Illustration : Roca Balboa
Entre 2010 et 2012, la maison d’édition Amorosa a publié plusieurs dizaines de « romans sentimentaux optimistes » dont la particularité était d’offrir des héros et des intrigues exclusivement francophones à ses lectrices insatiables. À cause des mauvaises ventes et de sa rivalité directe avec le géant Harlequin, elle a cessé de publier l’année dernière, laissant derrière elle une kyrielle de livres aux couvertures rose pâle et de nombreuses romancières orphelines. Deux d’entre elles, Hélène Caussignac et Nathalie Charlier (respectivement auteures d’Extrême attirance et d’Un mensonge pour être aimée), m’ont refilé quelques conseils pour écrire un roman à l’eau de rose aussi français que Jean-Pierre Marielle.
SE PLIER AUX NORMES
Un livre romantique compile plusieurs éléments incontournables, comme une fin heureuse et une histoire aussi crédible qu’hétérosexuelle. L’héroïne doit être « jolie et intelligente » mais pas trop, au risque d’agacer la lectrice. En revanche, le héros a le droit d’accumuler tous les clichés à disposition – il peut être « ténébreux », « viril », voire « membré comme un taureau ». On juge un bon roman sentimental à l’éventail d’émotions qu’il provoque chez la lectrice, et l’idéal est de créer une histoire qui lui fera dire : « Si l’on omet le fait que l’héroïne est haute fonctionnaire dans la Drôme et que l’objet de ses désirs est un agent immobilier, c’est vraiment l’histoire de ma vie. »
ÉVITER LES DESCRIPTIONS CLINIQUES
Vous voyez Les Onze mille verges d’Apollinaire ? C’est tout ce qu’il faut éviter. Oubliez : vulgarité, sécrétions, pénis turgescents, de même qu’à l’opposé, les notions de : mièvrerie, romance et métaphores florales à propos du sexe féminin. Selon mes interlocutrices, vous devez « partir de l’intérieur et raconter du ressenti » afin « d’emporter la lectrice », et profiter de toutes les portes enfoncées par Cinquante nuances de Grey – c’est-à-dire, penser l’acte sexuel d’une manière aussi chiante qu’une femme américaine de 50 ans.
N’ESPÉRER AUCUN SACRE
Coincé entre la littérature alternative, les fan fictions et la fantasy urbaine, le roman sentimental fait partie des sous-genres littéraires les plus raillés. En plus de vous plier aux contraintes d’éditeurs anonymes et à des délais d’écriture n’excédant jamais trois mois, vous aurez une reconnaissance aussi ingrate que celle d’un stagiaire partenariats. Le plus souvent, les auteurs ne rencontrent jamais leurs éditeurs et l’envoi des contrats se fait par boîte postale.
L’INNOVATION EST REINE
Sachez que tout a été fait dans le roman sentimental. Rien qu’en consultant le site officiel d’Amorosa, je suis tombée sur l’histoire d’une femme médecin tombant sous le charme d’un magicien (Amour sous hypnose), celle d’une intérimaire se découvrant une attirance pour un actionnaire de PME (Un contrat bien séduisant) et celle d’une étudiante en égyptologie déprimée par sa récente rupture (Irrésistible Isis). Il faudra donc songer à passer en revue des métiers méconnus (aiguilleur du ciel, manipulateur en radiologie, gestionnaire de stock) et les lieux les plus reculés (Kuala Lumpur, Limerick, le royaume d’Écosse), afin d’en tirer une histoire d’amour exotique à même de provoquer un processus d’affiliation identitaire chez la lectrice. Bon courage à toutes !