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Africville : le secret raciste de l’histoire du Canada

Peu de gens sont au courant de l'enfer qu’ont vécu d’anciens esclaves américains – et leurs descendants – sur la côte Est canadienne. En fait, personne n'a entendu parler d'Africville.

Photos d’Eddie : Darrell Oake. Photos d’archives : Bob Brooks, du « Africville Relocation Report »

Le Canada aime à crier haut et fort qu’entre 1840 et 1860, avant la guerre civile américaine, la Nouvelle-Écosse était le paradis pour tous les individus de couleur cherchant à se défaire des chaînes de l’oppression. Certaines émissions télé canadiennes font même de la propagande à ce sujet : elles montrent des esclaves sortant tout sourire de caisses en bois, prêt à entamer une nouvelle vie, libres dans le Grand Nord. Mais peu de gens sont au courant de l'enfer qu’ont vécu d’anciens esclaves américains – et leurs descendants – sur la côte Est canadienne. En fait, personne n'a jamais entendu parler d'Africville.

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Africville était un quartier noir et pauvre au nord d’Halifax, que les dirigeants locaux de l’époque se sont employés à détruire méthodiquement année après année. Le gouvernement local a tenu à ne jamais fournir à Africville habitations et services de bases – eau, électricité, etc. – et cela a continué jusqu’à ce que le quartier soit totalement détruit en 1964.

Lors de l’explosion d’Halifax en 1917, la ville a cherché par tous les moyens à implanter des structures industrielles dans Africville. Ceci était une manière détournée de dire aux Noirs et aux pauvres : « OK, cassez-vous maintenant. » Halifax a fini par réaliser son rêve. Malgré la réticence des habitants, ils ont continué à construire des trucs destinés à déprimer les habitants, notamment, pendant la Seconde guerre, un hôpital pour les malades atteints de virus incurables revenants du front européen. À la fin des années 1940, ils y ont implanté une décharge de déchets toxiques. Leur plan a fonctionné et dégoûtée, la totalité des résidents de la zone s'est barrée. Depuis ce jour, Eddie Carvery essaie de se faire entendre.

Eddie Carvery est un ancien résident d’Africville et il se bat depuis presque 45 ans ans contre cette folle injustice de l'histoire canadienne. C’est au téléphone – par un vendredi des plus froids, dans sa caravane non chauffée dont les côtés sont peints en grosses lettres rouges des mots « Africville Protest » – qu’il m’a raconté cette histoire déprimante et son combat vain contre la municipalité d'Halifax. Aujourd’hui, les terres n’accueillent plus qu’un port de conteneurs, un pont, une bretelle d'autoroute, quelques chemins de fer et un parc. Il y a 50 ans, une communauté de 4000 habitants vivait là.

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Eddie devant sa caravane

Eddie se souvient : « Le personnel de l’hôpital balançait tous les déchets dans la décharge – des membres humains en sang, des couvertures, tout. On assistait à tout ça. Puis, de temps en temps, ils brûlaient ces déchets. Des murs de feu et de fumée toxique se formaient alors, et nous les traversions pour choper les métaux avant qu’ils ne fondent. On n’avait pas le choix : il fallait qu’on fouille cette décharge pour survivre. »

Les rats étaient partout. Selon Eddie, il y en avait toujours plusieurs milliers à portée de vue. Le nombre de rats était tel qu’en sortant la nuit avec une lampe de poche, « on aurait pu croire que la décharge était vivante. Ils recouvraient toute la surface. »

Quand les rats se sont répandus dans les quartiers blancs du sud de la ville, la ville a envoyé des gens pour les empoisonner. « Nous avons vite respiré ce poison, affirme Eddie. Il y en avait dans l’air, sur nos habits. Maintenant, nous souffrons tous du cancer. »

Comme ces dix ans de décharge toxique infestée de rats n’avaient toujours pas provoquée l'exode tant espérée, Halifax a décidé de mener des études afin de déterminer quelles zones pouvaient officiellement être déclarées inhabitables. Malgré la rage des habitants, la ville a activé son projet de nivelage du quartier et de relocalisation des résidents dans des logements sociaux. Alors qu’ils étaient propriétaires, les Africvilliens se sont retrouvés à devoir payer un loyer dans le centre.

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En 1964, une fois les habitants consolés par quelques dédommagements, la démolition pouvait commencer. Les bulldozers ont chargé les maisons alors que des vieux, refusant de quitter leurs habitations, étaient encore dedans. L’église a, elle aussi, été détruite. En 1969, le dernier résident a quitté sa maison et Africville a disparu à jamais.

