Vous ne le savez peut-être pas, mais l’Italie a été profondément marquée par la scène goth. Mais comment un pays profondément catholique, méditerranéen et chaotique est-il tombé sous le charme des paysages ténébreux et mystérieux évoqués par Bauhaus ou Siouxsie and the Banshees?
Cette question vous paraîtra peut-être stupide, mais c’est plus ou moins celle que s’est posée le Los Angeles Review of Books en 2010, lorsque le critique Alan Williamson a évoqué le pessimiste italien du 19ème siècle Giacomo Leopardi en ces termes : « Les Italiens ont toujours été dépeints par les Européens du Nord et les Américains comme des êtres chaleureux, sensuels, des gens qui apprécient la vie ; et ce sentiment n’est pas éloigné de la vérité. Ce qui est intéressant, c’est d’observer tous ces gens passionnés par un poète aussi pessimiste que Leopardi. Deux des plus grands écrivains italiens, Montale et Pavese, sont aussi très sombres. »
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C’est une histoire qui remonte à des décennies entières. Une histoire que le photographe Dino Ignani a immortalisé au début des années 1980 lorsqu’il a réalisé que les grands noms de la scène goth étaient de plus en plus suivis à Rome. Il a traîné dans les mêmes bars et les mêmes cafés que ces types ce qui lui a permis de capturer de magnifiques portraits. Trente ans plus tard, il a réuni ses photos dans un livre intitulé Dark Portraits. J’ai rencontré Dino pour qu’il m’en parle.
VICE : Quand est-ce que vous avez commencé à vous intéresser à la scène goth romaine ?
Dino Ignani : C’était en 1980, j’avais l’habitude de traîner dans un bar à vin dans le Trastevere qui s’appelait le « Fidelio ». C’était un repère pour les artistes, les intellectuels, etc. Un beau jour, des goths sont entrés. Ils devaient être une dizaine et avaient entre 18 et 22 ans. J’étais plus vieux et je ne connaissais rien au rock gothique. Mais ces types m’ont intrigué et je me suis intéressé à eux – j’ai fini par les photographier. Au total, j’ai pris plus de 550 photos.
Pour vous, c’était une expérience complètement nouvelle ?
Oui. Je suis né dans les années 1950 et j’ai grandi dans une famille collectiviste. L’idée d’aller à des concerts ou de danser était un concept bourgeois – elle devait donc être condamnée. De nombreux goths étaient des lieux où je n’avais jamais mis les pieds. Dans un sens, c’était une expérience libératrice.
C’était également une période heureuse à Rome.
Oui, les années de plomb étaient derrière nous, les gens sortaient de nouveau. Les goths me fascinaient parce qu’ils étaient extrêmement créatifs. Ils fabriquaient leurs vêtements, ils coupaient leurs cheveux de manière originale et leur iconographie était axée sur les cercueils, les chandeliers et les vampires. Pour un photographe, c’est incroyable.
D’où venaient ces gens ?
La plupart d’entre eux étaient originaires de la banlieue : la scène goth romaine est née au sein de la classe ouvrière. Le rôle des homosexuels était central – la communauté gay ne s’était pas encore organisée à Rome, j’imagine que la scène goth permettait aux gays de se réunir. Politiquement, c’était un milieu extrêmement hétérogène, il y avait aussi bien des gens de gauche que de droite.
Ils se droguaient ?
Non, les goths ne prenaient pas de drogue. Un verre de vin, à la limite. Ces types ne sortaient pas pour se défoncer.
Votre livre est composé de portraits pris entre 1981 et 1985. Pourquoi avez-vous arrêté ?
Premièrement, parce que je travaillais sur d’autres projets. Puis les choses avaient changé, les goths n’étaient plus aussi originaux. Les mecs que j’avais photographiés s’étaient mis à travailler – l’un d’entre eux est devenu boulanger, un autre est parti pour Londres.
Vous êtes restés en contact ?
Oui, je parle encore avec certains d’entre eux. La plupart de mes connaissances sont devenues designers, peintres, artistes ou bossent à la télévision. Mais d’autres ont simplement disparu, absorbés par les exigences du quotidien.
Est-ce qu’il y a une personne que vous aimiez particulièrement ?
Klarita et Rebecca formaient le couple le plus célèbre de la communauté goth. Monichetta créait des vêtements magnifiques. Il y avait aussi Rossella. Elle avait plus de 55 ans et vivait dans une caravane. Dans la rue les gens l’évitaient, mais les goths l’ont tout de suite adoptée. Ils étaient très ouverts. Ils m’ont aussi accueilli alors que j’avais dix ans de plus et que je n’étais pas du tout habillé comme eux.
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