Texte : Alex Pasternak
Pour quelqu’un qui aime parler des mérites de la déconnexion, le critique des médias Douglas Rushkoff a toujours l’air câblé. Quand je lui ai rendu visite dans son bureau de Hastings-on-Hudson, dans l’État de New York, il se préparait à donner un cours, répondre à une interview pour la BBC, écrire un essai, fixer une pile d’articles à lire, comprendre son nouvel iPhone, et se dépêcher de finir son troisième livre en trois ans – un roman graphique intitulé ADD, qui tourne autour de la culture des gamers, de la célébrité et de l’industrie pharmaceutique. « Ça pose aussi la question, a-t-il dit, de savoir si les troubles de l’attention étaient non pas un défaut, mais un trait de caractère. »
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La vie hyperconnectée, en constante accélération, c’est un terrain familier pour Rushkoff, dont le premier livre, Cyberia, l’a hissé au rang de tour operator de l’Internet, et de pronostiqueur précoce de son potentiel radical. Mais beaucoup de choses ont changé depuis les premiers jours du Net – une collection à but non commercial de réseaux publics – et l’ère de Facebook, YouTube et des smartphones. Si Rushkoff est très versé dans le champ de la « révolution numérique », c’est aussi l’un de ses critiques les mieux renseignés.
« Une société qui considérait Internet comme une voie royale pour de nouvelles méthodes de création et des connexions hautement articulées se retrouve au contraire déconnectée, interdite de pensées profondes, et vidée de ses valeurs durables », écrit Rushkoff dans son récent essai, Program or Be Programmed. Son remède est simple mais ambitieux : une fois que les gens comprennent comment marche un logiciel, « ils commencent à reconnaître les programmes qui opèrent partout ailleurs – dans l’économie, l’éducation, la politique… Tous les systèmes ont des objectifs intégrés. Moins on les admet, plus on fait d’erreurs dans une situation donnée. »
Comprendre comment fonctionnent les choses pour les améliorer, c’est l’éthique de base du hacker, mais Rushkoff a élargi la discussion à la culture et à la politique : comment la vie de la majorité est déterminée par les intérêts d’une minorité. Entre son documentaire génial, The Merchants of Cool, et son ouvrage récent, Life Inc., Rushkoff a répertorié les risques que font courir le capitalisme et le corporatisme aux sociétés démocratiques. Ou, pour filer la métaphore, il a cherché à montrer comment nous nous faisons entuber par un « système d’exploitation » vieux de plusieurs millénaires. « On tire profit de nous de tellement de façons, notre économie est surexploitée pour que ce système se perpétue, affirme-t-il. Nous sommes conditionnés à la croissance. On tire financièrement profit des êtres humains. Donc comment faire pour dire : “Ca suffit, on arrête” ? Ou plutôt : “Comment obtenir les avantages d’un film apocalyptique à base de zombies sans les zombies ?” C’est ce que j’essaye de faire, en somme, pour aider les gens. »
Rushkoff a bien évidemment observé attentivement le mouvement Occupy, avec un optimisme prudent, pondant des tribunes pour CNN et organisant le Contact Con du mois de novembre, une assemblée d’activistes internautes et de hackers open source qui ont brainstormé pour créer des applications orientées vers le civisme. Rushkoff a contacté le géant Pepsi qui a attribué une récompense de 10 000 $ à la Free Network Foundation, qui a fait l’objet d’un récent documentaire Motherboard. Beaucoup de choses ont changé depuis que Rushkoff a commencé à critiquer le système. Mais sa philosophie est encore animée par une grande question qui s’applique non seulement à l’espace digital construit par Facebook et Google, mais à d’autres espaces publics : parcs, Parlement, culture : qui a programmé ces espaces, dans quel but, et est-ce qu’on peut les hacker pour les améliorer ?