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En Camargue avec les canards qui font pousser du riz

Canard Camargue Riz

En Camargue, en bordure du petit Rhône, se trouve un coin de paradis où d’irréductibles agriculteurs vivent en parfaite harmonie avec leurs animaux, bien loin de tous produits chimiques et de toute culture intensive.

C’est ici que Bernard Poujol a décidé de s’inspirer d’une technique chinoise millénaire et élève les 1 200 canards qui désherbent ses 20 hectares de rizières. On a visité l’exploitation de Bernard, située non loin la commune de Saint-Gilles, à cheval entre le Gard et les Bouches-du-Rhône, à la fin du mois de janvier.

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On a été accueilli par une vingtaine d’oies un peu méfiantes qui criaillent pour signaler l’arrivée d’étrangers. Ce jour-là, il fait un froid de canard, le mistral est puissant, les roseaux sont courbés et l’eau du lac artificiel, creusé par Bernard, est troublée par les bourrasques.

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La ferme de Bernard : une maison écologique auto-construite et son lac artificiel.

Il nous invite à écouter son histoire, unique en Europe, à l’abri dans sa maison. Il l’a construite à la seule force de ses mains, il y a une dizaine d’années, avec des matériaux de récupération comme la laine de ses propres moutons.

Il nous explique alors qu’après 20 ans de riziculture conventionnelle, pendant lesquelles il a fait « un peu de bio, de temps à autre », il renonce à tout pour élever des canards qui l’aideront à récolter son riz. Un pari fou à la hauteur de sa révolution personnelle.

« Lors d’un voyage au Japon en 2011, mon fils a découvert que les riziculteurs locaux s’aidaient de canards pour désherber. Il m’en a parlé parce qu’il était convaincu que son père était assez fêlé pour essayer cette méthode ! » Huit ans plus tard, le pari est réussi et Bernard est fier de cet « acte citoyen ».

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Bernard et ses oies.

Pourtant les débuts n’ont pas été évidents, un « travail de bénédictin » comme il aime le dire. C’est la thèse de l’agriculteur et philanthrope japonais, Takao Furuno, The Power of Duck qui le met sur la bonne voie. « Il a simplement remis au goût du jour une méthode ancestrale chinoise grâce à laquelle ma réussite a été immédiate. C’était comme un cadeau du ciel pour m’encourager à continuer », s’étonne encore ce passionné d’agro-écologie.

« Au sein de notre exploitation, l’agriculteur n’apporte rien de plus que son savoir-faire : ni pesticide, ni fongicide, c’est l’animal qui est au centre de tout. »

Croix du Christ clouée dans une poutre de la cuisine, le Camarguais pur cru est un homme de foi. Mais ce en quoi il croit le plus c’est en la terre et en la nature. « Dès que j’ai commencé, ce mode opératoire est apparu comme une évidence. »

« C’est comme ça qu’on devrait élever les animaux, en symbiose avec la nature. Je me vois désormais comme un gestionnaire du vivant, je ne fais pas de violence aux animaux, ni aux végétaux ni à la terre. En faisant violence à la terre, je fais violence à l’humain. Il ne faut pas asservir les animaux mais collaborer », lance-t-il comme un prêche.

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Puis il nous emmène à 3 kilomètres de là, visiter une des parcelles de son exploitation sur laquelle vivent ses canards mulards. En ce mois hivernal, les plans sont ras, la terre boueuse et le sol encore couvert de la paille de riz que la moissonneuse a crachée à la fin de l’été.

Pourtant le moment n’est pas encore venu pour les petits ouvriers palmés de prendre congé. En bons jardiniers expérimentés, ils fouissent, piétinent et se délectent de petits insectes qu’ils ont à portée de bec. « Dès le mois de novembre les canards nettoient la parcelle fraîchement moissonnée. En piétinant, ils métabolisent les 4 tonnes de paille de riz. »

Un travail de longue haleine qui dure jusqu’en mars et qui permet de régénérer la terre de façon naturelle. « C’est un système dans lequel la terre crée sa propre richesse. Au sein de notre exploitation, l’agriculteur n’apporte rien de plus que son savoir-faire : ni pesticide, ni fongicide, c’est l’animal qui est au centre de tout », explique modestement le riziculteur avec son accent qui sent bon la Camargue.

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Système de récupération d’eau de pluie.

Mais ces quelques mois ne sont qu’une partie du travail des palmipèdes. Au printemps, quand le plant de riz dévoile enfin quatre feuilles d’un vert tendre, le riziculteur inonde la parcelle et introduit les 1 200 canetons, tout juste âgés de 4 semaines, qui vont arracher les mauvaises herbes en batifolant mais aussi en se nourrissant des nuisibles comme la duck salad ou encore la panisse.

