui , on tend vers un truc plus cool, plus lumineux. Bon, on a encore quelques réflexes du diable, du serpent. Mais on se dirige vers quelque chose de plus apaisé et les concerts ne vont malheureusement pas trop dans ce sens.

P : Mais avant même de parler de scène, il faut parler de groupe. On est deux, c’est hyper minimaliste alors l’intérêt d’un concert, je ne vois pas. Si on voulait se branler, on se branlerait. Mais on le fait nous-mêmes le live, ici, dans la cave, on le vit… Si on avait une vraie osmose de groupe qui nous permettait de varier, d’être plus larges et de contrôler un peu plus…

D : Mais il n’y a pas de groupe. Diapsiquir ça a presque toujours été deux gars et un quatre-pistes. Avant Pascal c’était un autre, mais ça a toujours été comme ça. Depuis, on a eu des plans studios grâce à Arkhon Infaustus et Kickback, on a eu accès à d’autres moyens logistiques, mais ça reste un projet qu’on a toujours voulu faire seuls. J’ai toujours envisagé Diapsiquir comme une espèce de rituel transcendant, en solitaire. Alors évidemment, ça devient tout de suite délicat de transposer ça sur scène. On l’a fait à un moment, après A.N.T.I., on a joué tous ces morceaux-là pendant un an. Mais stop, on a mis un mur là-dessus. Rejouer « Fais-le » aujourd’hui ? Impossible.

P : Et puis ça se termine toujours dans la confrontation. On le faisait déjà avant avec Damien dans Kickback. Sauf qu’à un moment, je n’arrive plus à être là, je n’ai plus rien à dire au public à part : « Vous me saoulez ». Ça finit par arriver, ça me saoule et résultat je me pointe plus aux concerts. J’ai des conversations plus intéressantes en restant chez moi et en lisant des livres qu’à un concert. Faut peut-être se rendre à l’évidence, on n’est peut être pas fait pour ça.

D : C’est l’intérêt qui n’est plus là, il n’y a plus de connexion avec les autres. Plus d’envie.

P : Y’a de ça aussi ouais, on ne va pas se mentir…

D : Tu vas encore à des concerts toi ?

De moins en moins. J’ai plus le courage de m’investir dans des concerts dont la majorité sera moyenne tout au mieux…
D : Voilà, tout est là ! Normalement un concert, c’est forcément bien, c’est forcément un groupe qui est vrai et qui se donne à fond.

P : Normalement les musiciens doivent finir en sang, ça demande de l’investissement…

D : C’est la moindre des choses, sinon tu ne le fais pas.

P :  T’as envie de voir un truc aussi fort que Jacques Brel en miettes à la fin de tous ses concerts.

D : Ou alors à la GG Allin. C’est suranné pourtant comme référence, c’est sûr, mais il faut reconnaître qu’il a ouvert mille portes. La défonce, la tape…

P : La merde, le sang …

D : La branlette sur scène, avec son micropénis. Attends… Un micropénis ! Ce mec a tout fait, TOUT ! Trente ans avant nous. Alors qu’est ce que tu veux apporter de plus ? Arriver sur scène et te tirer une balle ? On y a pensé hein, mais à quoi bon ?

P : Après on peut se plaindre des groupes qui souvent ne donnent rien, c’est vrai. Mais moi le public ne me donne plus rien non plus. Quel ennui… Je sais pas, je suis peut-être un vieux con. Mais maintenant je regarde ce qui se passe dans le metal, le metal de mort, le death metal, je lis les textes et putain il se passe rien. Ce n’est bon que pour du T-shirt. Les mecs bougent plus devant Young Thug et une PBO. Putain, le mec vient, il met son disque et il rappe dessus et le public devient fou.

