Music

« Bring Down The Walls », politique de la house

Briser le système carcéral à coup de house music ? C'est ce que propose le documentaire « Bring Down The Walls », qui devait être présenté au festival Cinéma du réel, annulé depuis pour cause de coronavirus.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
documentaire, house music, cinéma du réel
capture d'écran du film

L'idée de retrouver un certain idéal de la fête qu'on aurait perdu (on ne sait jamais trop quand, ni par qui) n'est pas nouvelle dans la house music. C'est même une question qui traverse le genre depuis son apparition au début des années 80 dans les clubs interlopes de Chicago ou de New York. Seulement, comme tout mouvement musical racinaire, ses idéaux originels donnent aujourd'hui l'impression d'avoir été remplacés par des slogans publicitaires aux atours qui se voudraient émancipateurs mais au final dépourvus de véritable chair et d'incarnation : faire la fête jusqu'au lever du jour, communier avec le collectif jusqu'à ne faire plus qu'un avec, abattre les différentes barrières en présence, qu'elles soient aussi bien sociales, politiques que sexuelles, comme si ces dernières n'avaient jamais vraiment existé avant.

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Cet horizon de réconciliation générale, l'artiste visuel et réalisateur américain Phil Collins (un homonyme) le prend au pied de la lettre, pour mieux le retourner et le faire renouer avec son sens originel. Dans Bring Down The Walls, projet multidisciplinaire et associatif lancé en 2018 à New York, il rappelle le contexte d'émergence de la house music en la reliant avec un système punitif à échelle nationale qui la précède directement : le complexe carcéro-industriel américain. Il se trouve que le genre musical naissant, dont les adeptes sont alors principalement noirs, homosexuels et en marge, opère comme une caisse de résonance avec la machine d'enfermement et de contrôle de masse qu'est alors devenu le système pénitentiaire aux Etats-Unis, redoutable broyeur racial, social et économique. C'est d'ailleurs même la porte d'entrée du documentaire, où la musique n'apparaît d'abord que comme un corollaire à la volonté de démantèlement de ce dernier.

Le film documente un projet artistique de 2018, qui s'étale sur plusieurs jours, et qui prend place dans une caserne de pompier abandonnée de Manhattan. Le lieu est alors réinvesti, et redéfini comme un espace communautaire. Le projet Bring Down The Walls est découpé en deux temps : pendant la journée, des activistes et des travailleurs sociaux se succèdent et prennent la parole sur la question de l'incarcération, des droits des détenus, des conditions de détention ou encore des questions de libération sous caution. Puis, la nuit laisse la place à des soirées gorgées de house music, où la libération des corps fait suite à celle de la parole. Enfin, un album caritatif constitué de reprises de classiques house ré-enregistrés par des anciens détenus fait suite pour cimenter l'événement.

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Si les liens entre l'incarcération de masse et les morceaux hédonistes de Larry Levan pourraient paraître incongrus, ils sont présentés dès le début du documentaire comme procédant du même mouvement historique – les seconds apparaissant comme une conséquence directe du système en question. Ce qui peut rendre Bring Down The Walls dans un premier temps didactique, tant il semble nous présenter un programme qui semble écrit avant même d'être joué. Voire même artificiel par endroits, par exemple lorsqu'on nous suggère que la libération des corps amenée par la house peut mener à une compréhension plus claire des rouages complexes du système. Ça paraît presque trop beau.

Sauf que le film est justement trop beau, et son propos bien trop violent, pour ne laisser que de belles intentions en présentoir. Le dispositif filmique est à ce titre assez redoutable, le montage alternant scènes de jour et de nuit, de paroles et de musique. On y entend des anecdotes glaçantes, comme ce moment où un personnage nous explique qu'il a fait 18 ans de prison en plus de sa peine déjà purgée, ne serait-ce qu'à cause d'une décision arbitraire lors de sa demande de remise en liberté. Ou encore ce passage captivant, où un ex-détenu reprend à son compte des paroles de Martin Luther King, et explique dans une métaphore que pour pouvoir emménager dans une maison qui est déjà en flammes, il faut devenir pompier.

Ces scènes ne prendraient pas tout leur sens sans les séquences de musique et de danse qui les ponctuent. C'est là que l'utilisation de la house music prend tout son sens, et que le film s'emballe vraiment. On a alors l'impression de n'avoir jamais entendu des morceaux comme « Promised Land » de Joe Smooth, « Move Your Body » de Marshall Jefferson, ou encore « Love Can't Turn Around » de Farley Jackmaster Funk de cette manière-là. Pas parce que ce sont des reprises, mais parce que dans ce contexte de liesse et de danse cathartique, ces classiques house qu'on croyait gravés à jamais dans le glacis 80's s'en trouvent transfigurés, et comme rappelés à leur genèse enragée. On se rappelle de films comme 120 battements par minute, qui semblait vouloir retrouver ce sentiment, ou encore d'Eden qui se nourrissait du même creuset musical, mais ces deux films ne touchaient à peine du doigt ce qu'arrive à atteindre Bring Down The Walls. Soit une sorte de radicalité dans la solidarité.

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Comme le dit une intervenante : « Il faut faut détruire les institutions pour reconstruire nos communautés. Les réformes sont parfois nécessaires, mais la plupart du temps, elles n'aspirent qu'à rendre la geôle plus jolie. Ce que nous voulons, c'est annihiler cet espace qui est train de vous tuer. » On se rend compte que l'idée n'est pas seulement d'abattre les murs, mais l'individualisme mortifère, les prisons intérieures nichées en chacun de nous. On regrette qu'à la fin, le film ne dresse pas un parallèle avec ce qu'est devenu l'industrie de la fête et du clubbing aujourd'hui, ce complexe industriel d'un genre nouveau. Mais à ce stade, on ne va pas bouder notre plaisir.

Le documentaire Bring Down The Walls sera projeté ce vendredi 13 mars et ce lundi 16 mars au Centre Pompidou dans le cadre du festival documentaire Cinéma du réel. Toutes les infos sont disponibles ici.

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