« Quand ils sont encore bébés, pour les habituer à la voix humaine, je leur mets Radio France la nuit. Ça a l’avantage d’éloigner les renards et puis ça fait tout de même 1 200 auditeurs supplémentaires. »

« En cherchant à manger, ils fouissent le sol avec leurs palmes et oxygènent ainsi la plante de riz qu’ils aident à pousser. Quant à leur fiente, elle est un excellent fertilisant. La collaboration est donc positive. » En revanche pas question pour le canard de toucher au plant de riz. Aurait-il le bec fin ? « La plante est trop dure et rêche pour lui, elle n’est pas appétente et il la boude », explique simplement l’homme à la barbe bien fournie.

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Les canards en action.

Tout au long de l’année il choie ses petits compagnons qui lui demandent un temps de présence et une logistique bien plus importante que s’il se contentait de balancer des pesticides en pleine nature. Et pour protéger ses petits « associés » de leur plus grand prédateur, Bernard a une méthode bien à lui. « Quand ils sont encore bébés, pour les habituer à la voix humaine, je leur mets Radio France la nuit. Ça a l’avantage d’éloigner les renards et puis ça fait tout de même 1 200 auditeurs supplémentaires ! », s’amuse-t-il.

À chaque fin de saison, Bernard est obligé de se séparer de ses canards devenus trop gros pour se faufiler entre les plants de riz sans les saccager. Ils finiront alors en terrine ou sur la table de quelques grands chefs de la région comme Armand Arnal ou Fanny Rey pour le plus grand plaisir des amateurs de chair violacée qui lui trouveront un goût proche de celle du canard sauvage. C’est qu’ici les conditions de vie sont exceptionnelles pour les animaux qui ne vivent exclusivement en plein air et se nourrissent uniquement d’herbes.

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Bernard teste de nouvelles semences japonaises.

Sur ses terres, Bernard Poujol cultive deux types de riz purement camarguais comme l’arelate qui est un riz blanc semi-complet et le tam-tam, riz complet rouge.

  • Conseil de cuisson : « Pour moi la meilleure façon de cuire le riz est en fait très simple, il suffit de verser 1 volume de riz dans 2 volumes d’eau froide. On le fait bouillir 1 à 2 minutes et on coupe le feu. On couvre et on attend que toute l’eau soit absorbée, c’est comme ça qu’il révèle toutes ses saveurs. »
  • Conseil d’accompagnement : Le riz camarguais est un riz racé, à l’image de la région et des terres sur lesquelles il est cultivé, fort en goût et en mâche, il s’accorde parfaitement avec une daube de taureau et bien sûr le canard avec lequel il a grandi.
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La méthode de Bernard rencontre un véritable succès. « Le bio, ce n’est pas si con. On gagne sa vie et on n’empoisonne pas les gens ! Nous, on a un rendement de 4 tonnes par hectare contre 5 tonnes pour ceux qui utilisent des pesticides. Quand j’entends que le bio ne peut pas nourrir la planète c’est un vaste mensonge et j’en suis la preuve. Je prouve au quotidien que le métier de paysan est capable de se revisiter de fond en comble. »

À force d’enthousiasme et de persévérance, la réussite de Bernard convainc ses voisins camarguais devenus de plus en plus nombreux à se convertir au bio. « Désormais 20 % des exploitations camarguaises sont bio contre 3 % en France », s’enorgueillit le chef de file. « Ils se rendent compte que l’agriculture biologique rend libre car le paysan crée sa propre richesse. En culture intensive la terre, et par extension, l’homme sont asservis », assure-t-il.

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Âgé de 62 ans, Bernard souhaite désormais lever le pied pour passer plus de temps en Afrique où il enseigne bénévolement depuis 3 ans sa méthode à des riziculteurs sénégalais. « Je suis en contact permanent avec eux, je les conseille par Whatsapp, s’amuse-t-il. Le riz est l’une des rares cultures transcontinentales qui peut faire bouffer tout le monde ! »

« C’est un devoir de transmission que j’ai auprès de la grande famille de riziculture mais aussi d’une population qui souhaite et peut encore s’émanciper de la chimie. Si je peux les aider à mieux vivre et apporter ma pierre à l’édifice », murmure humblement celui qui n’a pas perdu foi en l’homme et voit partout une opportunité de se libérer des chaînes de l’agrochimie.

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