D : Mais c’est une histoire de contexte. Le rap c’est encore jeune, y’a encore de la vie. Le rock c’est fini, rincé. Il n’y a plus de danger, plus de moments qui rendent les concerts tendus, où tu vois le mec un peu bourré commencer à s’exciter et balancer une droite ou deux, où tu te dis que ça peut partir en couille. On reste malgré tout attaché à ces styles, mais on est en fin de cycle totale. Ce n’est plus qu’une petite musique de mecs mal à l’aise qui vont se rassurer devant des concerts de merde. Qui jouent les méchants mais qui au fond sont tout l’inverse. De toute façon, les hardos, ce sont les victimes. Quand je prends le métro et que je vois un hardos, je me dis : « victime ». Point final. C’est pas grave, c’est comme ça. Peut-être que dans dix ans on verra un renouveau incroyable, un truc ultra vénère. Ou pas d’ailleurs. Parce qu’on parle de violence mais parlons aussi de mystique, puisque ce que sont les deux seuls trucs qui m’intéressent dans la musique. La violence et la mystique, ces trucs que tu pouvais trouver avec un groupe comme Virgin Prunes. Aujourd’hui, y’a rien de tout ça, il se passe rien. Après je ne te dis pas qu’on a raison, qu’il n’y a plus de bons concerts. Tu vois des trucs comme Chassol, ça tue. Mais ça suppose des gens vrais, qui vivent le truc. Parce qu’on les connaît les chorégraphies, le moment où le mec va faire son petit saut…

J’ai l’impression que vous souffrez depuis le début d’un public issu du black metal qui projette énormément d’attentes sur vous. Et qui sont forcément déçus de pas s’y retrouver, puisqu’en fait vous êtes plus vraiment là dedans depuis un bout de temps.
D : Oui, et qui se font pas mal d’idées sur ce qu’on est ou devrait être aussi. Parce que malheureusement c’est notre public. Même si aujourd’hui on a quelques mecs qui viennent d’autres univers, notre public reste principalement des mecs qui sont arrivés par là via le black. Avec toujours les mêmes discours… En ce moment, je suis inondé de messages du type « ce nouvel album, putain c’est dommage…» ou encore « Pourquoi vous refaites pas A.N.T.I. ? »… C’était déjà ça à l’époque de Virus STN, pareil à la sortie d’ A.N.T.I… Je ne t’en parle même pas, c’était horrible. « C’est de la meeeerde !!! Revenez à Virus !!! » et caetera, et caetera… Toujours le même refrain.

Et les mecs du hardcore qui pourraient arriver là par Kickback ?
D : Non ça n’a jamais été notre public. Ou alors des mecs qui ont accroché sur les derniers Kickback, quand j’étais dans le groupe.

P : De toute façon, même avant l’arrivée de Damien, on voulait déjà tout casser dans le genre avec Kickback. Stephen et moi avions grandi là-dedans et on voyait que ça devenait de la merde. C’était injuste, mais on ne voulait pas non plus baisser le pavillon.

D : C’est trop facile de dire ça. Ça a toujours été de la merde. Hardcore ou black ça reste des sous-styles. Du rock joué de façon extrême, rien de plus.

P : Au début c’est de la musique faite par des amateurs, pour des amateurs.

D : Non ! Faite par des ados pour des ados…

P : Toute la fraîcheur venait de là. Après tout est forcément récupéré par des grosses machines. Nous on a été défricheurs, mais après il a fallu fédérer pour que ça marche. Et tu te retrouves à ramener plein de gens et tout finit par ressembler à la fête au village… Même dans l’underground tu retrouves des codes, là où à la base il n’y en avait pas. De toute façon, y’a des codes partout maintenant. Tu vas à un concert, t’as plus le droit de fumer… J’ai oublié le nombre de règles que j’ai vues défiler. Mais je m’en fous maintenant,  je ne sors plus, j’écoute que de la musique faite par des gens morts…

D : Je te le dis franchement, j’admire les mecs qui restent bloqués de leurs treize à cinquante piges sur le même style, le même genre. C’est mortel, mais ça m’ennuie. Et puis malheureusement, on a vu les coulisses de tout ça. C’est d’une tristesse absolue. C’est 99,9 % de fake. On a été cons aussi nous, on y a cru….

