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Être stagiaire non rémunéré dans la police américaine : un rêve devenu réalité

Le seul truc cool : ils vous fournissent un flingue et un badge.

Les officiers auxiliaires bénévoles de la police de New-York ont les mêmes responsabilités que les officiers traditionnels. Le salaire en moins. Photo via le Flickr d’André Gustavo Stumpf

À Oakland, en Californie, les autorités en charge du logement cherchent des policiers capables de patrouiller dans leurs quartiers et d’« assurer tous les devoirs d'un officier de police » – ce qui comprend notamment « l'éradication de la drogue » et la responsabilité des « évictions et autres mesures du même ordre ». Les candidats disposant d'une expérience dans « l'utilisation sécurisée d'armes à feu » sont vivement encouragés à déposer un dossier de candidature.

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À Miramar, en Floride, la police locale recherche elle aussi des « officiers de réserve » afin d’accomplir « les mêmes missions de surveillance qu'un officier à temps plein. » Comme leurs collègues qui bossent 8 heures par jour, ces flics à temps partiel auront « le pouvoir de faire respecter la loi et seront en droit de procéder à une arrestation. »

À Wichita, au Kansas, ils sont à la recherche de quelqu'un qui pourra procéder non seulement à une arrestation, mais aussi mettre la personne en prison et diriger des « opérations spéciales telles que des raids ». Ce poste suppose « une part de danger », ce qui signifie que les candidats devront être capables de « tirer au fusil, à la carabine, au pistolet, et ce, des deux mains. » Ils devront également savoir « réagir vite et calmement en cas d'urgence, et retenir des informations sur les noms, les visages et les incidents, de façon claire et précise. »

Toutes ces tâches sont dangereuses et requièrent l'usage d'une arme mortelle. L’État américain donne donc à un être humain le pouvoir de placer un autre être humain en garde à vue, et lui accorde le bénéfice du doute s'il en tue un. Pire que tout, ce poste n'est même pas rémunéré.

Selon les cas, ces officiers non payés sont de vrais bénévoles : il s’agit pour moitié d'anciens flics qui cherchent à occuper le temps libre qu’ils ont mis 40 ans à acquérir. Mais l’autre moitié de ces « policiers de réserve » ont moins de 40 ans, et un quart d'entre eux moins de 30, d'après une récente étude parue dans le magazine Police Chief. Dans ce cas, pourquoi ces gens veulent-ils travailler gratuitement ?

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« Beaucoup de gens veulent rentrer dans la police, mais comme nous embauchons peu, ils ne peuvent pas rejoindre nos forces », explique Jose Hernandez, porte-parole du Département de Police de Las Vegas dans le Las Vegas Review-Journal.

Techniquement, il s'agit de stagiaires non rémunérés qui ne ramènent pas de café à leurs supérieurs, mais des suspects. Bien que ces officiers reçoivent la même formation que leurs collègues rémunérés, Hernandez explique dans l'article : « Le fait de ne travailler que deux fois par mois ne leur permet pas d'avoir la même expérience que leurs pairs. Ils sont donc contraints de patrouiller avec un partenaire à temps plein. »

Mais ce n’est pas le cas dans toutes les juridictions. À Valley Mills, au Texas, des policiers de réserve non rémunérés peuvent parfois se retrouver seuls dans des voitures de police. À Whitney, au Texas, être « officier de police non rémunéré » est un boulot à temps plein, et on attend de ces policiers « qu'ils accomplissent les mêmes tâches que les officiers à temps plein. »

Chaque département est libre de choisir s'il utilise des réservistes, et si oui, la manière dont il les utilise. En 2011, plus de 2 100 départements ont choisi d'avoir recours à des volontaires, selon l'Association Internationale des Commissaires de Police. Ce nombre a probablement augmenté en ces temps d'austérité, et tandis que les services de police locaux reçoivent les chars offerts par le gouvernement fédéral, ils n'ont pas les moyens (ou le désir) de payer des agents débutants qu'ils seront par la suite contraints de former.

