VICE et le Red Star se sont associés pour suivre la saison des Vert et Blanc de Saint-Ouen sur et hors des terrains, auprès des joueurs, du staff, des supporters et de tous ceux qui gravitent autour de ce club historique du foot français. Aujourd’hui, on s’intéresse à Ludovic Sylvestre, l’un des plus expérimentés du groupe pro, et Teddy Teuma, l’une des recrues de l’été. Deux joueurs aux carrières aussi antinomiques qu’atypiques, qui en disent long sur la diversité des parcours que peuvent emprunter les footballeurs.
Au milieu de terrain, leurs deux silhouettes émergent de la mêlée. La première, grande et élancée, appartient à Ludovic Sylvestre, élégant milieu de terrain de 33 ans, au crâne aussi glabre que sa barbe est fournie. La seconde, plus trapue, est celle de Teddy Teuma, collègue de « Ludo » dans l’entrejeu. Entre les quelques gouttes qui humectent le ciel, les deux hommes se donnent pleinement au cours de cette séance d’entraînement engagée, qui permet aux joueurs du Red Star de garder le rythme malgré une semaine sans championnat. Si les joueurs sont appliqués, l’ambiance, elle, est détendue, après un bon début de saison consacré par une quatrième place en National [avec un match en retard, ndlr] et une qualification pour les seizièmes de finale de la Coupe de la Ligue, que l’équipe jouera face à Metz.
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Une série de bons résultats a permis au groupe de trouver la fameuse « alchimie » que tout entraîneur recherche. Un équilibre d’autant plus difficile à trouver au Red Star qu’une grande partie de l’effectif a été renouvelée cet été. Parmi eux, certains ont connu les joies de la Ligue 1 ou même des championnats étrangers, quand d’autres découvrent tout juste le niveau professionnel. Chez les Audoniens justement, les parcours de Ludovic Sylvestre et Teddy Teuma incarnent parfaitement cette diversité.
À 23 ans, Teddy Teuma a signé son premier contrat pro au Red Star, armé de sa technique sûre et de sa gouaille méridionale. Pour parvenir à ce niveau, ce Toulonnais de naissance a dû batailler dur et emprunter des chemins de traverse. A l’inverse de beaucoup de pros, sa jeunesse n’a pas été marquée par un passage à l’INF Clairefontaine ou dans de prestigieux centres de formation. « J’ai été recalé de tous les centres où je me suis présenté parce que j’étais vraiment petit, rembobine Teddy Teuma,. Et puis, au-delà de la taille, à l’époque, je n’avais peut être pas les qualités pour passer dans un centre de formation, tout simplement », reconnaît-il humblement. Teddy accepte donc le verdict mais n’en perd pas de vue ses ambitions professionnelles pour autant. Il reste à l’école de foot de Toulon, avant de s’expatrier à quelques kilomètres de là, à Hyères, l’année de ses 14 ans : « Je suis parti parce que c’était là où les catégories étaient les plus élevées en jeunes. J’ai eu du temps de jeu direct à mon poste de prédilection, milieu défensif. Je n’ai jamais perdu espoir. » Une force de conviction qui nécessite un mental à toute épreuve, puisque c’est à cet âge que la plupart des carrières se dessinent. Mais celle de Teddy n’en est encore qu’à ses balbutiements.
« Ludo c’est un joueur complet, le mec qu’il faut au milieu de terrain, au cœur du jeu » – Teddy Teuma, milieu de terrain du Red Star
À 17 ans, il devient un rouage essentiel de son équipe de CFA, avec qui il joue pendant trois saisons. Trois années difficiles, puisque le jeune homme mène deux vies parallèles. Celle d’aspirant pro, et celle d’un jeune homme comme les autres. Le Bac puis une année de STAPS non reconduite – « ça commençait à devenir trop chaud à tenir » – le mènent sur le marché du travail à 19 ans. Heureusement, il peut compter sur l’appui de son père qui l’embauche dans sa boucherie. « J’ai coupé quelques côtes, mais j’étais surtout chauffeur, on livrait les restaus de la région, explique Teddy, qui doit composer avec un emploi du temps plus que chargé. Je travaillais de deux heures à midi cinq jours sur six, j’avais juste le temps de manger, de me reposer, puis j’allais à l’entraînement à six heures. Clairement, je n’ai pas beaucoup dormi à cette période, mais je remercie mon père tous les jours de m’avoir permis de travailler, c’était sa manière de me soutenir. » Pour tenir le choc, il peut aussi compter sur les conseils et la compréhension d’André Blanc, son coach d’alors, dont il est resté très proche encore aujourd’hui : « Il m’a fait grandir sur le plan sportif et humain. Je l’appelle toujours pour qu’il me conseille sur ma vie de footballeur mais aussi sur ma vie hors du terrain », appuie Teddy.