« Africville n’était pas une hallucination, dit Eddie. C’était une société à l’intérieur de la société. Et ce qu’ils ont fait est un véritable génocide. Ils nous ont empoisonnés. Ils nous ont forcés à partir de chez nous. Ils ont fait en sorte que nos enfants ne puissent pas aller à l'école. Ils sont coupables de racisme et de ségrégation. »

Eddie a débuté son combat il y a longtemps ; ça fait 44 ans qu’il occupe le parc pour manifester. Le Canada a depuis oublié ce chapitre de l’histoire. Même s’il est difficile d’estimer le nombre d’anciens résidents qui ont souffert des toxines inhalées, rien que la proximité avec la décharge toxique a laissé des traces sur les habitants du quartier. Malgré la triste histoire de ce quartier, Eddie veut qu’on se souvienne d’Africville, mais surtout, qu’on le restaure.

« Ça ne s’est pas passé à l’autre bout du monde, dit Eddie. Ça s’est passé au Canada. C’est arrivé à des Canadiens. Quelle que soit sa couleur, personne ne mérite d’être traité de la sorte. »

Une carte d'Africville

Il ne manifeste pas devant des bâtiments administratifs et ne distribue pas de tracts. Il essaie juste de se maintenir au chaud pendant l’hiver. Même si celui-ci est rude, Eddie reste optimiste : « il fait plutôt froid ici, mais ça me va ! C’est une bonne journée pour manifester ! »

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Après avoir assisté au mouvement des droits civiques aux États-Unis et écouté les conseils de sa mère, Eddie a décidé de retourner à Africville – enfin, ce qu’il en restait – pour mettre de l’ordre dans ses affaires et demander justice. Il occupe le parc depuis ce jour.

Eddie raconte que dans son jeune âge, la police le harcelait au milieu de la nuit. Parfois, quand il regagnait son campement, celui-ci était détruit. À plusieurs reprises, il a dû courir et se réfugier dans les bois la nuit parce que des hooligans, brassards nazis à l'épaule, lui tiraient dessus. À deux reprises, la ville a saisi et « déplacé » sa caravane.

Eddie a surmonté tout ça. En revanche, ses 44 années de manifestation n’ont rien fait bouger. L’histoire a glissé Africville sous le tapis. Même si le maire s’est excusé il y a quelques années, qu’il a installé un cadran solaire en mémoire d’Africville (il n’indique pas la bonne heure, d'ailleurs) ainsi qu'une réplique d'église (abandonnée elle aussi), aucune réparation importante n’a été faite. En gros, Halifax profite tranquillement de ses belles pièces de viande industrielles et balance ses restes à Africville.

Tout cela pourrait changer dans un futur proche. Au printemps, Halifax a accepté d’entendre en justice le témoignage exceptionnel d’Eddie, même s'il n'a aucun espoir d'être dédommagé par de nouveaux poumons.

« Nous, les Africvilliens révoltés, sommes illettrés. Nous n’avons pas d’argent. Ça va donc tourner en procès fantoche. Ils savent que nous ne sommes pas préparés et qu'il s'agira seulement de tourner la page sur ce qui est arrivé aux habitants d’Africville. »

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Eddie va demander à ce que les résidents reçoivent des dédommagements pour la perte de leurs maisons et de leur communauté. Il veut qu’une part des bénéfices générés par l’industrie leur revienne. Il veut qu’Africville soit reconstruite pour les survivants et qu’une enquête soit menée pour définir les séquelles causées par la décharge et le poison sur la santé des résidents.

Si justice n’est pas faite, Eddie espère pouvoir mobiliser plus d’Africvilliens. Mais il a ajouté : « À chaque fois qu’une confrontation a lieu, je suis le seul à me lever – tout le monde disparaît. » Finalement, tout ce qu’il souhaite depuis 44 ans, c’est qu’Halifax répare ses erreurs. Il n’a pas l’intention d’abandonner son combat.

« La communauté me manque. Les gens me manquent. Nous étions un peuple uni. Parfois nous nous retrouvions à dix dans une salle où régnait une ambiance géniale, chaleureuse. On le ressentait en allant à l’église. C’était un sentiment réconfortant. C’est l’endroit le plus beau du monde, en plein sur le bassin de Bedford. Le ciel donne une sensation de liberté. C’est ici que je suis né. Je ne suis pas né à l'hôpital. Je suis né à Africville. Je mourrai à Africville. »

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