Si la longueur des jupes peut être un bon indicateur de l’état de l’économie, que disent sur notre monde les statistiques de vente des combinaisons contre les matières dangereuses?
Comme dans « la théorie de l’ourlet » de George Taylor, selon laquelle les minijupes signifient que l’économie est en bonne santé, les statistiques de consommation de biens de luxe, d’alcool ou même de porno donnent une assez bonne idée du climat social. Les talons de quatre pouces peuvent apparemment indiquer un ralentissement économique, et l’usage débridé de porno nous en dire un peu sur l’oppression sociale.
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Dans les périodes d’incertitude, il semble que le monde réduise ses dépenses et cherche les plaisirs casaniers.
La popularité de l’équipement du survivaliste — la trousse pour affronter un cataclysme ou la fin des temps — offre une perspective intéressante sur les peurs d’une population, comme une catastrophe naturelle, un effondrement social ou même les avancées technologiques. Par exemple, d’après un récent article, les riches et célèbres entrepreneurs de la Silicon Valley se construisent des abris pour se protéger de la révolte populaire qui surviendra quand les robots auront volé tous nos emplois, ce qui est très rassurant.
Comme nous voulions en savoir plus sur ces tendances, nous avons contacté des boutiques d’équipement de survivalisme au Canada, en France et aux États-Unis, et leur avons demandé ce qui a poussé leur clientèle à s’équiper.
Pascal Lemieux
Propriétaire, Boutique Militaire, Québec
Votre boutique offre du surplus militaire mais aussi du stock de survivalisme?
Oui, au départ on est un surplus d’armée, ça fait 25 ans qu’on existe. J’ai développé une section survivaliste après le 11 septembre 2001 parce que les gens avaient de l’intérêt, ils ont pris conscience que ça pouvait arriver en Amérique.
Ça dépend toujours de qui se passe sur la planète. Les conflits politiques, ce sont des peak. Ça arrive quand il y a des affaires américano-russes, ça arrive aussi quand il y a des catastrophes. Comme Fukushima au Japon, il y a eu un peak de ce côté-là. Dans l’année qui a suivi, les gens sont venus s’acheter beaucoup d’équipement contre la radiation, beaucoup de masques à gaz, des habits chimiques comme tu vois souvent dans les films, ces habits une pièce avec un capuchon pis un masque à gaz.
Mais ça semble être tellement loin, la centrale au Japon, ça ne semble tellement pas être une menace ici.
Mais la radiation, ça n’a pas de frontières. N’oublie jamais ça.
Avez-vous remarqué des comportements particuliers dans la dernière année, avec l’élection de Trump?
Je te dirais que non. Je pense que c’est plutôt du côté immigration, ça. C’est surtout quand il y a une politique genre guerre froide, là les gens prennent plus conscience qu’il peut arriver quelque chose. Ou quand il y a des attentats comme à Boston.
Après l’attentat à la mosquée de Québec, est-ce qu’il y a eu un peak?
Je te dirais que non. Mais c’est toujours difficile à dire, les gens vont acheter des produits, mais ils ne diront pas [pourquoi ils les achètent].
À votre connaissance, est-ce que beaucoup de gens se construisent des bunkers?
Ça je n’en entends pas parler. Mais en principe tu n’es pas supposé en parler. Mais de plus en plus de familles s’équipent.
Neal Crasnow
Propriétaire de Al’s Army Navy, Floride
Depuis combien de temps êtes-vous dans ce domaine?
Je suis dans la vente de surplus d’armée depuis 35 ans. Cette boutique est ici dans le centre de la Floride depuis 60 ans.
C’est un gros marché en Floride?
Je pense qu’il y a toutes sortes de personnes qui collectionnent toutes sortes de choses. Est-ce que ce sont des preppers ou des survivalistes, c’est une bonne question, et à quoi est-ce qu’ils se préparent vraiment est une meilleure question. Alors je ne sais pas si c’est contre les zombies ou autre chose. Ils viennent ici et cherchent différentes choses. Je vends du matériel pour allumer un feu, purifier de l’eau, des sacs à dos, des armes à feu et ce genre de chose.
Est-ce qu’il y a des tendances, des articles qui sont plus populaires à des certaines périodes?
Aux États-Unis, quand il est probable qu’un démocrate soit élu, les armes à feu se vendent mieux. Rappelez-vous ce qui s’est passé avant l’an 2000, avec les ordinateurs : beaucoup s’inquiétaient, alors ils venaient et achetaient de l’équipement [de survivaliste]. Quand les gens sont inquiets, ils se préparent. Je vends beaucoup pendant la saison des ouragans. Je pense que la vente d’armes à feu dépend de la politique, mais le reste dépend de leurs angoisses et leurs émotions.
Qu’est-ce qui s’est passé durant la dernière élection?
Avant l’élection, les gens s’inquiétaient parce qu’ils pensaient qu’une démocrate serait élue et les armes se vendaient mieux. Pendant le mandat d’Obama, les armes se vendaient mieux que jamais.
Est-ce qu’on vous pose des questions sur les bunkers? Est-ce que plus de gens en construisent?
