FYI.

This story is over 5 years old.

Stuff

De l’impossibilité d’être réfugié quand on a un casier judiciaire

Calvin Carter a vu son copain se faire assassiner avant d'être lui-même menacé de mort – mais son passé de délinquant l'empêche d'être protégé ailleurs.

Calvin Carter et trois de ses enfants. Photo publiée avec l'aimable autorisation de Clara Hernandez.

Il y a un an, Calvin Carter regardait son copain se faire assassiner dans leur maison en Jamaïque. Depuis, il a fui aux États-Unis – selon ses avocats, c'était une question de vie ou de mort. La sodomie étant considérée comme illégale en Jamaïque, Calvin était constamment en proie au harcèlement, à l'homophobie et aux menaces de mort. C'est pour cette raison qu'il cherche à vivre de manière permanente sur le sol américain. Mais pour les personnes qui ont un casier judiciaire, obtenir le statut de demandeur d'asile relève de l'impossible.

Publicité

Calvin est arrivé pour la première fois aux États-Unis en 1998 avec un visa de touriste, mais il a tenu à y rester après son expiration. Il a construit sa vie et fondé une famille à New York. Des années plus tard, il a été arrêté pour possession de marijuana et violences conjugales. Il a alors été expulsé vers la Jamaïque. C'était en 2014.

D'après Mark Reid, assistant juridique, Calvin était sorti avec des femmes pendant de nombreuses années et était même père de cinq enfants nés sur le sol américain. Peu avant son expulsion, Calvin s'est révélé être homosexuel. Une fois rentré en Jamaïque, il est sorti avec des mecs et a fini par s'installer avec son copain de l'époque. Les ennuis ont commencé pour lui en juin 2015.

« Il est allé voir la police en Jamaïque pour leur dire qu'il était persécuté, violenté, que des types menaçaient de les tuer [lui et son copain] à chaque fois qu'ils sortaient de la maison », m'a confié Reid.

Mais au lieu d'assurer sa protection, les autorités jamaïcaines ont menacé Calvin d'arrestation pour « conduite homosexuelle », ce qui est toujours interdit dans le pays. Quelque temps après, Calvin a confié avoir vu son copain se faire poignarder par des gars du quartier. (Les avocats de Calvin assurent qu'il s'agit d'un meurtre prémédité). Craignant pour sa vie, Calvin a donc fui pour les États-Unis. Depuis, il s'est fait arrêter à la frontière et est détenu au centre de détention Adelanto en Californie, réputé pour être l'un des centres particulièrement violent.

Publicité

Bien qu'aucun meurtre ne figure sur son casier, Calvin est considéré comme coupable de « crime grave » – et d'après les lois américaines relatives à l'immigration, ce type de criminels ne peut pas demander l'asile. En conséquence, Calvin a fait appel à la CAT(Convention Against Torture) qui exige aux postulants de prouver les menaces encourues s'ils venaient à retourner dans leur pays. Les standards d'acceptation demandés sont beaucoup plus exigeants que pour n'importe quelle autre forme de protection.

Obtenir un statut de réfugié aux États-Unis n'est pas chose facile, mais pour les gens comme Calvin Carter, la situation peut rapidement tourner au cauchemar. D'après le Département de la Justice, en 2013, seulement la moitié des demandeurs ont obtenu l'asile – tandis que 2 % des demandes effectuées auprès de la CAT ont abouti.

Cependant, il arrive parfois que les conditions de vie en Jamaïque parlent d'elles-mêmes. « Beaucoup de Jamaïcains ont reçu l'aide de la CAT car le juge avait estimé que leur vie était en danger », m'a expliqué Aaron Morris directeur de l'association new-yorkaise Immigration Equality qui se bat pour les droits des immigrés LGBT. De nouveaux comptes rendus font mention de l'assassinat de plusieurs homosexuels en Jamaïque ces derniers mois, et il y aurait un couple assassiné à son domicile parmi eux.

Morris m'a avoué que la majorité des demandeurs d'asile de son association venaient de Jamaïque. Un rapport sur les droits de l'homme datant de 2014 montrait que la communauté LGBT jamaïcaine faisait face à un « risque de violence élevé, une vulnérabilité accrue par la pauvreté et le rejet des familles, ainsi que par les réactions en demi-teinte de la part des autorités et de la société ».

Publicité

Lors de son pénible entretien avec les services de l'immigration, Calvin a évidemment évoqué tous ces facteurs. Mais ça ne sera peut-être pas suffisant pour rester sur le sol américain après l'annonce du jugement qui sera donnée au cours du mois. Au mois d'août, un tribunal de l'immigration a soutenu qu'un autre Jamaïcain nommé Ray Fuller n'avait pas respecté les critères pour obtenir une protection. Il n'avait apparemment pas réussi à « prouver clairement qu'il était bisexuel ». Ray avait déjà été marié à une femme et sollicité l'aide de la CAT. Il n'avait pas demandé l'asile à cause de son passé judiciaire – il avait été arrêté pour harcèlement sexuel. Des facteurs jugés incohérents qui ont poussé la juge à refuser sa demande, l'empêchant ainsi de venir aux États-Unis.

Si les avocats de Calvin ne sont pas soucieux en ce qui concerne les preuves de son homosexualité (même si ce dernier a entretenu des relations avec des femmes et a eu cinq enfants), ces deux affaires nous démontrent les difficultés endurées par la communauté LGBT pour obtenir la protection de la CAT. Tout comme Calvin, Ray a parlé des sévices subis à cause de sa sexualité en Jamaïque – il a même avoué avoir reçu une balle d'un militant « anti-gay » alors que lui et son copain étaient dehors à faire la fête.

Les avocats s'inquiètent davantage au sujet de son statut de criminel. En ce qui concerne l'immigration les lois sont strictes si l'on veut obtenir un semblant de protection : aucun délit n'est accepté. D'après un article rédigé par deux juges de l'immigration et paru dans une revue de droit en 2011 : « nos lois sur l'immigration jugent que les délits mineurs et non-violents sont considérés comme des crimes ». On retrouve parmi les délits mineurs le vol, la fraude fiscale ou encore le refus de se présenter au tribunal.

Publicité

Abraham Paulos est le directeur de l'association pour les droits de l'homme Families for Freedom, basée à New York, qui vient en aide aux familles expulsées. Il m'a assuré que certaines personnes n'ont « même pas passé une seule journée en prison » et sont encore considérées comme des criminels.

« On observe un écart insensé entre la nature de certains délits et accusations et leurs conséquences en termes d'immigration », a poursuivi Abraham.

Même si Calvin est sous la protection du CAT en ce moment, son parcours est loin d'être terminé. Les demandeurs d'asile acceptés reçoivent ensuite une carte de résident permanent, ce qui leur permet de travailler et de bénéficier d'allocations. Néanmoins, le statut accordé par la CAT permet aux bénéficiaires de ne pas être renvoyés dans le pays où ils sont menacés. Rien ne les assure non plus d'une sortie du centre de détention. (Les services de l'immigration n'ont pas tenu à commenter cette affaire.)

Mark Reid est inquiet pour l'avenir de son client, dont le sort sera scellé ce mois-ci. Si Calvin est expulsé vers la Jamaïque, il va « sûrement mourir ».

Aviva Stahl est sur Twitter.