Dans la vie, il y a des rencontres qui font tilt d’un coup d’un seul, des sortes de coups de foudre qui vous tombent sur la gueule sans prévenir. Comme si tout était écrit d’avance. C’est un peu ce qui est arrivé à Dika Mem (1,94m, 95kg) quand, à l’âge de 13 ans, le gamin accompagne un pote à lui lors des détections départementales de handball dans le Val d’Oise. Curieux de voir ce qu’il peut donner avec une balle entre les mains, même si à l’origine sa came à lui c’est plutôt le foot, Dika tente sa chance et il ne le regrettera pas. « Il n’était pas encore licencié, il n’avait même encore jamais joué au hand de sa vie, se souvient Fabrice Le Roy, actuel cadre technique de la Fédération française de hand et ancien coach de Sannois-Saint-Gratien. Il n’était pas là à l’improviste mais presque. Pourtant on a tout de suite décelé chez lui un potentiel énorme. Le cas de Dika, c’est un peu la ruée vers l’or dans le grand ouest américain : on a trouvé une pépite, comme ça, par hasard. Ça n’arrive qu’une fois tous les 20 ans un truc pareil ! »
Je peux me tromper, mais pour moi c’est le futur grand joueur de l’équipe de France. C’est Luc Abalo au même âge – Fabrice Le Roy, cadre technique de la Fédération française de hand.
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Issu d’une famille recomposée qui ne compte pas moins de sept enfants, Dika est le petit frère de deux basketteurs pros, Lens et Jordan Aboudou. Quand il apprend que son jeune frangin s’est pris de passion pour le hand, Lens, qui joue aujourd’hui au club de La Charité Basket en Nationale 2, ne cache pas sa surprise : « On était tous foot ou basket à l’époque. Le père de Dika a fait de la boxe quand il était plus jeune, notre mère a fait un peu de karaté, mais personne n’avait fait de hand. Du coup je n’ai pas trop compris ce choix, je n’imaginais pas qu’il en ferait très longtemps et surtout qu’il réussirait à ce point. » Car à seulement 19 ans, et même s’il n’est qu’au début de sa carrière, Dika semble déjà parti pour tout péter sur son chemin. Découvert sur le tard, le joueur gravit les échelons à une vitesse incroyable. Une entrée au pôle espoir d’Eaubonne avec un an d’avance, titulaire en Nationale 1 à Sannois Saint-Gratien à seulement 16 ans, Dika signe son premier contrat pro avec Tremblay l’année dernière avant de rejoindre le grand FC Barcelone en début de saison. Rien que ça !
Une trajectoire fulgurante qui a été construite intelligemment par ses éducateurs en région parisienne. « Le plan était clair avec Eaubonne, c’est-à-dire qu’on le laissait là-bas le temps de grandir, d’apprendre le boulot avec ses copains, et une fois qu’on le sentirait près à franchir le cap et à jouer au niveau national on le ferait venir à Saint-Gratien », détaille Patrice Le Roy. Directement intégré à l’équipe senior, Dika casse la baraque d’emblée. Sûr de son poulain, Patrice Le Roy n’a pas hésité un seul instant avant de le faire jouer en Nationale 1 malgré son jeune âge : « Quand tu vois qu’en moins de trois mois un gamin de 16 ans devient la pierre angulaire de ton équipe, tu ne peux pas douter de lui. Dika c’est une étoile filante, un extraterrestre ! » Aussi, sans tarder, l’ado remonte dans son vaisseau direction Tremblay-en-France, pour évoluer en première division. Entretemps, le gaucher intègre les équipes de France jeunes avec lesquelles il se bâtit déjà un palmarès hyper sexy [vainqueur du championnat d’Europe moins de 18 en 2014 et du championnat du monde jeune en 2015, ndlr].
Une nouvelle étape, un nouveau palier, et, malgré ça, le garçon montre toujours autant de facilité, à la grande surprise de David Christmann, son premier coach chez les professionnels : « On ne s’attendait pas du tout à ce qu’il s’impose aussi vite chez nous. En début de saison je voulais le laisser apprendre tranquillement, d’autant qu’on avait déjà deux bons joueurs à son poste, des mecs qui avaient plus d’expérience que lui, dont un international slovène. Il était donc parti pour être numéro 3 et faire des allers-retours entre le monde amateur et l’équipe pro. Mais au bout de trois semaines on a vu qu’il n’était pas au-dessous des deux autres et après un mois et demi il était passé au-dessus ! On a voulu le protéger au départ mais il est vite devenu notre meilleur atout offensif et défensif. En fait il nous a presque obligé à le propulser sur le devant de la scène. C’était la première fois que je vivais un truc pareil. »
Si Lens Aboudou n’imaginait pas que les choses iraient aussi vite pour son petit frère, cela ne le surprend pas non plus : « Quand tu commences un sport très tôt, tu développes des qualités mais aussi certains défauts qui sont ensuite assez difficiles à gommer. Alors que quand tu débutes sur le tard, tu es comme une éponge, tu gobes tout et tu apprends super vite. C’est ce qu’il s’est passé avec Dika. » C’est effectivement ce qui ressort des discussions que nous avons eues avec ses anciens entraîneurs. Dika n’est pas du genre feignasse et malgré un talent hors norme, sa soif d’apprendre est sans limite. « Pour moi il a trois qualités, théorise Le Roy. La première il l’a héritée de sa génétique, il a une vitesse folle, une grosse explosivité, il est gaucher et il a une bonne latéralité. Voilà, la nature lui a tout donné pour jouer au handball. Ensuite c’est quelqu’un qui est très humble et pour finir il est très à l’écoute des gens. Il a beaucoup d’empathie envers tout le monde. »
« Dès qu’il est arrivé à Tremblay, ajoute Christmann, j’ai tout de suite vu que c’était un joueur qui avait envie d’apprendre et de progresser. Il était très à l’écoute des autres, contrairement à beaucoup de gamins de son âge qui ont tendance à se prendre pour ce qu’ils ne sont pas. » Sur ce point, Lens confirme : « On est là pour lui rappeler d’où il vient mais de toute façon ce n’est pas le genre à prendre la grosse tête. Et puis si un jour il s’enflamme trop, je lui dirais ”Il n’y a pas si longtemps, je te changeais tes couches !”. Mais franchement tout ça ne lui est pas monté à la tête. » Si le garçon parvient aujourd’hui à garder les pieds sur terre – sauf bien sûr quand il s’agit de s’envoler dans les airs pour claquer des frappes de mule – c’est peut-être aussi parce Dika n’a pas eu la même adolescence que tous les mômes de son âge.
