Fortunes et perversion : les secrets les mieux gardés d’Hollywood

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Fortunes et perversion : les secrets les mieux gardés d’Hollywood

On vous file un extrait de Retour à Babylone de Kenneth Anger, dans lequel Alfred Hitchcock passe pour un pervers lubrique.

Où se trouve la limite entre fiction et réalité ? À partir de quelle extrémité l'information devient-elle voyeuriste ? Pourquoi les lecteurs sont-ils passionnés par les turpitudes de célébrités qu'ils ne connaîtront jamais ? À toutes ces questions qui animent la presse à sensation, Kenneth Anger n'a jamais répondu – et s'en contrefout sans doute pas mal. Né dans les années 1920 en Californie, ce grand nom du cinéma américain du XXe siècle a révélé au public les secrets les plus inavouables de ses congénères d'Hollywood dans Hollywood Babylone et Retour à Babylone – deux bouquins qui, bien entendu, ont fait scandale.

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Le premier, publié dans sa version définitive en 1975 aux États-Unis, a attendu 2013 pour sortir en France grâce aux éditons Tristram. Le second, publié outre-Atlantique en 1986, est enfin disponible chez votre libraire, toujours grâce aux éditions Tristram. Dans cette deuxième mouture, les récits d'Anger évoquent des meurtres étouffés, des relations homosexuelles et des stars suicidaires. À tout cela se mêlent les photographies personnelles de l'auteur – où l'on voit notamment Sean Connery en très bonne compagnie, la petite culotte de Marilyn Monroe ou le sexe en érection de Rudolph Valentino.

Accusé régulièrement de mensonges et d'atteintes à la vie privée, Kenneth Wilbur Anglemyer, réalisateur ouvertement gay, s'est amusé tout au long de sa carrière des non-dits de la Babylone moderne – non-dits qui, bien entendu, touchent à la sexualité, à la drogue et aux luttes de pouvoir. Afin de célébrer la sortie française de Retour à Babylone, on vous file un extrait du bouquin, qui s'intéresse à la passion morbide d'Alfred Hitchcock pour les femmes blondes – Grace Kelly en tête.

Kenneth Anger

DES BLONDES SURVEILLÉES DE PRÈS

Le célèbre marchand de peur s'était installé dans une bergère de luxe au confort adapté à sa corpulence. À ce stade de sa carrière, on aurait dit le grand-père de E.T.

Il avait le visage pressé contre l'oculaire d'un puissant télescope monté sur trépied, qui pointait d'une fenêtre dans la douce nuit de Laurel Canyon.

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À un bon kilomètre de là, la chambre était bien éclairée. Aucun rideau, fût-ce un rideau déchiré, ne gênait la vue. Les stores étaient relevés. La future bienfaitrice de Monaco était sur le point d'accomplir le plus grand acte de charité de toute sa vie de conte de fées.

Lentement, posément, comme si elle rentrait d'une soirée en ville, Grace Kelly se déshabilla. Son chapeau, d'abord, puis ses gants. Les bretelles de sa robe du soir caressèrent la courbe d'une paire d'épaules blanches, permettant au sensuel crêpe de Chine* de glisser jusqu'au sol. Il y avait un soutien-gorge à dégrafer. La dernière à tomber fut la petite culotte de dentelle française.

De l'autre côté du canyon obscur, « Cocky » [Jeu de mots entre cocky au sens de « présomptueux », cock au sens de « bite », et la dernière syllabe du patronyme de l'intéressé – N.d.T.] (tel que l'obèse avait été surnommé à l'école en Angleterre) eut une réaction à la hauteur.

La scopophilie – la satisfaction du désir sexuel par le regard – est la plus saine des déviances sexuelles. Le scopophile est à l'abri du contact charnel, des microbes et des manœuvres risquées susceptibles de l'exposer à des rebuffades. Reliée à lui comme elle l'était par de simples lentilles polies en verre optique, situées de l'autre côté des abysses, l'adorable ex-mannequin d'un blond glacier, originaire de Philadelphie, avait consenti, pour cette fois seulement, à satisfaire le caprice d'Al le Voyeur. Tout serait fini au bout de cinq petites minutes, quand soudain elle éteindrait la lumière.

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Des années plus tard, après qu'elle eut échappé à son contrôle et se fut emparée d'une des dernières couronnes d'Europe, on entendait parfois grommeler un Hitchcock irascible au sujet du souverain du petit pays des moulineurs de roulette et de son ex-actrice d'épouse, qu'il surnommait désormais « princesse Disgrâce ».

Une de perdue, une de retrouvée : le contrat conclu entre Alfred Hitchcock et sa nouvelle grande dame aux cheveux blond glacier, « Tippi » Hedren, réduisit cet ancien mannequin en servitude pendant sept ans, enchaîna son prénom entre deux guillemets et scella une relation tendue et obsessionnelle qui engendra The Birds [Les Oiseaux] et Marnie [Pas de printemps pour Marnie], deux parmi les thrillers les plus pervers du réalisateur.

Pendant le tournage de The Birds, « Tippi » se plia aux exigences du Maître du suspense : elle fut attachée tandis que des oiseaux lui picoraient les parties. L'un d'eux faillit l'énucléer ; elle fit une dépression nerveuse.