Tout ce petit folklore, qui était pas mal évoqué depuis A.N.T.I. et encore beaucoup dans 180°…
D : C’est tout à fait ça. Le folklore c’est cocher toutes les cases. Alors évidemment, quand tu fais du black, on attend de toi que tu parles de Satan… Moi aussi je l’ai fait. Mais quelque part, j’ai toujours tout pris au premier degré. C’est peut-être stupide mais c’est comme ça. Quand mes textes traitaient de Satan j’étais Satan, quand je parlais de drogues c’était parce que j’étais à fond dans la came… Idem pour le cul et la violence. Toujours degré 1, bête. Autour de moi par contre, je n’ai vu que des mecs jouer la carte du second degré, prendre ça à la rigolade. Eux, je les balayais direct. Mais le pire, c’étaient ceux qui y croyaient ou faisaient semblant d’y croire mais qui au bout du compte étaient complètement à côté de la plaque. Affreux… Des baltringues…

P : Le genre à se mettre des gazeuses, des couteaux ou des matraques dans les poches pour jouer les durs, sans qu’il ne se passe jamais rien….

D : On a dit aucun nom ! Je te vois venir ! [Rires

Ce rejet d’une certaine scène, ça a toujours été un moteur chez Diapsiquir, non ?
D : Non évidemment, au contraire. J’avais 17 ans, j’étais petit, j’y croyais. Avec mes premières démos, je voulais forcément appartenir à une scène que je fantasmais – encore une fois – au premier degré. Je lisais les passages sur Burzum dans Lords Of Chaos : le mec assassinait, quel danger ! Superbe ! LE DIABLE ! À notre échelle, on sacrifiait des animaux et on brûlait des églises. Enfin juste les portes parce que nos églises sont faites de pierre ici [Rires]. Mais dès que j’ai pu accéder à « la scène » avec Arkhon Infaustus, dès que j’ai commencé à tourner avec des groupes comme Deicide, disons que j’ai très vite vu clair en ces gens là. Backstage, ça débat sur la cuisson parfaite d’une côte de bœuf… Quelle beauferie. À l’époque, 1 % des mecs y croyaient vraiment et faisaient un peu vibrer le truc. Et c’était il y a quinze ans déjà.

P : D’ailleurs, je lisais une interview de ILoveMakonnen, qui était déjà blasé de tout ça. Le mec est tout jeune, il a déjà fait le tour de tout ce cirque…

D : En voyant tout l’envers du décor, j’ai voulu mettre un stop avec L.S.D. Faire de l’électro. Bon ok c’est sur-ringard de dire ça maintenant, mais encore une fois tout est une histoire de contexte. Parler de drogues, ok, mais de vraies drogues. Comme Mysticum, mais sans faire semblant. VIRUS STN, lui, se voulait plus rue. Et ensuite A.N.T.I.…

P : On voulait faire des associations plus radicales avec A.N.T.I., mais bien pensées. Mélanger les vocabulaires, apporter du contraste entre les beats de raps et les riffs de black. Enfin, pas dans l’optique de faire un truc à la Necro où ça ne va que dans le sens du hip-hop. Tout l’inverse plutôt. Faut dire qu’à l’époque, il n’y avait pas un blackeux capable de te citer un morceau de rap. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai accroché avec Damien, quand j’ai capté que le mec aimait Booba…

D : Le contexte ! Au tout début de Lunatic, personne n’écoutait ça dans le milieu du black…

Les petites guéguerres entre metalheads et rappeurs…
D : Mais attends, une guerre motivée par quelles raisons ? Par la peur. Une guerre de victimes. Parce que les blackeux avaient peur de gars comme Lunatic. [Il prend une voix chevrotante « J’aime pas, avec sa voix d’arabe, là… » Non, mais t’imagines ça ? « Avec sa voix d’arabe. » Le mec est noir en plus, ultime. Horrible. Tout ça parce qu’ils avaient peur de se prendre des baffes dans le métro, peur de se faire bolosser. Ça a toujours été comme ça. Le black, une menace ? Non, ne vous inquiétez pas… Mais pour revenir à ce qu’on disait, Pascal et moi avions aussi d’autres liens, d’autres points de connexion. La banlieue, les films, l’art, les livres… Autre chose que ce que je pouvais avoir avec Stephen dans Kickback, par exemple. Pascal était pas du tout branché Satan à la base. Ça nous a valu des nuits de discussions. D’ailleurs, au début c’était pas simple, on ne se trouvait pas, en terme de vocabulaire musical.

