Shanna Katz Kattari. Photo publiée avec l’aimable autorisation de Shanna Katz Kattari.
De nos jours, les gens ont tendance à associer le BDSM à Fifty Shades of Grey. Ce succès commercial, à l’instar d’autres références de la pop-culture, fait passer le kink pour un caprice de gens riches, minces et blancs – un milieu élitiste empli de corps immaculés. Si le kink gagne en popularité et fait parler de lui dans la culture mainstream, les représentations courantes du BDSM ne laissent que peu de place aux corps jugés différents.
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Pourtant, la véritable scène BDSM a longtemps été peuplée par des personnes aux diverses incapacités physiques – qu’ils aient un problème visible comme la paralysie, invisible comme la douleur chronique et la fatigue, ou encore mental comme le trouble de stress post-traumatique (TSPT). Le BDSM a permis à nombre d’handicapés d’accepter leur différence. Le kink est également un outil puissant qui aide à gérer leur handicap : il apprend à contrôler la douleur, inverser les dynamiques sociales et atteindre de nouveaux niveaux de confort et de communication.
Des sites kink et des organisations offrent désormais des ateliers publics pour aborder le handicap dans les jeux et les relations BDSM. Mais par rapport à l’incroyable diversité des handicaps et les variantes presque infinies du kink, le mélange BDSM et invalidité a reçu très peu d’attention, et ce, même dans le monde du kink.
VICE a rencontré plusieurs personnes qui vivent et travaillent à la croisée de ces identités – certaines ont intégré le BDSM alors qu’elles étaient déjà invalides, d’autres étaient déjà membres de la communauté avant leur handicap. Nous avons également discuté avec des praticiens et des éducateurs sexuels. Ils nous ont expliqué ce que le kink pouvait apporter au handicap (et vice-versa) et nous ont parlé du fait d’être handicapés dans des espaces BDSM, comme les fêtes ou les donjons, ainsi que des problèmes que le handicap peut poser dans le monde kink.
Photo publiée avec l’aimable autorisation de Shanna Katz Kattari
Shanna Katz Kattari
Shanna est une femme handicapée qui travaille comme éducatrice sexuelle (elle n’a pas souhaité nous faire part des détails sur son handicap).
J’ai souvent entendu des clients et des participants à mon atelier dire que la communauté kink est inclusive et solidaire avec les personnes handicapées, et j’ai pu m’en rendre compte par moi-même lorsque j’ai donné des cours dans les espaces kink.
Certains participants profitent des ateliers pour apprendre à gérer leur respiration et la douleur, d’autres utilisent la flagellation pour augmenter les endorphines, réduisant ainsi la douleur de la scoliose, par exemple. Leur partenaire dominant les aide à gérer l’anxiété et les crises d’angoisse.
J’ai eu des clients inquiets de ne pas pouvoir dominer correctement à cause de leur handicap. Ils ont ensuite compris que c’était un excellent moyen d’avoir des partenaires soumis qui leur apportent leurs médicaments à temps, font en sorte qu’ils restent hydratés, préparent et nettoient les espaces de jeu ou massent les parties douloureuses de leur corps. À l’inverse, j’ai rencontré des soumis qui ont résolu leurs problèmes grâce aux soins fournis par un dominateur.
Je pense que chaque individu, couple ou groupe doit communiquer avant de jouer ou d’entamer une relation. J’ai vu à quel point cela avait des avantages pour les personnes handicapées. Une personne avec des problèmes de mobilité doit commencer par évoquer les positions qui lui sont agréables et celles qui ne le sont pas. Une personne avec un TSPT, un traumatisme ou de l’anxiété doit faire part des mots, actions ou odeurs susceptibles de déclencher un stress, et doit expliquer à son partenaire comment il doit agir dans ces cas-là.
Les membres du kink sont incroyablement créatifs, tout comme les personnes handicapées. Il ne fait donc aucun doute que cette combinaison peut révolutionner la sexualité des personnes handicapées et de leurs partenaires.
Photo de Lyric Seal par Nikki Silver
Lyric Seal, alias Never Be(ast)
Lyric est une artiste et activiste pour adultes transgenre. Elle est née avec une scoliose et un trouble articulaire connu sous le nom d’amyoplasie. Elle se déplace en fauteuil roulant.
