Le Techno Viking est l’un des memes les plus adulés d’Internet. Vous avez tous vu cette célèbre vidéo de 4 minutes, tournée au festival Fuckparade de Berlin en 2000, dans laquelle un géant torse-nu en bermuda – que la Société-Internet, toujours avide de sensationnalisme à bas prix, rebaptisera plus tard le Techno Viking – passe un savon à un raver pas très courtois avec la gent féminine, avant d’avaler le contenu entier d’une bouteille d’eau que lui apporte un de ses mignons et de se livrer corps, bouc et âme dans une incroyable danse tribale sur une techno de plus en plus hard. Le Robin des rues ne se doutait pas encore que sa figure à la fois terrifiante et comique allait finir sur des GIF, vidéos, T-shirts et même sur une série de figurines, avec lesquelles sont mêmes fournies ses chaussettes.
Mais la vidéo virale s’est aussi transformée en cauchemar judiciaire pour le réalisateur Matthias Fritsch, celui qui tenait la caméra à l’époque.
En 2009, près d’une décennie après que sa vidéo ait fait 6 fois le tour du monde, Fritsch a reçu une mise en demeure des avocats du géant-danseur, affirmant qu’il ne s’était pas assuré d’avoir obtenu l’autorisation de la personne concernée avant de diffuser sa vidéo. L’homme – qui s’est avéré être une personne aussi mystérieuse que secrète et dont l’identité n’a jamais été révélée nulle part (existe-t-il vraiment ?) – a traîné Fritsch au tribunal, lui priant expressément de retirer la vidéo originale d’Internet mais également toutes les adaptations libres qui en avaient été faites par la suite. Cette bataille juridique a été le premier cas en Allemagne à aborder la question de la remix culture et de la législation autour des memes Internet, posant une question de plus en plus pressante : que faire quand une personne ne désirant pas être exposé à un large public devient le sujet d’un meme mondial à son insu ?
Après une bataille de 3 ans, le tribunal du district de Berlin a statué que Matthias Fritsch était seulement autorisé à utiliser l’image du Techno Viking si elle était manipulée de telle sorte qu’on ne puisse plus l’identifier ; et à ce que tout le contenu créé par ses fans reste uniquement dans le domaine du web. Fritsch, qui était déjà en train de faire des recherches sur la culture du meme et du recyclage, a décidé d’orienter son documentaire sur sa propre expérience, estimant que son dossier représentait un tournant dans l’histoire d’Internet.
En 2013, il a donc lancé une campagne IndieGoGo pour financer son film, et même s’il n’a pas eu tout l’argent nécessaire, Fritsch a réussi à terminer son projet en fin d’année dernière. Le 15 octobre 2015, il en a livré un edit de 50 minutes (le film devait à la base en faire 90) que vous avez pu découvrir ici-même, visible par toutes et tous, toujours pour respecter son éthique de l’Internet libre. On a voulu avoir quelques détails sur cette étrange affaire et savoir si Matthias avait des nouvelles du Techno Viking, 15 ans après.
Noisey : Vu que tu n’as pas eu l’autorisation d’utiliser l’image du Techno Viking, comment t’es tu débrouillé pour tourner le docu ?
Matthias Fritsch : Techno Viking va bien au-delà de l’image du protagoniste. C’est un phénomène viral qui possède des milliers de variantes. La plupart d’entre elles incluent des extraits de ma vidéo originelle, « Kneecam no.1 », mais elle a aussi inspiré des tas d’autres contenus eniètrement générés par des fans, comme des comics, des animes en 3D, des peintures à l’huile, des sculptures, des figurines et une quantité incalculable de blogs et d’articles.
À ton avis, pourquoi le Techno Viking s’est opposé si fortement à l’utilisation de son image ? Tu as été en contact direct avec lui ?
J’ai essayé mais malheureusement il refuse toute communication et je peux uniquement communiquer avec lui par l’intermédiaire de son avocat. Après que ma vidéo se soit propagée partout, j’ai tenté de découvrir qui il était, et comment le joindre, j’étais sûr qu’il allait me contacter tôt ou tard.
Un extrait du documentaire.
Cette fameuse scène a t-elle été filmée en caméra cachée ? On a l’impression parfois.
Non, la caméra n’était pas cachée et j’avais un grand angle avec un fisheye. Je la tenais dans mes mains à hauteur des genoux. Pendant une seconde, vous pouvez même le voir la fixer du regard en dansant.
Tu trouves la décision du tribunal injuste ? Tu as dit dans une interview que ce procès était absurde, peux-tu m’expliquer pourquoi ?