D’ailleurs Pascal, qu’est-ce qui t’a motivé à rejoindre Diapsiquir ? Qu’est ce que tu y cherchais ?
D : Bonne question. Alors ?

P : Le talent. J’aime les gens qui ont du talent

D : On aime tous les deux l’absolu, c’est notre règle. On aime les gens qui font un truc pur.

P : Et puis on est musiciens, on kiffe ce qu’on fait aussi parfois.

D : Mais non, on n’est pas des musiciens, on est rien. Tu veux me parler guitare ? J’y connais rien, que dalle. Un mec va me parler de Do 7 ème ? Mais c’est quoi ça ? On a créé ce truc qui a le cul entre 8 chaises. Quelque chose de brut, mais un peu musical quand même. Un peu littéraire mais pas intello. À vouloir faire du crasseux mais sans tomber dans le punk à iench. C’est tendu, c’est chaud. Tout ça en refusant toujours de tomber dans le second degré. Le fun ici, c’est interdit. On rigole ensemble, on va pouvoir se marrer en regardant des vidéos. Mais attention, musicalement, le second degré c’est banni. Et je sens que ça nous guette parfois.

P : Comme Thiéfaine. C’est bancal, j’aime bien, mais c’est aussi parfois à la limite du ridicule. Ou les films français des années 70.

D : Mais comme dans le clip d’« Après » aussi. Qui n’a rien à voir avec ce qu’on faisait avant. Je sens que ça pourrait frôler la limite, comme pendant le passage où l’on danse…

En survêtement en plus…
D : La vérité. On est arrivés au studio, on était en survêtement, on danse sur de la musique forte. C’est comme ça. Vérité ! Depuis le début, Diaps c’est la vérité. Les premières démos parlaient d’un banlieusard qui était dans le black. Vérité ! Aujourd’hui, c’est le demi-tour total. Je ne vais pas te mentir, regarde-nous : on est des beaufs, c’est fini, c’est la vérité crue. Dans la cave, y’a pas de meufs, pas de came. On peut se faire une petite ligne récréative de temps en temps, comme je te disais, on a encore les réflexes du serpent. Mais ce n’est plus notre mode de vie, c’est moins fou, moins agressif. Mais c’est la vérité. C’est Diaps aujourd’hui, on est comme ça, tels que tu nous vois.

P : Le plaisir est ailleurs en fait. Mais ce qu’on fait ne peut que germer de moments un peu mystiques, même si je ne suis pas là-dedans. Ça ne peut que découler de moments un peu particuliers. Il faut croire. Nous on y croit. J’y crois donc ça marche.

Forcément, ce demi-tour amorcé depuis « Javel », il surprend. Vous étiez un peu les dernières personnes qu’on soupçonnait de revenir vers Dieu, mais aussi vers une forme de sobriété. C’est un changement qui s’est opéré sur la longueur, ou on devrait plutôt parler d’épiphanie ? 
D : Un moment, ça a peut-être été à cause de la peur. Soit on allait au bout des choses, comme on a toujours dit et fait. Mais qu’est ce que ça suppose ? La mort. Petites couilles qu’on était, on n’avait pas enviiiie… On voulait kiffer encore un petit peu… Du coup, stop. Autre chose, j’ai compris que je me trompais et que SATAN, c’était le nom que je mettais sur la dépression. Ça c’est horrible. C’est l’erreur que plein de gens font. Se dire : « Moi je suis sataniste, moi je suis la haine ». En fait non, t’es juste mal. Horrible. Donc voilà, on pouvait continuer et crever, mais on avait encore des choses à dire, petits narcissiques que nous sommes. Entre temps, j’ai aussi fait une retraite spirituelle chez les moines de Saint-Benoît. Et, là, claque de ouf.

