Ces dernières années, Duff McKagan, l’ex-bassiste de Guns N’ Roses qui évolue aujourd’hui avec Velvet Revolver, Loaded, Kings of Chaos et Walking Papers, s’est trouvé une nouvelle passion : l’écriture. Après s’être exercé en signant quelques articles pour Playboy, Seattle Weekly et ESPN, il est passé en 2011 à l’étape supérieure avec son autobiographie, It’s So Easy (and Other Lies), qui a rencontré un succès retentissant (et a été traduite en français en 2012 aux éditions Camion Blanc). McKagan revient aujourd’hui avec How To Be A Man (and Other Illusions), un livre plein de leçons de vie, comme seul un ex-junkie / ex-alcoolique / ex-bassiste d’un des plus grands groupes de rock de tous les temps revenu d’entre les morts grâce aux arts martiaux et à sa famille, peut vous en donner. Au fil des pages, Duff nous parle de voyages, de la véracité des textes de Bon Jovi et de la meilleure façon de fumer du crack dans un jet privé. « J’allais avoir 50 ans quand j’ai écrit ce livre, explique-t-il. J’arrivais à un moment de ma vie où je me posais des questions. Je me demandais où j’en étais, ce que j’avais appris et ce que j’étais devenu. Ce livre, c’est simplement une réflexion personnelle sur que signifie vraiment « être un homme.»
Noisey : Pourquoi as-tu eu envie d’écrire un autre livre après It’s So Easy ?
Duff McKagan : En 2008, quand j’ai commencé à écrire pour Playboy, puis pour le Seattle Weekly, j’ai découvert une nouvelle forme d’art. Je me suis mis à écrire chaque semaine pour ces médias — j’avais parfois jusqu’à trois commandes par semaine— j’adorais ça. Je me suis rendu compte que j’arrivais à mieux retranscrire mes pensées à l’écrit qu’à l’oral. Quand tu es ado, tu te projettes dans un tas de carrières différentes, et devenir écrivain était quelque chose qui m’attirait. J’adore la lecture, j’ai dévoré un tas de bouquins. J’ai énormément de respect pour des auteurs tels que Erik Larsen ou Timothy Egan.
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Dans un chapitre de How To Be A Man, tu parles justement de tes livres préférés. J’ai été surpris d’y trouver You Can’t Win de Jack Black. Ce livre sur la vie d’un hobo [vagabonds nord-américains qui se déplaçaient clandestinement en sautant de train en train] au XIXIème Siècle est vraiment passionnant.
Tu l’as lu ? C’est un livre fascinant. Quand je me suis mis au punk rock, il y a avait encore une grosse culture hobo à Seattle — tous les punks se baladaient de train en train. Ils savaient où les tunnels se trouvaient, connaissaient les trucs pour respirer dans la fumée sans suffoquer.
Tu as essayé de choper un train pour descendre à Portland, juste pour l’expérience ?
Jamais. [Rires] Je préferais me débrouiller par d’autres moyens. Mais si j’avais voulu le faire, j’aurais su à qui demander. Les mecs que je connaissais étaient des vrais de vrais, c’était leur mode de vie. Ils venaient souvent de familles pauvres, mais ils avaient réussi à développer un vrai sens de la fraternité. Ils partageaient tout ce qu’ils avaient, la moindre conserve de bouffe. Je ne pense pas qu’ils étaient aussi organisés qu’au XIXIème Siècle, cela dit.
Tu as des séances de dédicaces prévues à New-York bientôt. Tu y liras des extraits de ce livre ?
J’ai déjà participé à plusieurs rencontres où je laisais des textes pendant qu’un groupe jouait un de mes morceaux ou des trucs comme « I Wanna Be Your Dog » des Stooges, dans des versions réarrangées à la pedal steel. Donc c’est beaucoup plus calme, mais c’est cool. Ça te porte et ça te sert de béquille. J’ai vu pas mal d’auteurs faire des lectures de leurs oeuvres et parfois, c’était pénible. Certains butaient sans arrêt sur les mots. Sans musique, j’aurais sans doute fait pareil. Je ne suis pas un bon lecteur. Là, on organise une rencontre avec Krist Novoselic [ex-bassiste de Nirvana] au Neptune, à Seattle. On écrivait tous les deux pour le Seattle Weekly et on est devenus très potes, donc ça devrait être assez amusant.
Pourquoi avoir appelé ton livre How To Be A Man ? On a limite l’impression que c’est un truc de développement personnel.
[Rires] C’est vrai, c’est vrai. Bon, tu es journaliste, donc tu sais comment ça se passe… Le Seattle Weekly m’avait confié une rubrique hebdomadaire. La plupart du temps, j’avais un titre pour mon papier mais, souvent, il arrivait que le journal le change sans même me prévenir. Un jour, j’ai écrit cet article que j’avais appelé « Man Up » et ils l’ont renommé « How To Be A Man ». Il l’avaient sûrement fait en pensant que ça aurait plus d’impact sur les lecteurs ou je ne sais quoi. Un jour, ils m’ont proposé de faire un livre de cette rubrique. Je leur ai répondu que je ne savais pas si j’y arriverais mais que je pouvais toujours essayer. [Rires] Et c’est le titre que j’ai gardé.