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« Ces dernières années, les départements ont dû faire face à plusieurs coupes budgétaires, et une inquiétude légitime plane au dessus des policiers à temps plein. Ils craignent que ces compressions changent leur propre statut en ‘‘bénévole’’ » m’a rapporté Rich Roberts, porte-parole de l'International Union of Police Associations. « Cela causerait du tort aux officiers et aurait des conséquences négatives sur la population. »

Les départements n'admettront jamais qu'ils sont en train de remplacer des employés rémunérés par des « bénévoles » mais lorsqu’on voit que ces volontaires doivent accomplir les mêmes missions qu'une équipe à temps plein, le subterfuge se révèle dans toute son horreur : l’État américain remplace les employés rémunérés par des employés gratos. OK, ces municipalités n'ont peut-être pas le budget nécessaire pour embaucher d’autres flics, mais quand on voit que des volontaires sont prêts à faire gratos ce que l’on considère d’habitude comme un job, on comprend qu’embaucher – pour de vrai – des policiers ne fasse plus partie de leurs priorités.

Il existe tout un tas de gens désespérés qui acceptent aujourd’hui de travailler gratuitement, même dans des domaines comme le journalisme ou la police. « La hausse du chômage peut se transformer en une source importante de volontaires », peut-on d’ailleurs lire dans les pages du magazine Police Chief.

« Un individu peut, lorsqu’il perd son emploi, perdre toute estime de soi. La plus grande partie de sa vie sociale se produit, en effet, sur son lieu au travail – ou en découle. Se porter volontaire dans la police peut être une solution pour sortir d'une telle situation. »

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Alors que certains départements demandent juste un petit coup de main de la part de ces chômeurs-devenus-officiers bénévoles, d'autres en font déjà bossé une vingtaine, voire plus. L'Office du Shérif du Comté d'Oakland compte plus de 100 membres dans son service de réserve. Los Angeles en dénombre environ 700. La police de New-York en possède environ 4 500, ce qui veut dire qu'un officier sur huit de la NYPD n'est pas rémunéré. (En revanche, les officiers auxiliaires de la police de New-York, à l'inverse d’autres municipalités, ne portent pas d'armes à feu.)

Le fait que certains départements soient particulièrement pauvres ne signifie pas que les États-Unis ne dépensent pas d'argent dans les services de police, et pour preuve : le taux de criminalité aux États-Unis est en baisse depuis des décennies. Entre 1993 et 2010, le nombre de meurtres par arme à feu a chuté de 49% d'après une analyse des chiffres annoncés par le gouvernement du Pew Research Center. Au cours de cette période, les crimes considérés comme « les plus graves » ont baissé de 72%. En 2013, le taux d'homicide commis à Détroit a chuté de 14%. Le nombre d'homicides à Los Angeles n'a pas été aussi bas depuis 1966. L'an dernier, Chicago a enregistré son taux de meurtre le plus bas depuis 1965.

Moins de crimes devrait signifier moins de policiers et donc moins d'argent à dépenser dans des engins de guerre. Cependant, l'argent dépensé pour faire respecter la loi n'a fait qu'augmenter ces vingt dernières années – lequel a surtout servi à acheter du matériel militaire, et non à augmenter les salaires de ceux qui s’en servent.

L’idée selon laquelle les flics américains ne travailleraient que pour se payer des donuts peut faire déconner vos gentils voisins anarchistes ; en revanche, l'idée qu'un bénévole inexpérimenté – disposant d’un badge et d’une arme – patrouille dans les rues et vire des gens de chez eux n'est pas des plus rassurante. Ça fait même putain de peur. Il devrait y avoir moins de policiers, c'est certain – mais aussi moins de connards avec un badge.

Charles Davis est journaliste et réalisateur ; il est basé à Los Angeles. Son travail est paru dans des médias tels qu’Al Jazeera, le New Inquiry, ou Salon.