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Mon expérience de voleur à l’étalage m’a permis d’assister au tournage du nouveau clip de Drake



Règle #1 du vol à l’étalage : « agir naturellement ». En gros, le truc qu’il faut se dire, c’est : « tant que je suis parfaitement à ma place, personne ne me remarquera. » Il n’y a encore pas si longtemps, je rapportais des sacs de courses vides dans les supermarchés pour les remplir, tout simplement. Ce qui m’est resté de cette période, c’est une assurance sans faille, atout de poids dans une industrie où le taux d’excitation avoisine parfois celui de la kleptomanie. Une assurance qui m’a permis d’obtenir des boulots que je ne méritais pas, et d’être invité à des fêtes ou des concerts auxquels je n’aurais jamais dû être. Plus récemment, elle m’a conduit sur un toit de Harlem où se trouvaient Drake, A$AP Rocky et un piano à queue couleur crème.

Je vous replace le contexte. Un dimanche soir, dans le metro, alors que j’effectuais un trajet interminable depuis le Lower Manhattan, je tombe sur de vagues tweets parlant du tournage d’un clip de Drake. L’information semblait plutôt douteuse. Les gens parlaient d’une intersection, postaient des photos floues. Le premier texto de mon rédacteur en chef laissait même entendre que le Wu-Tang Clan était présent. Peu importe, je passais une heure angoissante en sous-sol, avec une connexion au monde extérieur proche de zéro et aucun indice concret à ma recherche de mots-clés « Drake + Harlem » sur Twitter.



Honnêtement, j’étais quasi certain que c’était bidon. J’ai fini par associer Drake avec la poisse – j’ai falli le voir plusieurs fois en live, mais ça a toujours foiré. Une malchance qui m’a notamment valu d’acheter deux faux billets sur Craigslist à Brooklyn, et une prise de tête avec un opérateur téléphonique incompétent qui devait m’appeler à Atlanta. Je n’avais aucune raison de croire que ça allait marcher cette fois-ci. Pourtant, l’argument se tenait : Drake pouvait très bien filmer une vidéo ce soir là. Il y avait les Golden Globes, la première de Girls et le départ en fanfare de la tournée mondiale de Jay Z pour tenir les masses prolétaires au chaud et éviter que les badauds ne s’incrustent.

Une fois de retour à la surface, j’ai réussi à collecter de nouvelles informations : A$AP Rocky était également présent sur le tournage, qui avait lieu pour la vidéo du futur remix de « Wu-Tang Forever ». Après un long moment à zoner dans le coin, je me suis dirigé vers le métro pour rentrer, battu une fois de plus par la malédiction Drake. C’est alors que je suis tombé sur une foule, les yeux rivés sur l’entrée d’un immeuble de sept étages appelé Watt’s Court. Des policiers bloquaient l’accès au trottoir avec une bande jaune, ça aurait pu tout aussi bien être une scène de crime. Mais aucune adolescente hystérique ne se serait mise à hurler « WORST ! » si ça avait été une scène de crime.



Après une trentaine de minutes à me demander si tout ça n’était pas une phénoménale perte de temps, je remarquai qu’à gauche de l’immeuble, le trottoir, qui était encore bondé quelques secondes plus tôt, venait de se vider intégralement. Un type d’âge moyen est sorti de l’immeuble et s’est avancé vers moi. Pensant qu’il allait me demander de dégager, j’ai commencé à m’éloigner, mais le type s’est mis à me fixer avant de me demander ce que j’attendais. À ce moment précis, mes vieux instincts de voleur à l’étalage se sont réveillés. Je me suis tout de suite senti à ma place. Je faisais partie de la presse, j’attendais un manager de la production qui allait me permettre de franchir la ceinture policière. Mon vrai moi refaisait surface. Deux minutes plus tard, je me retrouvais dans un ascenseur. L’espace d’une seconde, je me suis dit, attends, mais j’ai aucune idée de qui sont ces gens et de ce qu’il se passe ici. Mais c’était trop tard : j’avais franchi la barrière.



Je suis arrivé au dernier étage et après avoir pris un escalier, je me suis retrouvé sur un toit, face à une plateforme sur laquelle se trouvaient Drake et A$AP Rocky. Entre l’équipe de tournage, les potes et l’entourage, il n’y avait pas plus d’une trentaine de personnes éparpillées sur le haut de l’immeuble. Les deux rappeurs faisaient du lip-sync et recommençaient jusqu’à la perfection, positionnés entre l’unique caméra et un magnifique piano à queue. Entre les prises, les managers gueulaient pour qu’on apporte son chocolat chaud à Drake, et les deux rappeurs discutaient des mouvements qu’ils allaient faire dans la scène suivante. Sur la dernière prise, Rocky a atrappé une bouteille de bière posée sur le piano et l’a intégralement vidée sur l’estrade. Ce qui n’a pas manquer de déclencher cris et énervements chez les membres du staff, qui se sont mis à courir en réclamant des serviettes.

Pendant qu’ils nettoyaient et rangeaient le plateau, Drake s’est glissé derrière l’écran pour regarder la prise. Il a posé sa main sur son menton, faussement intéressé, l’air hyper satisfait. Il s’est ensuite mêlé aux autres pendant un moment, a discuté avec des amis, a posé sur des photos pour des inconnus et s’est descendu un autre chocolat chaud. Pendant le shoot, je me suis promené sur le toit, j’ai causé avec des membres du crew, et jai pris des photos avec mon téléphone, même si je n’étais pas censé le faire. Le directeur de la photographie m’a confié qu’il n’avait aucune idée de la façon dont le piano avait atterri ici. Le type qui m’a conduit sur le toit m’a expliqué qu’ils allaient continuer à tourner jusqu’au petit matin. La fille qui apportait des glacières pleines d’une boisson inconnue m’est passée devant sans rien dire. Un policier m’a expliqué qu’il n’y avait actuellement aucun incident dans la rue, mais qu’il s’attendait à ce que les choses tournent au vinaigre dans les heures à venir.



Après un moment, je suis redescendu dans le hall de l’immeuble. Un homme et une femme étaient en train de discuter entre deux portes, avec moi au milieu. L’homme avait deux yeux au beurre noir et un visage lacéré par les coups. Il racontait comment on lui avait cassé la gueule la veille, à deux rues de chez lui, pendant une fête. La femme paraîssait inquiète et l’encourageait à donner des détails. Pendant qu’il racontait tranquillement son agression brutale et la mauvaise nuit qu’il a passé, Drake est apparu en haut des escaliers. Instantanément, la femme a complêtement laissé tomber le mec et son histoire pour se mettre à crier : « C’est lui ! C’est Drake ! ». Le mec, lui, avait sorti son téléphone et était en pleine furie photographique. Les pouvoirs guérisseurs de Drake sont réels.

Puis, Drake est monté dans l’ascenseur. Un grand type blanc vêtu d’une parka October’s Very Own de la taille d’une robe se tenait en face de lui au moment où les portes se sont fermées. Le type avec la tronche éclatée a rangé son téléphone et son sourire nerveux s’est effacé.

En sortant de l’immeuble, et durant le trajet de retour chez moi, c’était comme si rien ne s’était passé. Je n’étais plus le concentré de confiance qui avait atterri sur ce toit. Il me restait juste quelques photos ratées et une histoire décente, même si pendant ces deux séances de lip-sync sur « Wu-Tang Forever », il s’était clairement passé quelque chose.


Lukas Hodge est sur Twitter – @lukashodge