Cette décision a prouvé que les jurés ont ignoré le versant artistique de mon travail. Ils n’ont pas saisi le cadre conceptuel. À côté de ça, ils ont statué que les auteurs de comics, de dessins, de reconsitutions et autres oeuvres de fans, qui ne se servaient pas directement de ma vidéo initiale, étaient libres de s’exprimer. C’est déjà bien. Mais le procès est absurde dans le sens où le Techno Viking veut qu’on retire tout ce qui le concerne et le représente d’Internet, ce qui est évidemment impossible vu l’ampleur du phénomène. Si on additionne à ça l’effet Streisand, le meme ne cesse de s’étendre. C’est ridicule d’essayer de résoudre le problème avec des lois. Ca aurait eu plus de sens d’essayer d’y remédier à une échelle plus humaine, et de partager les revenus que je m’étais déjà fait avec la vidéo lorsque son camp m’a contacté pour la première fois.
Combien d’argent tu t’es fait avec cette vidéo d’ailleurs ?
Avant qu’il ne m’envoie son premier avocat, j’avais engrangé 10 000 euros sur une période de deux ans, uniquement grâce aux pubs sur YouTube.
Un mémorial dédié au Techno Viking créé par l’artiste Shinya Yamaoka
Tu as été la première personne à être poursuivie pour avoir créé un meme ? Est-ce que des lois existent déjà pour régir Internet ?
En Allemagne, c’était le premier cas dans le domaine. Et les lois sur lesquels ils se sont basés pour leur jugement sont vieilles de 100 ans… Elles ne fonctionnement pas avec la culture du meme vu que c’est un phénomène global, qui par définition est incontrôlable. Les utilisateurs qui réadaptent un contenu viral s’aventurent sur un terrain miné. Par exemple, dans l’affaire de la vidéo du Techno Viking, tout les gens ici en Allemagne qui utilisent des extraits s’exposent désormais à une situation similaire à la mienne : des milliers d’euros de dépense juste pour se défendre. Et en plus, le verdict dépend totalement des juges nommés. La culture web du remix est tellement vive et créative que de nouvelles lois doivent êtres mises en place pour la réguler, c’est impératif, des lois adaptées et justes, pour déterminer réellement ce qu’il est possible de faire et où se situent les limites.
Qu’est ce qu’il s’est passé pour toi depuis le verdict, qui date de deux ans ?
Le Techno Viking a fait appel et a demandé à censurer également toutes les fois où sa silhouette apparaîssait quelque part. Ca a pris longtemps à la cour mais ils ont décidé de ne pas pas donner suite à son appel, en suggérant qu’il devait lui-même se retirer pour ne pas occasionner de dépenses supplémentaires. Si la cour rejette officiellement un dossier avant que le tiers ne se retire, les frais sont alors multipliés par deux. Il n’est donc pas allé plus loin, et l’arrêt de 2013 est devenu recevable.
Matthias Fritsch
À quel point cette expérience a affecté ta manière de filmer ?
Depuis que la décision a été validée, je connais les limites. Mais malheureusement, pas à 100 %, parce que la décision reste un peu vague en ce qui concerne le niveau de censure exercée sur le plaignant. Certains avocats croient toujours qu’une simple silhouette est une violation du droit à l’image.
Est-ce que la vie du Techno Viking a changé depuis qu’il est devenu un meme ?
Je ne pourrais pas te dire. Dans le dossier, ses avocats ont avancé qu’il avait été approché par des gens de différents partis de droite, qu’il avait perdu plusieurs boulots, que quelqu’un l’avait un jour reconnu alors qu’il se baladait à vélo… Rien de tout ça n’a été prouvé durant le procès.
Est-ce que le Techno Viking sait se servir d’Internet ?
Je ne peux pas te dire non plus. Officiellement, ça lui a pris deux ans pour s’apercevoir qu’il était célèbre à travers toute la planète. Peut-être qu’il n’avait pas de bon conseiller pour lui expliquer en quoi consistait l’effet Streisand, et comment fonctionnait la dynamique des communautés Internet. Ou peut-être que tout ça faisait partie de son plan.
Tu as eu des nouvelles de lui récemment ?
Non, je n’ai jamais eu la chance de lui parler en personne. J’ai répété plein de fois à ses avocats que je voulais le rencontrer, face à face, mais il n’a jamais répondu à ma requête. J’en parle à la fin du film d’ailleurs. J’espère encore avoir la chance de le rencontrer un jour. Après tout, on est tous les deux dans le même bateau – on a tous les deux perdu le contrôle, et on a tenté de le reprendre à notre manière.
Michelle Lhooq est sur Twitter.
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