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Qui êtes-vous, les collectionneurs d’obus français ?

Par amour du patrimoine, de nombreux amateurs d'objets militaires conservent des munitions non-explosées chez eux.

Un Marine fume une cigarette sur un obus. Photo via

Je n'ai jamais vraiment eu l'âme d'un collectionneur. Bien sûr, comme la plupart des gens de ma génération, j'ai eu en ma possession un vieux classeur rempli de cartes Pokémon et une poignée de stickers Panini – avant de finir par les revendre pour une misère quand il a fallu financer mes nouvelles passions adolescentes (à savoir les albums des Guns N'Roses). Au passage à l'euro, j'avais également essayé d'obtenir une pièce de chaque pays – mais là encore, la vénalité a repris le dessus, et mes euros finlandais et grecs ont fini dans les entrailles d'un distributeur automatique. Et dire que pendant tout ce temps, un type de ma classe occupait ses journées à cette noble activité qu'est la philatélie. Je ne l'envie pas: je porte un intérêt très relatif aux timbres. Mais la patience, la passion dont il faut faire preuve sont admirables. Et surtout, sa collection est évaluée à près de 500 euros.

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Contrairement à moi, les collectionneurs ne s'arrêtent pas à ces considérations bassement pécuniaires. Harvey Nininger a par exemple prouvé qu'à force de persévérance, un véritable passionné – en l'occurrence, un dingue de météorites – pouvait devenir un expert en cailloux – pardon, en minéraux – extraterrestres. D'autresse contentent d'amasser 30 000 buvards de LSD parce qu'ils « aiment les choses bien faites ».

Les amateurs d'objets militaires, eux, justifient avant tout leur passion par un intérêt historique : casques de poilus, insignes, lettres constituent ainsi un témoignage de première main des batailles qui ont eu lieu sur le territoire français. Parmi ces collectionneurs, certains, passionnés d'armes à feu, s'intéressent plus spécifiquement aux armes et munitions anciennes. La nature dangereuse de ces objets les oblige à se plier à une législation assez stricte, mais ils peuvent s'appuyer sur des structures associatives bien établies, comme l'Union Française des amateurs d'Armes (UFA), qui sont régulièrement consultées par les autorités à titre d'expertise.

Trois types d'obus utilisés lors de la Première guerre mondiale. Photo via

Assouplie en 2012, la législation autorise désormais l'accès aux armes de collection, définies comme « toute arme dont le modèle est antérieur à 1900 » ; auxquelles s'ajoutent des armes plus récentes mais présentant un « intérêt culturel, historique ou scientifique » particulier. Cette modification de la loi a soulevé des critiques pour la manière arbitraire dont sont définis ces cas exceptionnels ; mais elle a tout de même été accueillie avec soulagement par certains collectionneurs dont elle régularise la situation. Sur le site de l'UFA, l'un d'entre eux commente :

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« Mon enfance a été bercée par les récits de guerre, aussi les souvenirs militaires des deux guerres mondiales m'ont-ils toujours fasciné. […] Au cours des années ma collection s'est agrandie de nouveaux achats mais ceci s'est toujours fait avec le sentiment de me mettre d'une certaine façon en péril en transgressant la loi et et l'obligation de devoir dissimuler ma passion vis à vis de mon entourage. (…) L'entrée en application de la nouvelle loi du 6 mars 2012 laisse bien sûr subsister quelques insatisfactions mais elle va enfin me permettre (ainsi qu'à bien d'autres collectionneurs) de vivre ouvertement ma passion pour les fusils militaires. »

Quoiqu'il en soit, ces armes doivent avoir été neutralisées pour éviter qu'elles soient détournées de leur usage décoratif – ou plutôt, qu'elles retrouvent leur fonction première. Un collectionneur peut ainsi les faire neutraliser par des professionnels et les conserver en toute sécurité – et en toute légalité.

Néanmoins, cette loi n'a pas concerné tous collectionneurs d'armes et munitions historiques de la même manière. En interdisant la neutralisation, et a fortiori la détention de toute munition de plus de 20mm, elle exclut qu'on puisse conserver des obus – à l'exception des douilles ayant servi, en 14-18, de matière première pour la réalisation d'objets d'artisanat.

Or, il se trouve que certains collectionneurs, décident justement de mettre la main sur des obus.Ils sont parmi les objets militaires les plus faciles à trouver, du fait de l'importante quantité de ces munitions encore enfouies et qui remontent à la surface au fil du temps : 400 à 700 tonnes de munitions non-explosées sont ainsi traitées chaque année en France par les services de déminage. Il suffit donc pour certains collectionneurs d'un peu d'attention, voire d'un détecteurs de métaux pour trouver au cours de leurs promenades de quoi enrichir leur collection. Le problème qui se pose alors est qu'en l'absence de structures légales et sûres pour faire neutraliser ces bombes, les collectionneurs choisissent de procéder à la neutralisation eux-mêmes.

