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Ebola ne dictera pas sa loi : le réveillon des Libériens

Quelques heures avant le Réveillon du 31 décembre, Ellen Johnson Sirleaf, la Présidente du Libéria a annoncé la levée exceptionnelle — pour une seule soirée — du couvre-feu en place depuis l’instauration de l’état d’urgence. Depuis septembre, ce couvre-feu court de minuit à 6 heures du matin. Il rythme la vie du pays, avec pour objectif de limiter la propagation du virus. Les boites de nuit ont été les premières touchées par la mesure. Dans un pays où même les poignées de main sont périlleuses, danser collé-serré peut s’avérer rapidement fatal.

Avant même l’annonce officielle, des rumeurs commencent à circuler dans Monrovia. Le Réveillon et le Premier de l’an sont des fêtes particulièrement importantes dans le calendrier libérien. Les autorités ne vont pas procéder à l’arrestation de tout le pays, pour avoir brisé le couvre-feu, c’est du moins ce que se disent les Libériens. Une fois la rumeur confirmée par le gouvernement, les échoppes de rues qui vendent de la bière au litre font cracher leurs enceintes à grands coups des tubes dance. Les clubs et églises de quartier qui émaillent Tubman Boulevard suivent de près. Rapidement l’ambiance monte depuis « UN Drive » à l’ouest de Paynesville jusqu’aux banlieues situées à l’est de Monrovia.

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Quelques clubs locaux n’ont apparemment pas été mis au courant. Les propriétaires du Club Dubai, identifiable grâce à une sculpture grandeur nature d’un homme et une femme en position équivoque qui trône sur le perron, se sont fait surprendre. Alors que les fêtards commencent à envahir le quartier, le club reste fermé.

Les femmes ont sorti les jupes courtes, les hommes leurs chapeaux. Aux sons des klaxons, ils dansent ensemble dans les rues.

Cette nuit-là, Ebola ne dictera pas sa loi. Pour le Réveillon, on aura enfin droit de faire la fête au Libéria. Les festivités ont attaqué bien avant que la nuit ne tombe sur la capitale. Si vous avez de l’argent — beaucoup d’argent, et une Cadillac avec chauffeur et agents de sécurité — direction le Mamba Point Hotel où l’on se paye des sushis de qualité supérieure. Si l’argent abonde un peu moins, ce sera le Miami Beach, un havre de paix où les bières s’échangent contre moins d’un dollar et le poisson fumé et le poulet grillé vous attendent à l’entrée. L’alcool fort se monnaye dans le fond des échoppes et la marie-jeanne au African Village. Les jeunes femmes, scellées dans leurs robes, patientent assises sous les parasols en chaume. Si vous prenez un verre, posez-vous et commencez à bavasser. Si vous faites monter un peu la note, vous pouvez disparaitre avec l’une d’elles au bout de la rue où vous attend une sorte de strip-club en plein air, vue sur la mer, dépouillé de ses barres de pole dance. 

Une femme pose sur la Miami Beach de Monrovia.

Une femme porte un masque devant le bar Abuja à Monrovia.

Par contre si vous êtes un Libérien lambda — donc probablement sans le sou — vous êtes simplement content d’avoir survécu à l’épidémie édition 2014 et vous vous dirigez vers l’Église pour la Watch Night, la veillée.

La Watch Night est la tradition par excellence du Nouvel An au Libéria, une veillée faite de prière et de célébrations extatiques lorsque sonnent les douze coups de minuit. À la Pillar of Fire Church, implantée sur les terres de la Firestone Natural Rubber Company, le Révérend Luther Tarpeh guide les siens dans les dernières heures d’une année tragique.

Le Révérend Luther assiste au célèbre National Prayer Breakfast qui se tient chaque année à Washington, DC. Sa soeur, une professionnelle de la santé, est décédée en décembre après avoir été contaminée. Son voisin — un « médecin de renom » — est aussi mort d’Ebola. Pendant quatre heures d’affilée, le Révérend a prié et chanté les yeux clos pour donner plus de force à ses prières. Le thème de la soirée : le bonheur d’être en vie. En résumé, « Vous l’avez fait, vous avez survécu à Ebola cette année ».

