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Crime

L'étrange histoire du rappeur nazi autrichien Mr. Bond

Avec sa musique, il est devenu une sorte de figure de proue pour les partisans de l'extrême droite et les néonazis en Autriche et à l'étranger.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

L'Autriche a vu naître bon nombre des plus grands talents musicaux de tous les temps. Mozart, Schubert, Strauss ou, plus récemment, Conchita Wurst, drag queen et lauréate du concours Eurovision de la chanson. Mais aujourd'hui, nous parlons d'un artiste autrichien d’un autre genre, un rappeur connu sous le nom de Mr. Bond. Son nom est malheureusement partagé non seulement par l'emblématique espion britannique de fiction, mais aussi par un autre rappeur de San Antonio, aux États-Unis, qui n'a aucun lien avec lui. 

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Car Mr. Bond n'est pas n'importe quel rappeur. C'est un rappeur qui déteste les Noirs. Et les juifs. Et les musulmans, les femmes et les homosexuels. En fait, tous ceux qui ne sont pas des hommes blancs, cis et hétérosexuels. Certains disent qu'il s'est approprié le hip-hop, un art noir, pour diffuser son idéologie d'extrême droite. Mais la vérité est qu'il a pioché dans d'autres genres également, comme la pop, le punk ou l’EDM, pour transformer des chansons emblématiques en discours de haine. 

Avec sa musique, enregistrée en anglais, il est devenu une sorte de figure de proue pour les partisans de l'extrême droite et les néonazis en Autriche et à l'étranger. Début décembre, le bureau du procureur de Vienne a porté plainte contre Philip H., de son vrai nom, 36 ans, l'accusant d'avoir « agi dans l'esprit du nazisme », un crime pour lequel il pourrait être condamné à une peine allant jusqu'à 20 ans. L'avocat de Mr. Bond a récemment adressé une protestation au juge, affirmant que son client ne serait pas le véritable auteur des textes sur lesquels repose l'accusation. Le tribunal local chargé de l'affaire doit maintenant décider de la marche à suivre.

L'histoire de Mr Bond commence en 2016, lorsqu'il réalise son premier album de reprises de tubes célèbres du hip-hop, qu'il réenregistre en changeant les paroles en paroles néo-nazies. Parmi les titres, citons « White and I Luv It », un remake de « I Luv It » de Young Jeezy ; « Shady Kikes », d'après « Day 'N' Nite » de Kid Cudi ; et « Pop Some Fags » d'après « Thrift Shop » de Macklemore. Il a même transformé le classique de Jay Z « 99 Problems » en « 88 Problems », une référence à HH, abréviation de « Heil Hitler ». 

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L'ironie d'un Autrichien déclarant sa fierté pour ses racines européennes blanches en se produisant dans une langue et un style créés par des Noirs à l'autre bout du monde n'échappe à personne. Pourtant, au cours des trois années suivantes, Mr. Bond a sorti quatre autres albums de ce type, dont deux intitulés d'après « Mein Kampf » d'Adolf Hitler. La couverture du premier montre Hitler portant une épaisse chaîne en or et des lunettes de soleil, posant devant une limousine et un char d'assaut. La seconde montre également Hitler, cette fois coiffé d'une casquette Supreme, posant devant un champignon atomique, en référence à une pochette d'album de reprises d'Eazy E de N.W.A. 

En janvier 2021, Mr. Bond est arrêté pour distribution de propagande nazie et sédition. À l'époque, il vit chez ses parents. La maison est fouillée et la police saisit des armes, du matériel nazi et néo-nazi, des disques durs contenant des éléments intéressants pour l'enquête et les textes de ses chansons. 

Avant son arrestation, Mr. Bond était très actif sur 8chan (aujourd'hui rebaptisé 8kun) et sur des forums d'extrême droite sur le dark web. Il y aurait été en contact avec un réseau international de partisans de l'extrême droite. Il rencontrait également d'autres groupes néonazis à Vienne et avait des liens avec le Mouvement identitaire, un parti d'extrême droite paneuropéen centré sur la figure de l'homme politique autrichien Martin Sellner. 