Je pense qu’il y a eu une série de choses il y a quelques années qui ont plus poussé les gens dans cette direction que maintenant. Je pense qu’il y a des survivalistes et cette clientèle augmente de plus en plus vite. Mais, bon, je ne sais pas à quoi ils se préparent. Il y en a de plus en plus. Je n’en suis pas mécontent parce qu’une grande partie de mes ventes en dépendent, mais je ne pense pas que ce soit une indication de quoi que ce soit.
Joël Grimaldier
Gérant, boutique en ligne Randonneurs, France
Quelle est votre clientèle?
Ma compagnie est le leader en France du matériel de survie, et cela depuis près de 10 ans. Ma société est à la fois revendeur pour les particuliers et distributeur pour les magasins et revendeurs de ce secteur. La clientèle est spécifiquement liée au bushcraft, randonnée et survie, mais nous tirons notre épingle du jeu sur le survivalisme.
Comme je cherche aussi à développer le secteur du survivalisme « pur », je draine de plus en plus de clients francophones (France, Belgique, Suisse) à ce sujet. Bien que les survivalistes soient plus « discrets » sur leur mode de vie et n’avouent pas directement leurs intérêts, nous pouvons déterminer la pratique des clients au travers de leurs commandes. De nombreuses boutiques concurrentes ont vu le jour ces dernières trois, quatre années, et bien souvent en complément de leur activité principale comme le sport et la chasse.
Est-ce que vous vendez davantage de certains produits après des événements marquants et, si oui, lesquels?
Oui, depuis près de dix ans, j’ai pu voir une certaine évolution du marché de la survie. Certes bien enclenchée initialement par les émissions de Bear Grylls, cette période de « survie nature » s’est développée au fil du temps vers le pur survivalisme.
Cette pratique est certes bien moins développée sur l’Europe que par rapport à l’Amérique du Nord, mais a effectivement tendance à se développer chez nous. Certains clients, sans s’appeler « survivalistes », se préparent malgré tout aussi à de nombreuses possibilités de risques.
La France est de plus en plus touchée par des phénomènes climatiques, et les gens commencent à se préparer à cela. Les attentats de ces deux dernières années ont aussi fortement fait évoluer les mentalités vers une certaine préparation.
Et des tendances liées au climat politique?
Concernant les risques politiques, même s’ils sont de plus en plus flagrants par chez nous, ils ne sont pas encore considérés comme « risque majeur » par la population. L’Allemagne, la Suisse communiquent de plus en plus auprès de leur population pour que les familles s’équipent en autonomie alimentaire. Pas encore en France, en tous cas, très très peu.
Je me refuse de vendre des armes, donc, les clients en général vont s’équiper sur des rations alimentaires de longues durées et du matériel de première nécessité pour des évacuations.
Neils Baartman
Copropriétaire, Total Prepare, Colombie-Britannique
Depuis combien de temps êtes-vous dans ce domaine?
C’est ma sixième année.
Quelles tendances avez-vous remarquées?
Je dirais que la politique américaine a beaucoup plus d’effet sur nous que la politique canadienne. La politique américaine change le monde plus que ne le fera jamais la politique canadienne. Je pense que le monde gravite autour des États-Unis et essaie de voir quelles politiques américaines dictera ce qui vient.
Les gens achètent plus de grands formats, de grosses bouteilles d’eau, peut-être de gros réservoirs d’eau pour les urgences. Ils font des réserves de nourriture pour des périodes de un à six mois.
Je pense qu’ils se rendent plus compte que c’est une bonne chose de se préparer et l’important c’est de trouver des produits de qualité sur lesquels on peut compter.
À quoi est-ce qu’ils se préparent d’après toi?
Oh, n’importe quoi. Des désastres naturels, des raisons politiques, des road trips, des tempêtes de verglas, il n’y a pas une raison précise.
Qu’est-ce que vous voulez dire par « des raisons politiques »?
Que ce soit les politiques étrangères ou une débâcle économique, tout ce qui inquiète la communauté des survivalistes, c’est en grande partie lié aux décisions politiques ou à la direction que prend la politique. Donc, beaucoup se préparent pour le manque de nourriture ou au cas où quelque chose empêcherait l’accès aux comptes de banque ou n’importe quoi d’autre.
Qu’est-ce que tu as remarqué avant et après l’élection de Trump?
On a certainement vu une forte réaction des survivalistes avant l’élection de Trump, et après son élection les ventes ont beaucoup diminué. Les gens ont été soulagés quand l’élection a été terminée. Je pense que ceux qui s’inquiétaient de problèmes économiques se sont dit que Trump, c’était une bonne chose. Beaucoup de survivalistes ont des opinions politiques de droite, donc pour eux Clinton serait un désastre.
Qu’est-ce qu’ils achetaient?
De la nourriture. D’après notre expérience, chaque fois qu’il se passe quelque chose d’inquiétant, les clients achètent de la nourriture parce que c’est leur principal souci. La plupart des survivalistes n’ont pas besoin d’autres choses parce qu’ils ont déjà fait leurs réserves.
Est-ce que vous vendez des bunkers, est-ce que les clients en demandent?
Non, on n’en entend pas beaucoup parler au Canada. En tout cas, pas moi. Mais la plupart ne disent pas qu’ils se font un bunker, ils préfèrent garder ça pour eux.