La retraite, les moines, le lever à 5 heures du matin pour prier, les genoux qui saignent que tu évoques dans des chansons comme « Credo » ou « 180°»… Je ne peux pas m’empêcher d’y voir une rhétorique très bloyenne…
D : Joliiiii ! Voilà, t’as tout compris. C’est très lié au roman Le Désespéré. Léon Bloy et Jean Genet : mes deux grosses tartes. Donc tu vois, cinq ans, c’est peut-être aussi lié à cette nouvelle nourriture spirituelle. On est des prolos, hein, à la base, avec une culture un peu lég’. Pour tout te dire, j’ai lu mon premier livre hyper tard. Donc Bloy, oui, une tarte énorme qui engendre forcément une reprise de position par rapport à des trucs un peu plus profonds que les préoccupations liées à la musique, au rock.

P : Plus Céline perso, mais bon. Et puis c’est pas parce que tu lis Bloy que tu vas être sauvé. Mais disons que pour quelqu’un comme moi n’ayant jamais été sataniste, Bloy m’a aidé dans mon acceptation plus virile de Dieu. Lui et Coltrane. Les deux forment une évidence mystique. Je ne suis pratiquant que dans les choses que je vais faire moi, je ne vais pas dans les églises par exemple…

Vous vous définiriez aujourd’hui comme passés du côté chrétien ? Vous croyez en un Dieu tel que prié dans le catholicisme ?
D : Je vais à la messe déjà, même si les histoires de paroisses ne m’importent pas. Mais disons que je vois plutôt ça comme une symétrie parfaite. Autant je ne croyais pas à un diable cornu, avec une fourche qui ricanait depuis ses enfers, autant aujourd’hui je ne prie pas un vieillard avec une longue barbe qui fait la pluie quand il pisse. Ce sont deux énergies mystiques et pures. Avant, il y avait cette énergie noire, mate et rouge. Aujourd’hui, elle est blanche, fluo et lumineuse…

P : Je considère plus la figure que la religion. Une figure christique, qui me marque tout autant que Marx ou Céline. Tout est question de message et d’essayer de savoir si je les comprends bien. Je m’en fais une bouillie dans le cerveau, je suis imbibé de ça. J’essaie de savoir où je vais sinon autant tout arrêter tout de suite. Ca rend la vie meilleure, ça donne un autre challenge, quoi. Repenser le « moi, je » dans la société.

D : Il y aussi une excitation punk de faire ça aujourd’hui. De tendre vers l’amour avec un grand A. C’est notre nouvelle quête punk.

P : Il y a une forme de défi. Chez nous, ça a commencé par simplement se dire « Et si on faisait une pochette blanche ? Et si on disait des choses gentilles pour changer ? ». Déjà dans le dernier maxi on disait « merci ». Pour des gars comme nous c’était pas forcément facile.

D : Très dur même. Aujourd’hui, c’est l’hédonisme et l’égoïsme – le moi – moi – moi – qu’on pourrait moralement associer au Diable. Mais nous, éternels punks, on va prendre le contre-pied. Ce qu’on veut, c’est l’amour.

Pourtant quand je vous entends dire « on restera une bande de connards » dans « Vitriol et Lithium », j’ai l’impression que vous refusez de tomber dans le cliché de la rédemption, que vous restez attachés à cette violence originelle.
D : Pourtant, je dis aussi que je suis le clicheton de l’ex-toxico qui se tourne vers la Lumière. Il y a effectivement cette chanson, une des rares qui découle des restes du venin. Et pourtant on veut tout renier, tout laisser…

P : C’est pas parce qu’on est passé de l’autre côté que tout va être rose d’un coup. On n’est pas dupe non plus. Après, faut peut-être voir une référence involontaire à Renaud, quand il dit un truc comme « je suis une bande de jeunes à moi tout seul » lorsquenous on parle de cette bande de connards.

D : Disons qu’il ne faut pas prendre cette gentillesse nouvelle pour de la faiblesse. Même si on dit que ça y est, c’est l’amour, marche un peu sur ma pompe et je te défonce.