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Selon une enquête du quotidien autrichien Der Standard, il a même contribué à la campagne électorale de 2018 du politicien républicain et négationniste Patrick Little. Little a perdu cette élection et a ensuite été expulsé de la convention du Parti républicain californien en raison de ses convictions extrémistes. Et pourtant, Mr. Bond voue de la haine pour un autre républicain, célèbre pour son racisme : dans sa chanson « Dear Donald », il accuse l'ancien président américain Donald Trump d'avoir trahi l'Amérique blanche. 

Pendant des années, Mr. Bond a cultivé un public dans la scène néo-nazie en ligne, passant en quelque sorte sous le radar des autorités locales. Tout a changé en 2019, une année qui a été marquée par de multiples attaques terroristes d'extrême droite : la fusillade de Christchurch en Nouvelle-Zélande, où Brenton H. Tarrant a tué 51 personnes assistant à la prière du vendredi dans deux mosquées locales ; la fusillade de Halle, où Stephan Baillet, 29 ans, a tenté de prendre d'assaut une synagogue dans l'est de l'Allemagne lors de la fête juive de Yom Kippour, tuant un passant et un homme dans un kebab ; et l'assassinat à son domicile du politicien allemand de centre-droit Walter Lübcke pour ses positions pro-réfugiés. 

Mr. Bond a salué cet assassinat, qualifiant le tueur de « héros allemand » sur l'un des forums où il était actif. Il aurait également traduit en allemand l'intégralité du manifeste de 87 pages publié par l’auteur des attaques de Christchurch et l'aurait mis en ligne pour en faciliter la diffusion.

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Mais il semble que ce soient précisément ses liens avec des terroristes d'extrême droite qui l'aient fait tomber. Inspiré par Christchurch, l’auteur de la tuerie de Halle a également décidé de diffuser son attaque sur Twitch, en utilisant une caméra montée sur un casque. Baillet a ensuite diffusé une chanson de Mr. Bond en fond sonore pendant une partie du stream. 

D'après ses commentaires sur Internet, Mr. Bond semblait initialement enthousiaste à propos de l'attaque de Halle et de son rôle marginal dans celle-ci. Cinq jours après les faits, il a changé d'avis. « Maintenant, c'est officiel, a-t-il posté, Le type n'a tiré que sur deux Allemands, aucun musulman ou quoi que ce soit de ce genre. Un énorme échec. » 

Malgré sa déception, son titre diffusé pendant le stream l'a placé directement dans le viseur de la police, dont on ne sait pas si elle s'était intéressée à lui avant ce moment. En fait, les chansons de Mr. Bond étaient largement disponibles sur toutes les grandes plateformes de streaming et il percevait même des revenus grâce à elles. Les morceaux ont maintenant été retirés, il est donc difficile d'estimer combien de personnes l'écoutaient sur Spotify, Apple Music et d'autres sites et services classiques.

Pendant ce temps, son arrestation a eu un effet considérable sur les milieux d'extrême droite. Les fans s'en sont plaints dans les groupes néo-nazis sur Telegram. L'administrateur de l'un d'eux a commenté : « Il nous a montré un aperçu d'un monde meilleur où nous sommes libérés de nos chaînes et où nos opinions sont exprimées dans leur intégralité. » Et plus loin : « Que sa mémoire et son héritage ne s'effacent jamais de notre mémoire. » 

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Quand on pense à la musique suprématiste blanche, on a tendance à imaginer des groupes de skinheads punk hurlant des paroles haineuses dans un micro. Ce n'est pas ce qu'était Mr. Bond. Malheureusement, ses textes étaient intelligents et plutôt décents. 

Sam Sutherland, un youtubeur, podcasteur et auteur spécialisé dans la musique, a consacré une vidéo entière expliquant l'existence du rap « White Power » en 2013. « Les suprémacistes blancs ont besoin de garder une certaine fraîcheur, dit-il dans une vidéo. Ils ont besoin d'un nouveau support pour diffuser leur message sur la protection de la race blanche. Ils ont besoin du hip-hop. »

La remarquable capacité de l'extrême droite à reformuler ses messages de haine old school de manière nouvelle et originale – par exemple avec des mèmes – est désormais bien connue. Le rap « White Power » n'est qu'une autre façon de le faire. Les panneaux d'affichage et les films de propagande nazie des années 1940 en étaient une autre. Tant qu'il pourra embrasser la culture pop et s'y adapter, le fascisme restera une idéologie insidieuse pratiquement impossible à éradiquer.

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