Elles dressent un doigt d’honneur aux codes de la beauté féminine. L’hirsutisme qui touche 6 à 10% des femmes « se définit par l’apparition de poils testoïdes, dans des régions cutanées où la pilosité est généralement minime ou absente », explique La Revue médicale Suisse. « Dans plus de 95% des cas », ce symptôme résulte du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK).
Pour de nombreuses femmes hirsutes, se libérer des diktats et enfin assumer sa pilosité est loin d’être un long fleuve tranquille, d’autant que le diagnostic est souvent difficile à poser. Audrey, une étudiante de 20 ans résidant à Lille, est bien placée pour le savoir. « Ça a commencé quand j’avais 16 ans. Je constatais que j’avais des poils au torse, sur le menton, les favoris, le ventre, les pieds, les fesses, et que mes copines n’en avaient pas. On me disait que c’était normal, que ça venait de mon père qui avait beaucoup de poils et que je lui ressemblais », se souvient-elle. La jeune femme a dû attendre ses 19 ans avant de mettre un nom sur sa pathologie. Malgré plusieurs échographies pelviennes, aucun kyste n’est repéré sur ses ovaires, jusqu’au jour où elle consulte un endocrinologue qui lui fait passer des radios. « On a vu que j’avais des micro-kystes et c’est là qu’on a compris que ce que j’avais était lié au Sopk. »
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Audrey a mis plusieurs années avant d’accepter ses poils, persuadée d’être « anormale », d’après ses propres mots. « Je n’avais pas de rapports sexuels parce que je ne me sentais pas jolie à cause de mes poils. J’avais peur que ça me crée d’autres problèmes. J’avais l’impression que toute ma vie allait de travers », raconte-t-elle. Aujourd’hui, elle commence à assumer cette singularité. Et pour cause : Audrey ne prend aucun traitement contre l’hirsutisme, et ne s’épile que certaines zones du visage de peur d’abimer sa peau.
En août 2018, l’un des rares médicaments conçus pour traiter l’hyperpilosité a été épinglé par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et l’Assurance maladie. D’après leur étude, l’Androcur multiplierait les risques de méningiomes, des tumeurs bénignes du cerveau. « Je n’ai pas de solution et je ne vais pas m’apitoyer sur mon sort. Donc je suis obligée d’accepter », lance Audrey. Originaire de l’Afrique de l’Ouest et centrale où « plus une femme est velue, plus elle est attirante », elle a bien conscience que les critères de beauté varient selon les sociétés. De plus en plus, cette revendication s’étend à l’Occident. Interrogé par VICE France, Bernard Andrieu, philosophe du corps et auteur de Rester beau, note qu’avec « les mouvements de body positivity, la revendication du poil est assumée comme un geste politique et écologique de respect de son intégrité physique et morale ».
« Grâce aux réseaux sociaux, je me suis rendu compte que je n’étais pas seule » – Sorenza, 19 ans
La Toile est une arme précieuse contre les diktats. « Se montrer hirsute revient à faire exister des communautés comme celle des hippies avec des poils en signe de reconnaissance. Montrer le poil c’est aussi construire une nouvelle image de la femme qui assume. Sentir le vivant de son corps, c’est accepter le poil comme un mode d’existence plus libre sans les contraintes de la mode », analyse Bernard Andrieu.