P : Tu le défoncerais en le pardonnant, pour son bien.

D : Toujours, mais je ne te pardonnerai qu’après. Je t’expliquerai. La grande baffe paternelle quoi. On renie quand même une grande partie de ce qu’on pouvait se dire avant. On ne renie pas notre style, de toute façon, c’est impossible, ça reste nous. Même si maintenant on a l’impression de faire du Starmania, ça reste malgré tout notre son, notre flow, nos voix et nos mots. Mais tout ce qu’on renie c’est le décorum, le folklore du hardos, du hardcore, du rap. Qu’on connaît PAR CŒUR depuis des dizaines d’années. Qui est juste bouffon.

Mais alors, quand tu renies tout ce que tu as jadis porté en étendard, la Crasse, le diable, il te reste quoi après ?
D : L’extrême inverse. Aujourd’hui, je vais à la messe et je prie. Ce qui quelque part est dangereux, car il est difficile de vendre l’invendable, même si on ne fait pas tout ça pour plaire. Donc ouais, je vais à la messe, pour la première fois de ma vie je suis fidèle. Je ne baise plus à côté, je ne vais plus voir les trav’, je ne vais plus en Thaïlande pour ken. C’est pas vendeur, je sais, mais encore une fois c’est la vérité nue. Aujourd’hui, la balance est tranquille. Tout ce que je croyais vivre, tout ce que je croyais être du noir total a dégagé. Finie la foncedé, le cul, l’égoïsme. Fini le malheur, aussi. Tout ça se contrebalance dans le blanc, le bonheur et la Lumière. L’implication quant à elle reste la même. Elle est ritualisée de la même façon : mettre un genou au sol. S’écraser, accepter la puissance quelle qu’elle soit et la dégueuler. Je prie de la même façon, sauf que je me tourne vers un autre pôle. La vie plutôt que la mort. Au lieu du chimique, je vais vers…

P : … le bio ? [Rires

D : Non ! J’ai voulu faire une belle phrase mais je n’ai pas réussi. [Rires

P : On ne peut pas toujours freestyler…

D : Ah, j’ai pas été bon là. Mais bon, tu vois le truc. C’est pareil, le même geste : à genoux ! À genoux, obligé ! Tu ne peux pas prier un truc ou recevoir en étant narcissique et impétueux. Ça n’existe pas ça. Même jeune, j’étais à genoux devant le diable. Tu peux pas remettre en cause un truc millénaire et au-delà de toute temporalité. S’écraser, c’est très important.

On sent un attachement profond à la variété française quand vous samplez du Michel Berger, ou encore avec le clavier ultra Véronique Sanson de « Banlieusard »…Je me demandais si c’était inscrit dans votre démarche de réaction, comme une volonté de se ré-approprier quelque chose qui peut être considéré comme relevant du mauvais goût. Ou si on devait plutôt y voir une approche nostalgique.
D : Joliiiii… C’est mon frère qui joue ça. Bah oui. Je suis fan, très fan de Véronique Sanson. D’une part j’ai grandi avec père qui écoutait du hard rock d’un côté, et de l’autre une mère branchée Starmania… Et je n’ai pas arrêté d’écouter ça depuis. Donc pas de rejet, ni de nostalgie en mode «  ah c’était bien ça me rappelle les vacances avec mon grand père ». Pas du tout.

P : La pochette d’A.N.T.I. était déjà un hommage à Michel Jonasz avec l’enfant… Mais qui n’a pas aimé « Mon vieux » ? « Avec le temps » ? Brel ? Renaud et « Mistral Gagnant » ?

D : Non mais ça c’est juste nous deux. Il y a plein de gens dans nos âges qui détestent ça. Qui vont parler de « variétoche », histoire d’être un peu méprisant… « La variétoche franchouillarde »… Mais ouais, on aime Jonasz, Sanson, Berger, Sheller. De ouf. Le plus grave c’est qu’on a l’impression qu’on a fait ça. Dans nos têtes baisées on a l’impression que Sanson et nous c’est la même chose. Il y a cette même théâtralité.

