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Une mauvaise idée : bloquer les sites X pour « protéger les mineurs »

Le Sénat a adopté une proposition d'amendement qui renforcerait le contrôle à l'entrée des sites pornographiques. À notre humble avis, c'est bête.
Porno site internet  X mineurs
Marcelo Mayo / Alamy Stock Photo

Le Sénat a adopté dans la nuit du 9 au 10 juin un amendement au projet de loi contre les violences conjugales qui permet au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de mettre en demeure puis de bloquer l’accès aux sites "qui permettent aux mineurs d’avoir accès à des contenus pornographiques” lorsque ces derniers ne réagissent pas dans un délai de 15 jours. Le texte, présenté par la députée Les Républicains spécialiste de la protection de l’enfance Marie Mercier, permet également d’obtenir le déréférencement des sites contrevenants.

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Dans son objet, cet amendement assume prudemment sa prétention de préservation des mineurs de l’influence de la pornographie : « Beaucoup de mineurs visionnent ces images dès leur entrée au collège ce qui conduit à s’interroger sur l’impact que la consommation d’images pornographiques pourrait avoir, à moyen terme, sur leur développement affectif, psychologique et sexuel. »

Le texte de Marie Mercier a reçu un avis favorable du gouvernement. Depuis plusieurs mois, Emmanuel Macron et ses alliés ont multiplié les propositions visant à limiter l’accès des mineurs aux sites pornographiques. En juillet 2019, le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O avait ainsi imaginé une carte permettant de prouver sa majorité. Et au mois de novembre suivant, le président de la République lui-même avait invoqué la protection de l’enfance pour réclamer l’activation du contrôle parental par défaut aux fournisseurs d’accès à Internet. Mounir Mahjoubi et Marlène Schiappa s’étaient lancés dans la bataille eux aussi, sans plus de succès.

Dans les faits, tout site pornographique mis en demeure par le président du CSA devra remplacer son simple disclaimer (“Avez vous plus de 18 ans ?”) par un véritable système de vérification de l’âge des visiteurs. Malheureusement, aucune solution fiable ne semble exister à l’heure actuelle. Le site Next PCInpact rapporte que les sénateurs ont évoqué une identification par carte bancaire ou France Connect, l’outil grâce auquel vous pouvez désormais payer vos impôts en ligne.

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Ces limites techniques ont déjà mis fin aux velléités de contrôle de l’accès aux sites pornographiques du Royaume-Uni. De l’autre côté de la Manche, trois gouvernements se sont succédés sans parvenir à une solution satisfaisante : David Cameron, Theresa May et Boris Johnson se sont tous heurtés au défi de l’application après que le public et les professionnels du divertissement pour adulte ont rejeté leurs propositions d’identification par carte bancaire, scan de documents officiels ou carte prépayée. L’affrontement a pris fin en octobre 2019 avec l’annulation pure et simple du projet de loi.

Si le contrôle à l’entrée semble déjà compromis, le blocage et le déréférencement des sites pornographiques désobéissants est possible mais fragile. L’emploi d’un VPN, d’un navigateur spécialisé ou d’un moteur de recherche alternatif pourraient suffire à les contourner. De plus, rien ne garantit que les sites pornographiques établis à l’étranger obéiront aux ordres des autorités françaises. Comme pour les sites de torrent ou de jeux d’argent, les entreprises responsables préféreront sans doute lancer un jeu du chat et de la souris : multiplier les adresses alternatives est plus facile et rapide qu’obtenir leur blocage.

Ironiquement, l’amendement explique que le dispositif qu’il propose “s’inspire de celui mis en place pour lutter contre les cercles de jeu en ligne illégaux, qui repose sur le contrôle exercé par l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel).” Dans un précédent article, nous avions déjà montré que les efforts de l’Arjel ne suffisaient pas à empêcher ces casinos numériques de détrousser des clients français, et encore moins d’empêcher ces clients de se rendre sur ces sites. Internet trouve toujours un moyen de contourner les limites que les législateurs aimeraient lui imposer, les internautes aussi. C’est valable pour le piratage, les jeux d’argent et la pornographie, évidemment.

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Rappelons que l’influence de la pornographie sur le “développement affectif, psychologique et sexuel” de ses consommateurs, mineurs ou pas, fait toujours l’objet d’un débat intense chez les scientifiques. Certains soutiennent que ces images n’ont absolument aucun effet, d’autres affirment qu’elles sont comme des drogues dures, qu’elles rendent impuissant ou anorgasmique, voire qu’elles modifient la structure du cerveau. Ceux qui soutiennent ces positions alarmistes capitalisent régulièrement sur l’angoisse qu’ils suscitent en distribuant des méthodes payantes pour arrêter la pornographie.

Du côté des activistes, on aime aussi pointer la pornographie du doigt. Selon certaines militantes féministes, particulièrement, elle engendrerait des hommes sexistes et prompts aux agressions sexuelles. Une fois de plus, cela reste à prouver, mais c’est un peu comme dire que regarder des films d’horreur rend violent ou que la musique de Marilyn Manson va vous encourager à commettre une tuerie de masse.

Parce qu’elle a pour seule mission de montrer des actes sexuels, ces gestes considérés comme le comble de l’intimité dans l’imaginaire occidental, la pornographie prête naturellement le flanc aux critiques. Après tout, rien ni personne d’autre qu’elle n’évoque ces sujets aussi frontalement. En la tenant pour responsable de tous les maux ayant trait à la sexualité et en l’attaquant publiquement, ses accusateurs évitent de se confronter à des problèmes autrement plus complexes : le manque d’éducation sexuelle dans le système scolaire français, le manque de dialogue ouvert autour des questions de sexualité, le manque d’accompagnement des jeunes hommes…

Tant que nos personnalités politiques continueront à considérer qu’il est plus raisonnable et confortable de plaider pour plus de contrôle de la pornographie que de réclamer des mesures de fond sur les questions de sexualité, nous resterons dans ces limbes embarrassantes.

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