Le bruit qui provient de la salle est assourdissant — comme si un groupe de rock garage improvisait un concert dans la cave. Les échos des percussions et du piano remplissent le hall. Les solistes chantent. Toute l’église se meut comme un seul corps, dansant épaule contre épaule, chantant « Merci Jésus ».

« Tapez dans vos mains pour Jésus », tonne un ancien de l’église. Les applaudissements suivent avant d’entamer un nouvel hymne — une sorte de « Merci Jésus » ralenti, version chopped and screwed.

Christine Tarpeh, la femme du Révérend, se lance ensuite dans une série de rappels pour des prières de groupes. Chaque requête divine est liée à Ebola: « Rouvrez les écoles. », « Que cette épidémie cesse. »

Pour 2015, subsiste l’espoir que leurs enfants ne seront pas coincés à la maison et qu’ils pourront prendre un taxi sans peur. Révérend Tarpeh remercie Dieu d’avoir épargné toutes les femmes enceintes et « tous les professionnels de la santé qui sont au front » pour ensuite rendre hommage aux familles des infirmières. Ils remercient Dieu pour sa protection, incapables de trouver une autre explication pour leur bonne fortune.

« Vous pensez être encore en vie grâce aux précautions que vous prenez ? » demande le Révérend Luther. D’une seule voix, la congrégation lui répond un bruyant « non ». « Pouvez-vous vraiment vous l’expliquer ? Pourquoi pas moi ? ». Une nouvelle salve de « non » s’en suit. « Nous allons suivre la sagesse et les conseils du personnel médical », recommande le révérend, « et demandons la miséricorde de Dieu. Toi démon, qui est venu sous la forme d’un virus appelé Ebola, fais ton sac et pars. Fais ton sac et pars. Fais ton sac et pars ! ». 

Des paroissiens de la Pillar of Fire Church prient en ce soir de nouvel an, la Watch Night.

Alors que minuit approche, le hall se fait silencieux. Ils ont été prévenus, à de multiples reprises : ce n’est pas une Watch Night habituelle. Ne vous enlacez pas. Ne vous embrassez pas. Dansez assis à votre place. Tapez du pied tant que vous pouvez. Ici pas de « ball drop » comme à Times Square, juste une vieille pendule au mur, qui affiche 4 minutes de retard. Le Révérend Luther se lance pour faire le décompte jusqu’à minuit, 25 secondes, 15, cinq, et au moment où l’homme d’Église crie « Bonne année » dans le micro, les enceintes explosent. L’assemblée se met à danser alors que certains restent prostrés — en pleurs — sur leur chaise en plastique.

De retour à Monrovia, des groupes de jeunes gens ont pris le contrôle des rues en dressant des barrages routiers improvisés. La police — équipée de pick-up Toyota noir et blanc — rapplique en force. A deux heures du matin, les échoppes à bières sont désormais dépeuplées, les rues sont silencieuses et pas loin d’être vides. La joie apportée par la levée du couvre-feu s’est envolée.

Le lendemain matin, les effluves de chlore sont oppressants à proximité du QG de Médecins sans Frontières situé sur l’autoroute principale au sortir de la capitale. Un haut mur de béton borde la route, seulement quelques portes en fer illuminées par de puissants spots permettent d’y accéder. Toutes les issues sont closes la nuit tombée, sauf une. À l’intérieur du corridor, un garde de nuit est assis sur une chaise en plastique, chaussé de bottes blanches, engoncé dans une combinaison en plastique bleu. Il a attendu toute la nuit que les nouvelles victimes d’Ebola soient déposées à sa porte. Une autre sentinelle tiendra la garde le jour suivant, puis la nuit d’après, et celle qui suivra.

Il y a de l’espoir. Ebola va rentrer chez lui en 2015, mais pas tout de suite. 

Un soignant surveille l’une des entrées du centre de traitement de l’Ebola de Médecins sans Frontières à Monrovia le mardi 30 janvier 2014.

Les moyens de transports pour ce reportage ont été assurés par le Pulitzer Center for Crisis Reporting.

Toutes les photos sont de Cheryl Hatch.