L’histoire remonte à juillet 2013. Un après-midi à Montréal, au Canada, je me décidais à aller pour la première fois au Piknic Electronik, festival de musique local apprécié des Montréalais. J’y allais pour prendre des photos d’inconnus se déhanchant, en sueur. C’est du moins ce que je faisais jusqu’à ce que je découvre, près des enceintes et dans un épais nuage de fumée de cigarettes, une scène surréaliste.
Au milieu des jeunes adultes, je tombai sur deux femmes, dont une très âgée, en fauteuil roulant, affublée de lunettes de parachutiste et coiffée d’une couronne rose clignotante. L’autre, la quarantaine et le sourire aux lèvres, lui amenait une cuillère de compote à la bouche. C’était Shirley Bali, 78 ans, atteinte de la maladie de Parkinson, et Gita Bali, sa fille unique.
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Je m’approchai des deux femmes, et dans un vacarme anarchique, on s’échangeait deux, trois mots et un numéro de téléphone. Quelques jours plus tard, je me retrouvais dans leur appartement montréalais pour les accompagner à une nouvelle soirée : le concert du rappeur Drake.
« Ma mère est une vraie fêtarde », m’a répété plusieurs fois Gita, qui prend soin de sa mère nuit et jour avec une détermination sans égale depuis 7 ans. Célibataire et sans enfant, Gita vit avec ses parents. Son père est présent pour l’aider, mais âgé de 90 ans et lui-même occupé à donner des cours de yoga, c’est Gita qui doit s’occuper de tout. Malgré le fauteuil roulant de sa maman, sa difficulté à bouger et s’exprimer, Gita traîne sa mère malade dans un nombre incalculable de concerts. Parmi ceux-ci : Beyoncé, Pitbull, Rihanna, Miley Cyrus, pour n’en nommer qu’une poignée.
À chaque fois, c’est comme si Gita retombait en enfance et qu’elle habillait sa poupée Barbie. Elle vit un monde magique où les enfants sont les parents et où les mamans redeviennent de gentils bambins. « Dehors, les gens nous regardent comme si on avait dix têtes chacune », m’a-t-elle dit. Costume excentrique, gilet à paillettes, couverture léopard, chaussures parsemées d’autocollants multicolores et diadème de princesse – à chaque sortie, Gita habille sa maman d’une nouvelle parure.
« Pourquoi faire subir ça à ta pauvre maman ? », lui demandent certaines personnes, perplexes quant à ce traitement inédit de la maladie de Parkinson. « Elle aime ça. Je le sais, car ma mère et moi, on se connaît par cœur », m’explique Gita, qui reconnaît tout faire pour maintenir sa mère en vie. « Faire la fête est ce qu’il y a de plus stimulant pour elle. » Davantage stimulant, selon elle, que tous les médicaments que sa mère pourrait avaler.
D’origine indienne, la famille Bali vit au Canada depuis une vingtaine d’années. C’est le diagnostic de la maladie qui a poussé Shirley à quitter son pays natal. Avant Parkinson, Shirley était une personne énergique. Dans les années 1950, elle était athlète de haut niveau, remportant plusieurs courses et trophées. Plus tard, elle a travaillé en tant qu’hôtesse de l’air pour Air India, où il lui arrivait de servir le Pape en première classe et faire la couverture de publicités pour la compagnie aérienne, alors à son apogée. Mannequin à ses heures perdues, Shirley est arrivée quatrième lors du concours de Miss Univers en 1964.
Sa fille Gita, au summum de sa beauté dans les années 1990, est également apparue sur nombre de couvertures de magazines indiens en vogue à l’époque.
Top modèle et actrice pour des clips Bollywood, Gita a voyagé dans 27 pays. Alors qu’une carrière de star se dessinait sous ses yeux, elle fut obligée d’y mettre un terme après avoir appris la maladie de sa mère. Malgré son entourage qui lui conseillait d’envoyer sa mère en maison de retraite, sa réponse fut claire. « C’est non. Je continuerai à prendre soin d’elle jusqu’à mon dernier souffle », rétorquait – et rétorque – toujours Gita.
J’ai pris les photos ci-dessous au cours des quelques jours que j’ai passés avec elles.