J’ai essayé de prendre mon temps pour me présenter en tant que kinkster dans mon art, parce que j’ai l’angoisse de la performance. Dans certains contextes, notamment dans les spectacles pour adultes, il y a une attente sur ce que votre corps va être en mesure d’effectuer, sur les accessoires, etc. Je pense que mon anxiété est liée au fait d’avoir un corps imprévisible.
Dans ma vie privée, je suis plus intuitive et directe. J’ai l’impression que j’arrive mieux à expliquer ce dont j’ai besoin et à écouter les désirs et les besoins des autres. Cela nourrit vraiment mon imagination de me représenter visuellement ce que je veux et d’avoir le courage de le sexualiser.
Je pensais que c’était trop pour moi d’être tout ce que je suis : étrange, handicapée, tatouée, ainsi qu’une travailleuse du sexe, une artiste et une kinkster. Quand j’imagine des situations sexuelles, je me demande parfois : Est-ce que cela contredit cette autre partie de moi ? Ensuite, je me rappelle que non, ces identités font partie d’une seule et même personne. Cela m’aide à évoluer en tant que personne et à comprendre que les individus sont en trois dimensions.
Photo publiée avec l’aimable autorisation de Grace Duncan
Grace Duncan
Grace Duncan est membre du milieu BDSM depuis longtemps. Il y a dix ans, elle a développé un problème thyroïdien. Son mari et partenaire de jeu souffre quant à lui de problèmes de dos.
Avant que je ne développe la thyroïdite de Hashimoto, mon mari et moi pouvions passer des journées entières à jouer de différentes façons. Désormais, nous devons faire attention, afin de ne pas tout ruiner, sinon, au lieu d’être satisfaisante, la session va juste être fatigante.
Mon mari et moi planifions une scène, mettions tout en place, et à chaque fois, je me retrouvais en difficulté. Je me disais que ça allait, que ma fatigue n’allait pas se mettre en travers, mais finalement, elle ne me laissait pas l’espace dont j’avais besoin.
Au lieu de lâcher prise, je stressais, car je n’étais pas capable de faire ce que je voulais tellement faire. Pendant longtemps, j’ai essayé de combattre cela, en essayant de me persuader et de persuader mon mari que tout allait pour le mieux. Je ne voulais pas accepter le fait que ma santé, en particulier la fatigue que je ressentais, avait un impact sur cet aspect de ma vie. Nous sommes arrivés au point où il reconnaissait les signes de ma fatigue et arrêtait tout.
Une fois, j’ai totalement paniqué et ai utilisé mon safeword – ce qui est extrêmement rare entre nous. Ce n’est qu’après ça que j’ai commencé à être plus honnête avec mon mari et moi-même, car faire semblant n’était bon pour aucun de nous deux.
À l’époque, l’idée d’être handicapée tout en faisant encore partie du BDSM n’était pas commune. Je n’avais pas beaucoup de proches dans la communauté à qui je pouvais parler – ils étaient tous valides et n’avaient pas besoin de faire de concessions.
Mon mari et moi avons donc fait jouer notre créativité et avons changé nos habitudes. Je suis masochiste et j’adore me faire frapper, il suffisait donc qu’il me fesse et me flagelle moins fort. J’ai aussi trouvé d’autres moyens subtils pour alimenter mon côté soumis, comme m’asseoir à ses pieds lorsque nous regardons un film.
Je doute pouvoir un jour refaire les scènes que nous faisions avant que je ne tombe malade. Quand nous nous y prenons bien, me soumettre à mon mari et céder le contrôle aide à soulager mon stress quotidien. Ce n’est pas une chose facile à accepter, mais c’est toujours mieux que d’arrêter complètement le BDSM, ce que je refuse catégoriquement.
Lady Solaris
Lady Solaris est dominatrice et éducatrice sexuelle à Los Angeles. Elle a, entre autres, un trouble du tissu conjonctif.
Pour beaucoup, le BDSM peut être difficile à pratiquer en privé, car il faut s’adapter. La plupart des gens ne disposent pas de donjon, mais ils peuvent se montrer incroyablement créatifs avec le matériel qu’ils ont à leur disposition.