La misogynie de Hitchcock, le plaisir qu'il éprouvait à brutaliser de belles femmes à l'écran, avait atteint le comble de la frénésie quelques années plus tôt, quand, en 1959, Audrey Hepburn avait refusé de travailler sur No Bail for the Judge, un film qu'il avait conçu spécialement pour elle. Devait y figurer une scène de viol atroce et explicite. Trop explicite pour Audrey, qui venait de se confire en religion dans The Nun's Story [Au Risque de se perdre] sous les acclamations du public. Elle se désista, plaidant la grossesse – tout comme Vera Miles l'avait fait deux ans plus tôt en renonçant à Vertigo [Sueurs froides]. No Bail for the Judge fut abandonné – pour une perte coquette de deux cent mille dollars – et, à la place, Hitchcock réalisa Psycho [Psychose], avec sa scène de meurtre qui ressemble à un viol. Ses films ultérieurs paraissent reprocher aux femmes d'attiser chez les hommes des passions incontrôlables.

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Malgré l'attachement chaste d'Alfred pour son épouse Alma – la femme, plaisantait-il, qui lui avait évité de « virer homo » – il développa une puissante obsession romantique et sexuelle envers « Tippi ».

C'était la blonde idéale (bien qu'au mauvais moment) dans une vie affective perturbée, et elle paya cher d'avoir chatouillé ses passions. Il avait été prévu de tourner l'attaque aviaire paroxystique de The Birds avec des piafs mécaniques de farces et attrapes. Déçu par leur manque de réalisme, le réalisateur avait insisté pour que soient utilisés des vrais. Pendant une semaine entière, « Tippi » fut canardée de corbeaux et de goélands excités. Elle fut maintenue au sol par des sangles élastiques camouflées, et les créatures à bec, nerveuses, préalablement attachées à sa robe par des fils de nylon, furent encouragées à la picorer. Un des oiseaux fit de son mieux pour lui planter ses griffes dans l'œil gauche ; l'incident lui laissa une profonde balafre sur la paupière inférieure. L'actrice céda à l'hystérie. Elle finit par s'effondrer complètement, avec pour conséquence une semaine d'interruption du tournage.

Avec leur film suivant, Hitchcock poussa la possessivité et la tyrannie encore plus loin. Lors du tournage de The Birds, il avait abreuvé « Tippi » de martinis pendant les répétitions. Lors du tournage de Marnie, en sus de la scopophilie, il s'abreuva lui-même. Cette drôle de cour façon la Belle et la Bête dura un certain temps. Un jour, Alfred envoya un cadeau d'un genre particulier à Melanie, cinq ans, la fille de « Tippi » : une poupée à l'effigie de sa mère, habillée et coiffée comme le personnage qu'elle incarnait dans The Birds – placée dans un petit cercueil en pin.

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Une autre fois, il profita d'une séance de maquillage (qui comprenait notamment des essais de « blessures ») pour commander une réplique du visage de « Tippi », qu'il conserverait et protégerait jalousement par la suite dans un coffret de velours rouge.

Un jour, il lui envoyait des lettres chaleureuses et passionnées ; le lendemain elle recevait des mémos froids et terre à terre.

Elle eut beau lui faire part de son intention de se remarier – elle allait épouser son agent une fois le film achevé –, rien ne le décourageait : il se répandit en effusions, lui déclara qu'elle était tout ce dont il avait toujours rêvé. Si seulement Alma avait pu s'endormir pour ne jamais se réveiller…

Le scénario de Marnie peut être interprété comme une mise à nu symbolique de la vaine convoitise du réalisateur pour sa star : une cleptomane frigide y résiste aux avances que lui fait son mari lors de leur lune de miel, puis tente de se suicider après qu'il l'a violée.

Durant le tournage, Alfred poursuivit son rêve de vieux vicelard – il devait flairer la chaise roulante et le pacemaker qui le guettaient en coulisse. Marnie fut le cri du cœur* d'un homme âgé. Un jour, à mi-parcours, il fit des propositions indécentes à « Tippi » dans sa caravane. Une scène de pur mélodrame victorien : le méchant menaça de la détruire si elle n'obtempérait pas. Mais c'était non. Dès cet instant, il refusa de lui adresser directement la parole sur le tournage. Il se tournait vers ses assistants : « Dites à cette fille de… »

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Son déclin physique et moral était visible à l'issue de Marnie. Gravement déprimé, il inséra dans Frenzy la scène de viol la plus brutale et la plus terrifiante qu'il ait jamais couchée sur pellicule.

Les références au bondage abondent dans les films de Hitchcock. Mais c'est à son public qu'il administre l'exercice SM ultime. Il tenait en haleine ses spectateurs plongés dans l'obscurité – par la ruse, le génie, le savoir-faire. Une fois cloués dans leur fauteuil, le maître de la peur les tourmentait à cœur joie. Et contrairement à Grace et « Tippi », le public, lui, venait toujours en redemander.


*Les expressions marquées d'un astérisque sont en français dans le texte. – N. d. T.

(c) Kenneth Anger, 1984, pour le texte et les photographies
Titre original : Hollywood Babylon II . E. P. Dutton, Inc., New York 1984
Tous droits réservés
(c) Éditions Tristram, 2016, pour la traduction française

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