S’ensuit une belle histoire, « avec, comme toujours, un coup de chance, sans lequel la talent et le travail ne sont pas toujours récompensés ». Le directeur sportif de Boulogne-sur-Mer, qui le connaissait, le recrute et le fait venir dans le Pas-de-Calais. Un rêve de gosse, assorti d’une difficile adaptation climatique. Il faut dire que le bonhomme est Toulonnais et d’origine corse : il en garde d’ailleurs un beau tatouage « Seul Dieu peut me juger » écrit dans le dialecte de l’île de Beauté et un amour immodéré pour le soleil. « Sans exagérer, Boulogne, de ce point de vue-là, c’était pas facile ! », s’amuse Teddy, qui a donc posé ses valises à Saint-Ouen depuis cet été et accepté de ne plus pouvoir s’offrir des séances de bronzette dès le mois de mars. Avec le sourire : « J’en ai chié pour venir jusqu’ici, maintenant je me dis : “Profite, même si le temps est pourri!” Parce que parmi mes amis qui étaient en centre de formation, beaucoup n’ont pas percé et ont dû arrêter. Ça me permet encore plus de réaliser ma chance et à quel point c’est difficile. »
A ses côtés sur le terrain, mais aussi pendant l’interview, bien tanqué sur le canapé, Ludovic Sylvestre, dit « Ludo », rebondit illico : « C’est clair que des mecs talentueux qui brillent jeunes et qui se sont brûlés les ailes, j’en ai vu des milliers ! On leur dit que leur avenir est tout tracé, qu’ils vont finir en Champions League, et puis on n’entend plus jamais parler d’eux. C’est pour ça qu’il faut être heureux de ce qu’on fait et c’est aussi pour ça que des parcours comme celui de Teddy, c’est hyper respectable. » Tout sourire, Ludo affiche la sérénité de celui qui a bien baroudé et ne regrette rien de sa carrière. À l’inverse de son nouvel équipier, il est passé par l’INF Clairefontaine et un centre de formation, suite logique d’une enfance passée dans une famille où plusieurs footballeurs de bon niveau s’étaient déjà distingués, comme son oncle Eric Lada. « Mais attention, ça ne m’a pas empêché de galérer à un moment de ma carrière », tempère Ludo, qui évoque ses deux passages à Guingamp puis Strasbourg, sans contrat pro à la clé. Mais comme pour Teddy quelques années plus tard, la chance s’en est mêlée et a révolutionné sa vie.
Elle survient en 2005, et prend la forme d’un ancien recruteur de Strasbourg, proche du joueur, devenu agent. Ce dernier propose alors au jeune milieu de terrain un contrat en troisième division espagnole, mais doit lui trouver une solution alternative car le règlement interdit aux clubs de cet échelon d’engager des joueurs internationaux. Bingo. « Il m’a rappelé pour me dire : “J’ai un essai pour toi à Barcelone”. Là, je débloque au téléphone, je lui dis, mais Barcelone où, en banlieue, à l’Espanyol ? Il me dit : “Non non, au Barça”. Je me dis quand même que c’est bizarre, je n’y crois pas. C’est seulement quand je descends du train et que je vois qu’un mec m’attend à la gare avec une pancarte avec le blason du club que je comprends que c’était pas des conneries. J’ai fait cinq premiers jours d’essais, puis cinq autres. À ce moment, on se retrouve à faire une petite opposition contre les remplaçants de l’équipe une, et là, je fais le match de ma vie. Je mets même une lucarne enroulée du pied gauche, alors que moi, marquer des buts … et voilà ça s’est fait comme ça.»
Ludo, qui joue avec la réserve, vit alors un deuxième rêve éveillé lorsqu’il est amené à jouer deux matches de Liga avec l’équipe première : « J’ai même eu la chance de donner la passe dé qui offre le but du titre de pichichi à Eto’o. J’étais juste heureux d’être là, même si les deux matches que j’ai joués, on les a perdus ! Avoir 0% de victoires avec le Barça, c’est rare. Mais bon on était déjà champions et c’était une super expérience », s’amuse Ludovic Sylvestre.
Au Red Star depuis la saison dernière après des passages en République tchèque, à Blackpool et en Turquie, Ludovic Sylvestre fait désormais profiter ses coéquipiers de son expérience. Un statut d’ancien qui nécessite aussi de se montrer digne de son CV à chaque fois qu’il foule une pelouse : « Quand il rate une passe, on lui dit mais comment tu fais ça, ils t’ont rien appris Xavi et Iniesta ? », se marre Teddy. Malgré ses vannes, le cadet des deux joueurs écoute attentivement son aîné, à qui il reconnaît de grandes qualités : « Ludo c’est un joueur complet, le mec qu’il faut au milieu de terrain, au cœur du jeu. Il peut attaquer, il sait défendre, il peut donner le bon ballon, la passe qui fait la différence pour un l’attaquant. » A voir la belle complicité qui lie les deux équipiers, une chose est sûre : qu’ils soient passés par le Camp Nou ou la boucherie familiale, les deux hommes se sont bien trouvés sur le terrain, mais aussi en dehors.