Comment Harry Potter a colonisé Édimbourg

edinburgh

« Qu’arrive-t-il quand on meurt ? » C’est l’une des questions existentielles que nous, les humains, nous posons depuis que nous avons pris conscience de notre propre mortalité. Imaginez maintenant qu’à votre mort, votre nom soit repris par un auteur à succès, assigné à un sorcier maléfique fictif, et que votre dernier lieu de repos devienne un lieu de pèlerinage pour les fans d’une franchise fantastique populaire.

C’est le sort qui a été réservé à Thomas Riddell, décédé à Édimbourg, en Écosse, en 1806. Sa tombe, nichée dans le cimetière de Greyfriars Kirkyard, accueille chaque jour des centaines de visiteurs curieux de voir l’inscription qui a soi-disant inspiré le nom d’un personnage de roman.

Videos by VICE

Le nom de Riddell, voyez-vous, ressemble beaucoup à celui de Tom Riddle, un méchant sorcier plus connu sous le nom de Lord Voldemort et principal adversaire d’Harry Potter dans la série de J.K. Rowling. Sur une autre tombe à proximité est gravée l’inscription « Sirius Black, 1953 – 1996 », en référence à un autre personnage de la série.

Des touristes devant la tombe de Thomas Riddell.

Cette partie du cimetière fourmille désormais de visiteurs ; ses pelouses, piétinées à longueur de journée, ne sont plus que des tas de boue. Ce sont les premiers symptômes du tourisme Harry Potter, qui envahit Édimbourg.

L’année avait à peine commencé quand la nouvelle est tombée qu’un célèbre pub du centre-ville, le Conan Doyle, s’était rebaptisé le J.K. Rowling. Ce changement de nom temporaire, apparemment dans le cadre d’un festival d’arts visuels sur le thème littéraire, est un coup de marketing intelligent qui a rapidement généré une couverture médiatique dans le monde entier.

Les gérants du pub ne sont pas les seuls à réaliser le potentiel viral de tout ce qui est lié à Harry Potter. L’année dernière, un nombre croissant d’entrepreneurs en herbe a tenté de s’approprier la franchise. La ville compte désormais deux boutiques consacrées à ses marchandises – leurs façades semblent toutes deux s’inspirer du Chemin de Traverse, la rue commerçante fictive du monde sorcier. À compter de février, un bar pop-up sur le thème d’Harry Potter ouvrira également ses portes dans la ville pour une durée de trois mois.

Un appartement de luxe sur le thème de Harry Potter est également disponible à la location, dans une ville où, pourtant, le secteur du logement est soumis à rude épreuve à cause de Airbnb. « J’ai commandé un panneau disant “Sorciers bienvenus (Moldus tolérés)” », a récemment déclaré la propriétaire sur un site immobilier, annonçant par la même occasion son projet d’aménager un deuxième appartement sur le thème de Serpentard. La folie Harry Potter s’étend même à un niveau institutionnel : l’année dernière, le gouvernement écossais a donné une grosse somme d’argent à un insupportable Youtubeur américain pour qu’il parcoure le pays en cosplay Poudlard.

Puis il y a le café Elephant House, où la légende raconte que Rowling aurait écrit une partie de son premier opus. Le café surplombe le cimetière de Greyfriars Kirkyard. C’est l’endroit de la ville qui offre l’une des meilleures vues sur le château d’Édimbourg. Un panneau nous apprend qu’il s’agit du « lieu de naissance » de Harry Potter.

Les choses ne se présentent pas mieux à l’intérieur, où vous êtes immédiatement accueillis par l’un de ces tableaux grotesques : « Nous n’avons pas de Wi-Fi, nous nous parlons les uns aux autres comme si nous étions en 1995 ! » (l’année où Rowling écrivait son premier roman, ndlr). Ce qui est un peu ironique, étant donné que la seule raison qui pousse quelqu’un à venir ici est de pouvoir poster un selfie sur Instagram.

Si vous écriviez un livre, l’Elephant House serait sans doute le dernier endroit au monde où vous viendriez le faire, à moins que vous ne vouliez être entouré de photos de J.K. Rowling, de touristes espagnols émerveillés et d’étudiants de l’université d’Édimbourg affublés d’écharpes de Poudlard.

Une autre exportation culturelle d’Édimbourg des années 1990 – Trainspotting – prétendait mettre en valeur les pires toilettes d’Écosse. C’était faux. Les pires toilettes d’Écosse sont clairement ceux de l’Elephant House, l’espace confiné le plus troublant dans lequel j’ai jamais mis les pieds.

Dans l’espoir optimiste que J.K. Rowling sorte un jour de derrière la haie géante où elle vit et retourne au café où elle a écrit son premier livre, ses fans ont transformé la salle de bains en un donjon jonché de messages désespérés à leur héros-auteur. Si vous ressentez l’envie de vous accroupir au-dessus d’une poubelle et gribouiller « Jo tu es mon patronus, mon rêve est de te rencontrer et de faire du shopping avec toi », ou « Joli coup ! 10 points pour Gryffondor ! », alors ces toilettes sont faites pour vous !

Il y a quelques années, il a été dit que la hausse du nombre de touristes et de nouveaux hôtels à Édimbourg rendait la vieille ville de plus en plus hostile à ceux qui y vivent et menaçait même son statut patrimonial. Rien que le mois dernier, une autre sommité de la littérature écossaise, Alexander McCall Smith, a averti que la ville risquait de devenir « un désert vulgaire avec des boutiques touristiques, de grands hôtels, et rien d’autre », et que les familles allaient en être chassées. La montée soudaine du tourisme Harry Potter semble être au cœur de ces préoccupations – elle est encouragée par les responsables du tourisme local et les entreprises, mais n’a que très peu de rapport avec la ville d’Édimbourg ou ses habitants, à part J.K. Rowling. En Irlande du Nord, des mesures drastiques impliquant la fermeture de certaines routes ont déjà été prises après que certains sites du pays, qui n’étaient pas préparés à cet assaut, ont été envahis par des hordes de fans de Game of Thrones.

Si le tourisme Harry Potter semble dérisoire, c’est parce qu’il repose sur un fantasme. Sans compter qu’Édimbourg – et le cimetière de Greyfriars Kirkyard – est en très bonne place lorsqu’il s’agit de faire avaler des conneries aux touristes, et ce, depuis 150 ans. Prenez par exemple l’histoire de Bobby, le fidèle terrier qui aurait veillé sur la tombe de son maître à Greyfriars, une histoire qui était en fait montée de toute pièce par un homme d’affaires local pour de l’argent. Après que l’histoire a fait les gros titres des journaux à Édimbourg, à l’époque victorienne, elle s’est avérée si lucrative que, quand le premier chien est mort, il a aussitôt été remplacé par un autre.

Dimanche 14 janvier, des dignitaires locaux se sont rendus pour célébrer le 146e anniversaire de la mort du chien. Peut-être que, dans les siècles à venir, les gens feront de même pour Thomas Riddell.

Liam Turbett est sur Twitter.