Dans un donjon, c’est différent. Il y a une plus grande socialisation. Mais à cause des regards curieux, beaucoup de personnes handicapées ressentent une certaine pression dans les espaces kink publics – ce qui existe rarement dans la communauté – car ils essaient de rentrer dans le moule de l’image du BDSM renvoyée par la société. Une personne handicapée doit se montrer sûre d’elle et s’adapter.
Il arrive que les personnes handicapées ne puissent même pas accéder à certains espaces, car souvent, les gérants de club ne pensent pas à adapter l’espace pour les personnes handicapées.
L’écart est devenu très évident pour moi quand j’ai compris qu’il m’était désormais difficile de manier un fouet ou d’attacher quelqu’un, parce que je n’ai ni la force ni la dextérité pour le faire aussi facilement qu’une personne valide. Lorsque je demandais, pendant des séminaires, s’il y avait des moyens alternatifs, les présentateurs me répondaient : « Il n’y en a pas, c’est la seule manière de faire. »
J’ai donc commencé à m’adapter par moi-même – en trouvant d’autres moyens d’attacher les gens ou de manier le martinet. Peut-être que ça ne ressemble pas à ce que les autres membres du BDSM font dans les clubs et les donjons, mais au moins, c’est sans danger pour moi et je peux encore profiter du BDSM.
Les personnes handicapées qui ont dû garder leur handicap caché commencent à être au cœur des discussions dans le kink de LA, mais nous avons encore un long chemin à parcourir. Cela aide vraiment à partager les connaissances en matière d’adaptation et à mettre à l’aise. Les gens comprennent qu’ils peuvent continuer ces pratiques en s’adaptant un peu, même en souffrant d’un problème de dos.
Photo d’Azura Rose par DoomCookiePhoto
Azura Rose
Azura Rose est une prostituée, mannequin et soumise gothique de Toronto. Elle a le syndrome d’Ehlers-Danlos, qui lui provoque fréquemment une luxation et une douleur chronique.
Mes partenaires ont toujours été plutôt à l’aise avec le fait que je sois soumise et masochiste – même s’ils avaient peur de me frapper trop fort et de disloquer une de mes articulations. J’ai eu plus de problèmes avec le bondage. Lorsque vous annoncez aux gens que vous avez des problèmes d’articulations, ils sont réticents à l’idée de vous ligoter et de vous suspendre.
Ils craignent que quelque chose se disloque et ont peur de manipuler mon corps, souvent parce qu’ils n’apprennent qu’une seule façon d’attacher les gens. Parfois, certains décident tout simplement de ne rien faire avec moi.
Je peux comprendre que les gens se sentent mal à l’aise. Ils ne savent pas comment s’y prendre. Mais il peut être très frustrant de passer à côté de quelque chose parce que les autres ne sont pas aussi adaptables que j’ai dû l’être toute ma vie.
Dans ma vie privée, je suis polyamoureuse. L’une de mes partenaires est également handicapée, de sorte que nous équilibrons nos besoins ensemble. Je suis vraiment entêtée et capable de jouer même avec une blessure, mais elle est atteinte de fibromyalgie et ne peut pas faire la même chose parce que ça ne ferait qu’empirer. Être avec elle m’a aussi appris à prendre mon temps et à juger ce qui est raisonnable ou non pour moi, plutôt que de me blesser encore et encore parce que je veux à tout prix faire quelque chose.
Mon autre partenaire est valide, mais il sait m’écouter. Si je lui dis que quelque chose fait mal, il doit décider si c’est significatif. Il lui arrive de réagir de façon excessive, alors que la plupart des invalides savent que la douleur n’est qu’une occurrence quotidienne.
Bâtir une relation BDSM avec un handicap peut être difficile. Je dois m’assurer que les gens me voient comme une adulte indépendante et rationnelle et me respectent quand je leur dis que je n’ai pas besoin d’aide. Il est également important qu’ils fassent attention à leur langage et n’utilisent pas d’insultes devant moi. Il peut être assez simple de construire ces liens, il suffit de prendre le temps de réfléchir à l’accessibilité lors d’une soirée entre amis et de ne pas me regarder avec dégoût lorsque l’une de mes articulations se disloque.
Je pense que le plus difficile pour mes partenaires est de voir d’autres gens mal me traiter. Pour maintenir une relation BDSM positive, il faut être capable de prendre position quand un ami commence à utiliser des insultes ou à dire qu’il se fiche de l’accessibilité.
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