P : Le cirque théâtralisé, y’a de ça chez Diaps ouais… Sinon on deviendrait un groupe comme…

D : Comme Mr. Bungle ! Malheureusement. De toute façon, on nous compare toujours à Mister Bungle. Ou a Stupéflip…

P : Ce qui est fou car, de mon côté, j’ai jamais aimé aucun de ces groupes.

D : J’ai aimé vite fait Stupéflip au début parce que je trouvais ça « rigolo ». Une blague. Voilà. Mais qu’est ce que les gens disent de nous ? Ils se disent « oh mais c’est complètement fou, ces mecs sont les Mr. Bungle français » parce qu’on a la malheur de changer plusieurs fois de riffs dans une même chanson. Manque de culture énorme. Alors que nous on veut faire du Michel Jonasz.

P : Mais bon là on parle de vieille chanson française, de vieille variété, Mais la nouvelle, c’est quoi ?

D : Vincent Delerm ! Moi j’aime bien Vincent Delerm.

P : Mais non c’est le rap. Moi j’écoute ça comme de la variété.

D : Sérieux ? Genre Black M ?

P : Non ça c’est horrible. Black M est au rap ce que Licence IV est à la variété. Mais attends, c’est quoi la différence entre « Mistal Gagnant » et « 92i Veyron » ? Aucune ! Ce sont des mélodies qui marchent. Moi j’ai l’impression d’écouter Renaud avec ce genre de trucs, c’est beau.

D : Ouais mais là on parle de Booba. Le seul. Ou peut-être Damso à la rigueur. Les deux meilleurs. [Il se met à fredonner] « Nouveau riche, ma Lamborghini a pris quelques dos-d’âne ». C’est beau ça !

Pour finir là dessus, il y avait une rumeur tenace qui disait que votre dernier split devait se faire à l’origine avec Fauve. Ça vient d’où ?
D : Ohlalala. Génial.

P : Non, c’était avec Alkpote [Rires].

D : Que les gens sont drôles, que les gens sont fous, que les gens sont mous. Mous à lier, je vous le dis tout de go. Alors pour être tout à fait honnête : Fauve, pourquoi pas. C’est bête MAIS pas complètement con parce qu’en fait au tout début, j’ai bien aimé. Mais ça reste bête parce que c’est Fauve.

J’ai vu plein de metalheads tomber dans le panneau et plutôt bien accrocher au début.
D : Haha ! Mais putain, qu’est ce que ça veut dire ? Qu’au fond, nous sommes tous des petits dépressifs en puissance. Les mecs de Fauve vont surjouer leurs problèmes nazes, c’est marketé de partout, mais faut reconnaître qu’il y a un certain talent. Je l’aurais fait ce split avec eux. Je te dis la vérité, j’aurais préféré cent fois un truc avec Fauve qu’avec Peste Noire. Les gens ont toujours fait un lien entre ce groupe et nous, mais franchement j’ai jamais trop écouté. C’est juste que quand j’ai posté un message sur Facebook pour un split, le mec m’a écrit et qu’il avait l’air motivé de ouf. Et d’ailleurs il a taffé comme un dingue. Mais j’aime pas, le black metal je peux plus. Voix de sorcière et grimace, c’est banni maintenant.

P : Je connais pas, j’écoute pas…

Bon, après tout ce qu’on vient de se raconter sur Dieu et la variété, il devrait il y avoir encore une partie de votre fanbase metal qui devrait vous lâcher la grappe…
D : Putain j’espère mais on arrive pas à s’en débarrasser. C’est ouf. On n’y arrive pas. Je reçois en permanence des mails venant de gars qui portent des bracelets à clous.

P : Mais ce genre de gars, ça doit aussi jouer au jeux vidéos alors pourquoi pas écouter PNL ? Faut pas qu’il se sente bloqué comme ça le hardos.

D : Ouais mais justement, il est bloqué le pauvre. Je suis sûr qu’il se force à aimer ce qu’on fait parfois. C’est dommage…


Toutes les photos sont de Melchior Tersen.