Élevé par sa grand-mère avec un autre de ses frères plus petit que lui, le gamin a dû vite apprendre à se prendre en main. « Dika fait preuve d’une certaine maturité pour un ado de son âge, confirme l’entraîneur tremblaysien. C’est quelqu’un qui s’occupait de son petit frère et de sa grand-mère. Quand il est venu à Tremblay, il a fallu qu’on leur trouve un appartement et c’est lui qui a géré tout ça. Donc il avait à la fois ce côté jeune, insouciant, et en même temps presque père ou responsable de famille. Il y avait une espèce de dualité chez lui et ça, on le ressentait tous les jours à l’entraînement. » Finalement, après une première saison pleine en pro avec Tremblay malgré la relégation de l’équipe en fin de saison, l’arrière droit affole le petit monde du handball et son nom commence à circuler dans les plus grands clubs de la planète. A l’arrivée, c’est le Barça qui décroche le gros lot et parvient à le convaincre de rejoindre ses compatriotes Cédric Sorhaindo et Timothé N’Guessan en Catalogne.
Ce choix, le jeune arrière droit l’a fait après avoir demandé conseil à son entourage, auprès de ses deux frères basketteurs notamment. Lens Aboudou lance le replay : « Quand Barcelone est arrivé, je lui ai dit que c’était une institution. Et puis ils le considéraient comme une pépite, mais des pépites il en sort tous les ans et je lui ai dit ”Si ça se trouve tu vas dire non ce coup-ci et l’année prochaine c’est un autre jeune qu’ils prendront et ça va te passer sous le nez”. Le FC Barcelone, ça ne se refuse pas. » Ce n’est pourtant pas l’avis de David Christmann qui aurait préféré voir Dika privilégier un club un peu moins huppé, où il aurait pu bénéficier de beaucoup de temps de jeu et d’un statut important: « Je pense que ça aurait pu être intéressant dans sa progression qu’il connaisse une étape intermédiaire, dans un bon club français où il aurait eu des responsabilités, avant de partir à Barcelone. Passer de Trembaly à Barcelone, d’un club qui jouait le bas de tableau à un des plus gros clubs européens, même si c’est magnifique, c’est risqué. Après ce n’est que mon avis… »
Malgré les réticences de son ancien coach, Dika accepte le challenge espagnol et le voilà qui navigue aujourd’hui au beau milieu des étoiles. Quoi de plus normal pour un extraterrestre ? « Il est bien installé et il a l’air de se plaire là-bas, nous assure le grand frère. Encore aujourd’hui il m’a envoyé un snap, moi je suis dans la Nièvre il fait – 2 degrés et lui il est sous le soleil, il fait 17 degrés, il se fout de ma gueule (rires) ! Et sur le plan sportif je trouve que c’est énorme ce qu’il fait. Déjà il joue. Parce que c’est bien beau de signer au Barça mais après encore faut-il avoir du temps de jeu. Et il en a, donc franchement c’est beau, il n’a que 19 ans, quoi, il ne faut pas l’oublier. » Pas encore titulaire sous le maillot blaugrana, Dika Mem a quand même déjà pu montrer ce qu’il avait dans le bide et le bonhomme ne semble pas effrayé par ce qui l’attend là-bas.
Convoqué en équipe de France pour préparer le Mondial (que les Bleus débutent ce mercredi face au Brésil), Dika a pu prendre ses marques. Initialement non retenu pour disputer le Mondial qui se déroule en France, la jeune pépite a finalement été rappelée par Didier Dinart et Guillaume Gille, les co-entraîneurs des Bleus, après la blessure de Luka Karabatic à la cheville droite.
S’il devrait jouer un rôle mineur durant la compétition, pour Fabrice Le Roy, Dika Mem représente l’avenir de l’équipe de France de handball : « Je peux me tromper, mais pour moi c’est le futur grand joueur de l’équipe de France. Si on veut faire un rapprochement, même si je n’aime pas trop ça, c’est Luc Abalo au même âge. S’il ne se blesse pas gravement, s’il n’a pas de problèmes affectifs dans sa vie privée qui impactent ses performances et s’il reste lui-même et qu’il n’oublie pas d’où il vient, ça sera un joueur exceptionnel. » Même son de cloche du côté de David Christmann : « Je pense que c’est l’un des futurs gros atouts de l’équipe de France. C’est sans doute d’ores et déjà le meilleur défenseur à son poste chez les Bleus. Moi si je suis sélectionneur, je le prends direct ! » Mais il semblerait que Dika Mem n’en soit plus au stade des promesses : mardi 16 janvier face à la Biélorussie, il a terminé meilleur buteur de l’équipe de France, avec 9 réalisations, permettant aux Bleus de s’imposer sans trop de soucis (32-25).