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Puisqu'un garage n'est pas tout à fait le lieu le plus adapté à la neutralisation d'un obus de la Première Guerre mondiale, il arrive que les trouvailles des collectionneurs leur explosent entre les mains. En 2014, un collectionneur est ainsi mort après avoir tenté de « décaper» un obus. Mais impossible de déterminer si ces accidents sont fréquents, ou s'ils sont le fait de quelques collectionneurs particulièrement malchanceux – ou malhabiles. Ce n'est pas tant que l'explosion d'un obus de la Luftwaffe dans une maison de village soit difficilement repérable pas parce qu'ils sont difficiles à repérer, mais il n'existe évidemment aucun moyen d'estimer le nombre de collectionneurs et la quantité d'obus en leur possession.

Il est également difficile d'entrer en contact avec ces collectionneurs. À leur volonté de garder leurs activités secrètes, s'ajoute la crainte que les médias ne les fassent passer pour des fous. L'un d'entre eux a justifié ainsi son refus de répondre : « Tout sera transformé dans le but de faire passer les collectionneurs d'armes et de munitions et objets militaires pour des gens dangereux. L'amalgame est vite créé. (…) Les collectionneurs – qui ne sont que des gens pacifiques et protecteurs du patrimoine – vivent maintenant dans la persécution. »

Il ajoute néanmoins que la faute revient, selon lui, aux autorités, qui ne mettent pas en place les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des collectionneurs. L'argumentation se calque à demi-mot sur celle ayant servi contre la prohibition, ou, aujourd'hui, pour défendre la légalisation du cannabis : il est reproché à l'administration de fermer les yeux sur les comportements des collectionneurs d'obus, et, en se contentant d'une législation stricte mais inefficace, à les pousser à prendre des risques évitables.

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J'ai demandé à Jean-Jacques Buigne, président de l'UFA, si cette argumentation pouvait suffire à faire reconsidérer la classification des obus, afin de permettre aux collectionneurs de les faire neutraliser par des professionnels dans un cadre sécurisé. « Quand j'ai proposé au Ministère de l'Intérieur de permettre aux collectionneurs de faire neutraliser leurs obus par les services du déminage, ils m'ont répondu qu'ils n'avaient''pas le personnel en suffisance pour assumer ces neutralisations''. C'est une réponse nette qu'il faut prendre comme une fin de non-recevoir. »

Mais si les démineurs eux-mêmes trouvent de plus en plus dangereux de neutraliser ou déplacer les obus, comment expliquer que des amateurs s'y essaient malgré tout ? Thierry Vareilles, un ancien artificier-démineur devenu consultant en déminage, m'a suggéré que malgré les risques – aussi élevés soient-ils – des collectionneurs continueront de partir à la chasse à l'obus :

« Le problème des collectionneurs, c'est qu'ils sont passionnés. De ce fait, rien ou presque rien ne les arrêtera. Ils savent pertinemment qu'ils sont dans la totale inégalité, ils savent qu'ils font quelque chose de dangereux, mais ils continuent quand même à collectionner au nom de l'histoire de France. Le souvenir, l'histoire d'une bataille spécifique – telle ou telle tranchée à Verdun par exemple – d'une guerre ou carrément l'histoire d'une munition. Certains aspirent ainsi à détenir les différents modèles d'une même munition. »

Il ajoute que s'il existe des unités chargées de neutraliser des munitions pour fournir les musées, elles ne suffiront jamais à dissuader les collectionneurs :

« Les collectionneurs prennent des risques énormes pour eux et leur entourage ; mais il faut admettre qu'ils détiennent une partie de notre histoire. Par manque de budget, de personnels compétents, ou encore de capacités de stockage, les unités spécialisées n'ont pas les moyens de rivaliser avec certains collectionneurs, capables de constituer des collections uniques au monde. Je sais ainsi de source sûre que c'est un particulier qui possède la plus grande collection de mines antipersonnel et antichar de France, et sans doute d'Europe voire du monde. »

C'est d'ailleurs sans doute parce que certains collectionneurs sont prêts à tout sacrifier à leur passion qu'ils sont capables de constituer de telles collections. Leur souci d'authenticité historique et leur goût pour le risque laissent penser que tant qu'il y aura des obus dans les campagnes, il y aura des collectionneurs à leur recherche. Fous d'histoire, fous tout court, ou qu'il fasse preuve d'une folie ordinaire – celle du collectionneur – Thierry Vareilles se garde de juger. Ce qui ne l'empêche pas de conclure : « À eux de prendre leurs responsabilités. Mais on n'a pas le droit de mettre en danger autrui. »