Le rédac-chef du Seattle Weekly m’a pas mal aidé sur ce projet. C’était comme un professeur. J’écrivais 2000 ou 3000 mots et il me disait « Ok, page 2, paragraphe 3, ligne 4. Tu peux développer ? » C’est nottament lui qui m’a suggéré de transformer toutes ces chroniques en une seule et même histoire. L’idée m’a immédiatement séduit.
Le livre commence avec une histoire plutôt drôle. Tu te rends dans un salon de bronzage, pour préparer ta peau à une longue tournée en Amérique du Sud. Et trois ou quatre pages plus loin, on te retrouve en train de boire ton vomi pour en extraire l’alcool. En quelques pages on passe vraiment de trucs hyper légers à des scènes particulièrement dures et sordides.
[Rires] C’est vrai. La vérité est parfois, voire souvent, plus dérangeante que la fiction. Quand j’étais au salon de bronzage, j’ai vu ce mec, un gros costaud tatoué, qui m’a regardé bizarrement. Au départ, je pensais qu’il m’avait reconnu comme le mec de Guns ‘N Roses ou de Velvet Revolver. Mais une fois dehors, il m’a parlé du Jim Rome Show, une émission de sport à la radio à laquelle j’avais participé. C’était un ancien héroïnomane et il avait entendu ce passage où je m’étais mis à parler de drogues avec Jim Rome, dans des détails parfois assez sordides. [Rires] Le mec écoutait ça alors qu’il essayait lui-même de décrocher, et apparemment, ça l’a aidé. La morale de cette histoire c’est que tu ne sais jamais ce qui peux te sauver dans ton combat contre la drogue, l’alcool ou la dépression. Ça peut être n’importe quoi, même une émission de sport à la radio. Ce mec en est la preuve.
Tu as réalisé que tu touchais le fond quand tu as commencé à bouffer ta propre gerbe ?
Non, c’était un truc banal pour moi. [Rires] C’est malheureusement loin d’être la pire chose que j’ai faite. Pour moi, c’était quelque chose de normal, mais, aujourd’hui, avec le recul, je suis d’accord pour dire que c’était vraiment dégueu. Quand tu es dans cette phase, tu as juste l’impression de faire ce qu’il faut pour arriver à tes fins.
Tu as aussi donné quelques conseils quant à la meilleur façon de fumer du crack à bord d’un jet privé.
Ouais, ce sont juste quelques petites techniques que tout le monde peut utiliser. [Rires] C’est une information qui peut être utile. A vrai dire, je ne sais pas si l’odeur se propage réellement à ce point dans l’avion — mais j’imagine que oui.
Un autre truc que j’ai trouvé plutôt cool et inattendu c’est quand tu racontes que tu joues dans des stades plein à craquer avec Kings Of Chaos et qu’ensuite tu enchaîne avec une tournée en van, à dormir dans des motels miteux, avec Walking Papers. Vu de l’extérieur, on pourrait s’imaginer que tu t’es habitué au confort absolu et que pour rien au monde, tu ne reviendrais à un mode de tournée aussi roots.
Grâce à ces deux tournées consécutives, j’ai pu réaliser que si j’avais toujours le même amour pour la musique. Je ne suis pas là pour le strass, les paillettes et les serviettes chaudes. Ça a été un vrai soulagement de voir que je n’étais pas blasé, d’autant plus que j’ai deux filles, deux adolescentes qui commencent justement à s’interesser au rock’n’roll. La musique a toujours été ma principale source de motivation. Mais il m’a fallu ralentir la cadence, parce qu’entre toutes ces tournées et le bouquin, je vivais à un rythme effréné et j’ai fini par chopper une méchante pneumonie. En écrivant, tu te découvres. Quand le livre est sorti, tout le monde me disait : « Vieux, tu étais trop à fond. Pas étonnant que tu sois tombé malade. » Alors que moi, sur le moment, je me demandais juste « Pourquoi est-ce que c’est toujours à moi qu’il arrive toutes ces merdes ? » Mais il n’y avait aucune histoire de malchance là-dedans, c’était juste à cause de mon rythme de vie. Et ça saute aux yeux quand tu le lis.
C’est marrant que tu joues dans un groupe baptisé Walking Papers et que le groupe de ta fille Grace s’appelle Pink Slips [Walking Papers et Pink Slips sont des termes d’argot pour « lettre de licenciement »]. C‘est une pure coïncidence ?
[Rires] Ouais, le nom de leur groupe vient d’une cover des New York Dolls. C’était juste une blague au début, mais le nom est resté.
Tu as appelé ta fille Grace en référence à l’album de Jeff Buckley ?