Kaïna, une Marseillaise de 20 ans, a créé le compte Twitter LesBarbesFortunes en mars dernier, pour libérer la parole des hirsutes. Si elle passe 20 minutes à s’épiler le visage chaque matin, cette jeune femme « n’a plus honte d’en parler quand les gens [lui] posent des questions ». Son compte Twitter est un espace de solidarité, comme elle me l’explique sur Skype. « Comme on n’en parle pas, on se sent souvent isolées. Moi je n’ai jamais rencontré quelqu’un dans mon cas. Je me suis dit que ce serait cool d’échanger, de se soutenir », confie-t-elle, avant de se réjouir du bien-être qu’elle peut procurer : « Ça me fait plaisir de voir qu’il y a des femmes qui se sentent mieux. »
Sorenza, 19 ans, fait partie des followeuses de Kaïna. Sa pilosité au-dessus des lèvres, au niveau du torse, sur le ventre, la poitrine et le menton, est apparue « très tôt ». Victime de moqueries durant sa scolarité, elle parvient désormais à passer outre, notamment grâce à Internet. « Avant, je prenais ces réflexions à cœur, mais maintenant ça va. C’est aussi lié aux réseaux sociaux parce que je me suis rendu compte que je n’étais pas seule », se livre-t-elle. De son côté, Audrey a rejoint les groupes Facebook « Green SOPK » et « S.O.P.K. : Conseils, témoignages et soutien / Infertilité et P.M.A. », et est heureuse de pouvoir y trouver un appui : « A mon inscription, j’ai posté un message concernant ce que j’avais. En moins d’une heure, j’ai eu des commentaires de femmes qui me disaient qu’elles avaient la même chose. On se partage des astuces de grand-mères, on se soutient. »
Sur Instagram aussi, les photos de corps velus fleurissent, et les langues se délient. Marine, 19 ans, est touchée par l’hirsutisme et par d’autres symptômes liés à un excès d’androgènes (les hormones mâles dont la testostérone) : obésité, calvitie féminine, règles irrégulières, voix rauque,… Comme Audrey, Marine a osé réagir à l’une des publications du compte Wondher, le 12 mars dernier, s’exprimant à cœur ouvert sur sa pathologie. Contactée par VICE France, elle explique ainsi son geste : « Je ne pensais pas tomber sur un post sur l’hirsutisme, dont je ne connais le nom que depuis décembre dernier. J’ai écrit ce commentaire sans me soucier du qu’en dira-t-on, en me disant que d’autres femmes se sentiraient moins seules. Les réseaux sociaux permettent de toucher plus de monde. »
« Pourquoi n’aurais-je pas le droit d’avoir ma propre forme de féminité ? » – Morgane, 29 ans
De son côté, Morgane, 29 ans, est touchée par une pilosité au niveau du visage, du cou, du milieu des sourcils, entre les seins, sur les mollets, les mamelons, le ventre, le nombril, le dos, les épaules, au-dessus des mains, sur les fesses. Cette entrepreneuse amiénoise de 29 ans n’hésite pas à publier des photos de son corps sur Instagram. Exposer ses zones de pilosité est une manière pour elle de pousser un coup de gueule contre ces réflexions qu’elle se prend en pleine face. « C’est pour montrer que j’existe, que je suis là, que je suis bien réelle. » Le cyberharcèlement n’aura pas eu raison d’elle : « Il y a eu des retours hyper agressifs, super violents, me traitant de guenon ou me disant que je ne pouvais pas être une femme. Mais je n’y prête pas attention », relate celle qui témoigne aussi de son hirsutisme sur son blog Valsansretour.
« Chaque femme est féminine à sa façon et chacun est beau d’une manière ou d’une autre », insiste Marine. Un avis que partage Morgane. Pour porter un nouveau regard sur sa pilosité, elle a pu compter sur ses proches, aussi. « Les gens avec qui je suis en général savent ce que j’ai, donc je me repose beaucoup sur ce cercle bienveillant. Si un inconnu décide de la ramener en parlant de mes poils, il s’en prend plein la gueule », explique celle qui a souvent été comparée à une « femme à barbe » ou à « Chewbacca » durant son enfance. Pour elle, la beauté d’une femme n’a aucun lien avec l’absence de pilosité, et elle le clame haut et fort : « La beauté, c’est très subjectif. Donc à partir de là, je me suis dit “OK, ça veut dire qu’il y a plusieurs beautés et féminités.” De fait, pourquoi je n’aurais pas le droit d’avoir ma propre forme de féminité ? Après je ne l’impose à personne. C’est la mienne. Et dans ce cas-là j’estime qu’on ne devrait pas m’imposer celle de quelqu’un d’autre. »
Si elle a longtemps été obnubilée par l’éradication de ses poils avec des forfaits épilation chez l’esthéticienne, elle estime aujourd’hui qu’il s’agit d’une perte de temps. D’après Bernard Andrieu, « l’épilation est une invention des années pornostream, avec le lissage des sexes et des poils au nom de l’hygiène mais aussi de polissage des corps devenus identiques et interchangeables. Effacer toute trace du temps et de contestation sociale passerait par le refus de la nature et la mise en cosmétique du corps ».
De son côté, Sorenza a la chance d’être soutenue par son mec, qu’elle fréquente depuis 9 mois. « Ça ne le dérange pas. Même dans la vie de tous les jours, il s’en fiche. Il m’aide énormément à avoir confiance en moi. Il me revalorise par les mots. Ca m’aide à affronter le regard des autres », souligne-t-elle. C’est aussi le cas d’Audrey, qui connait son homme depuis l’adolescence. « Il voyait déjà mes poils à l’époque et il apprécie. Tout ce que j’ai, il aime », sourit-elle avant de poursuivre : « Il m’a beaucoup aidée parce que je recevais des commentaires de la part de ma famille et il me rassurait en me disant que je suis belle. » Aujourd’hui, Audrey s’aime telle qu’elle est : « Je suis une belle personne, intérieurement et extérieurement. Je le dis haut et fort ! »
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