Exactement. Elle a été conçue sur cet album. D’ailleurs c’est un très bon album pour procréer. Aujourd’hui, elle arrive à un âge où elle découvre les trucs cools — comme tout adolescent — et elle m’a sorti « Je suis trop contente d’avoir été conçue sur cet album ! » Cet album est vraiment fascinant.
Je suis d’accord. Mais ce n’est pas le genre d’histoire qu’on a forcément envie d’entendre de la part de son père.
[Rires] Je ne lui ai pas raconté la conception dans les détails— même si aujourd’hui elle sait ce que c’est. C’est une gamine brillante.
Tu es très ami avec Mark Lanegan, qui sort des disques géniaux depuis 25 ans aujourd’hui. Comment vous vous êtes rencontrés ?
Mark fait partie de ces mecs qu’on ne rencontre qu’une fois dans sa vie. J’écris sur lui dès que je peux. C’est l’un des plus grands artistes vivants et un tas de gens ne le connaissent pas. C’est une véritable trésor de la nation, ce mec. Je n’ai pas vraiment suivi son parcours avec Screaming Trees, parce qu’entre 1991 et 1994, j’étais dans ma mauvaise phase. Je n’étais conscient de rien, si ce n’est du concert que je devais donner le soir même. Quand j’ai commencé à décrocher, Mark décrochait aussi de son coté, et quelqu’un a pensé que ce serait une bonne idée qu’on se rencontre. Voilà comment on s’est connus — parce qu’on était deux gars qui essayaient de s’en sortir et de supporter la vie sans toute cette merde. Et on est devenus amis. Il a assisté à mon mariage il y a 18 ans. Il a même installé une clôture dans notre arrière-cour, qui donne sur un lac de Seattle. Une nuit, il a fait un cauchemar et nous a appelé en nous demandant s’il pouvait installer une clôture, pour que Grace ne puisse pas accéder au lac. Ma seule réponse a été de lui dire « Merci ». Mark est comme ça. Ce qui est marrant, c’est que Grace vient de découvrir sa musique et m’a demandé : « Papa, tu connais Mark Lanegan ? » et je lui au répondu « Oui, et tu le connais aussi, c’est Tonton Mark ! » Elle m’a répondu : « Mais non, ce n’est pas le même ! » [Rires] Elle a plein de tontons connus, dont Steve Jones des Sex Pistols. Une fois elle m’a dit « Tu ne m’avais pas dit que c’était Steve Jones des Sex Pistols ! »
On change totalement de sujet : est-ce que tu pourrais nous parler de l’influence qu’a eu Word Up! de Cameo sur Appetite For Destruction de Guns N’ Roses ? Tu en parles un peu dans le livre.
C’est vrai. Quand j’ai commencé la basse, je voulais devenir un vrai bassiste. J’adorais Sly & The Family Stone et Cameo. A l’époque, l’album Word Up! était un gros truc. Le beat sur ce disque est génial. C’est sans doute assuré par une boîte à rythmes, mais il y a malgré tout un gros groove old-school. Donc, avec Steven Adler [ex-batteur de Guns N’ Roses], on s’est mis à jouer sur cet album. On a reconfiguré la batterie de Steven — on a viré la double grosse caisse et tous les toms et les cymbales superflus — pour qu’il puisse se concentrer sur le groove. C’est comme ça qu’on a appris à devenir une vraie section rythmique. Si tu écoutes Word Up! et qu’ensuite tu écoutes les morceaux plus groovy d’Appetite — comme « Rocket Queen »— tu peux établir un lien entre les deux albums.
Dernière question. En rejoignant Axl et son nouveau groupe sur scène à plusieurs reprises l’an dernier, tu as soulevé pas mal de questions sur une possible reformation de Guns N’ Roses. Est-ce qu’après avoir fait cette apparition, tu t’es dit « Merde, maintenant je vais devoir répondre à cette question toute ma vie ? »
Non, je n’y ai pas pensé une seule seconde. Ce n’est pas comme si j’avais des choses à cacher et que je devais mentir. J’ai pris énormément de plaisir à jouer avec Axl. Ça faisait un bout de temps qu’on ne s’était pas parlés — trop longtemps— donc c’était l’occasion de se retrouver en tant que musicien mais avant tout en tant qu’amis. A ce moment là, c’était quelque chose qui me tenait à coeur. Ça fait 20 ans que je suis avec ma femme. Mais je l’ai connu après l’aventure Gun N’ Roses. Même si je suis très proche d’elle, je n’ai jamais su lui dire ce qui s’était passé. On était cinq mecs et on avait des conversations qu’on ne pouvait avoir avec personne d’autre. C’était une expérience incroyable et en huit ans ensemble, on a plus appris qu’en une vie, en tout cas pour certains d’entre nous. Donc, quand tu te sépares d’une de ces personnes, tu ressens un manque. Si pour retrouver mes amis je dois juste répondre à des questions sur des rumeurs de reformation, ça me va.
J. Bennett joue de la guitare dans Ides of Gemini et est capable de s’enfiler « Rocket Queen » 40 fois d’affilée sans problèmes.