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En Finlande avec les brasseurs de « sahti », bière païenne et séculaire

Cela ne fait plus aucun doute : la vague de « hype » qui entoure la bière artisanale est arrivée jusqu’en Europe du Nord et dans les pays baltes. En Estonie, on ne compte plus les brasseries qui se multiplient comme des petits pains. Et comme partout ailleurs, c’est le modèle générique et chiant qui domine le marché, saturé par les classiques IPA et APA.

Ne le prenez pas mal. Je sais apprécier une bonne India Pale-Ale quand elle se présente, mais on en arrive à un point où il est presque impossible de trouver une binch’ vraiment originale.

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Ayant grandi en Finlande, j’ai toujours entendu des histoires à propos d’une gnôle old-school qu’on appelle le sahti. À l’époque, la plupart des gens ne la considéraient même pas comme une vraie bière – et encore moins un alcool. Le sahti est une catégorie de boisson à lui tout seul : une décoction faite maison capable de vous bourrer la gueule en un rien de temps et de vous attirer plus d’ennuis que n’importe quelle autre boisson alcoolisée. C’est comme ça que je voyais la chose.

Depuis, le sahti a gagné en popularité grâce aux amateurs de bière du monde entier. Puisque le monde du houblon est en pleine révolution, le moment semblait idéal pour qu’il se fasse un nom. Mais, le mystère reste entier. Si le sahti est encore assez rare en Finlande, il est aussi introuvable que de la pisse de licorne partout ailleurs.

Je vais être honnête : je n’ai jamais aimé le sahti. J’estimais – et je suis sympa – que c’était une boisson au goût carrément chelou et aux arômes mal dosés. J’aurais aimé savoir l’apprécier mais je n’y arrivais pas. J’ai donc finalement décidé de prendre ma voiture pour aller rencontrer les gens dont c’est le métier de produire ce liquide, histoire d’élargir mon horizon.

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Petteri Lähdeniemi devant sa brasserie. Toutes les photos sont de l’auteur.

Je me suis tout d’abord arrêté à la Finlandia Sahti, l’une des rares brasseries de sahti à l’échelle commerciale. J’ai rencontré le propriétaire et brasseur des lieux, Petteri Lähdeniemi, qui m’a fait visiter la vieille grange où il prépare son sahti.

« C’est une ancienne porcherie », m’explique-t-il en m’offrant un verre de sahti dans une petite salle réservée aux dégustations. « À l’époque j’étais dans l’armée mais je voulais changer d’air. J’ai lu dans un journal l’histoire d’un couple d’entrepreneurs qui partaient à la retraite et n’avaient trouvé personne pour continuer leur affaire. C’est là que j’ai eu l’idée. J’avais déjà brassé de la bière à la maison et, après en avoir parlé avec ma femme, j’ai décidé de prendre ma retraite et de quitter l’armée finnoise pour devenir brasseur de sahti. »

Pour Petteri, le sahti est « une boisson idéale pour toute sorte de festivités et célébrations. » Mais comme beaucoup d’autres, il a bien du mal à définir clairement ce que c’est.

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La campagne.
Si tu traverses la Finlande, tu en rencontreras différents types. Certains préfèrent dire que le sahti comporte plusieurs sous

« –catégories et qu’il vaut mieux parler de ‘bière ancienne’ plutôt que de sahti tellement il existe de variations », poursuit Petteri.

L’utilisation des céréales – orge, seigle, blé ou avoine – dépend de chaque région.

Traditionnellement, on utilise aussi du genévrier pour brasser cette bière. Aujourd’hui encore, la plupart des sahtis en contiennent. Mais même là-dessus, aucun consensus. Et les avis sont encore plus partagés à propos du houblon.

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Du houblon grimpe le long du mur derrière la grande de la Finlandia Sahti.
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L’histoire du est aussi colorée que la boisson elle-même.

Les Finnois brassent ce breuvage occulte aux notes païennes depuis des siècles. Dans les zones de production, le sahti était même considéré comme un liquide noble : aucun mariage ou enterrement ne se fêtait sans. Et si la célébration arrivait à cours de sahti… Vous n’avez qu’à vous rappeler la marche expiatoire de Game of Thrones pour vous faire une idée.

Je suis parti de Finlandia Sahti avec un peu plus d’alcool dans le sang et encore moins de certitudes.

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Lammin Sahtia.
le sahti est presque toujours éventé, ou sans bulles. Ce n’est pas très pétillant, ce qui désarçonne ceux qui y goûtent pour la première fois. Un autre point essentiel du sahti est l’utilisation de levure – dans ce cas précis, une levure de boulanger.

Pekka Kääriäinen, porte-parole de l’Association Finnoise du Sahti et propriétaire de la brasserie Lammin Sahti, m’explique : « »

« La plupart de ceux qui n’ont essayé le sahti qu’une seule fois en gardent un mauvais souvenir – en général, c’est parce qu’ils ont bu un sahti qui avait tourné et les a rendus malades. Ou bien ils en ont trop bu. Il faut prendre son temps pour apprécier ses notes. Et comme la plupart des bons alcools, le sahti est meilleur lorsqu’il accompagne un plat. »

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Pekka Kääriäinen met des branches de genévrier dans son sahti pour lui donner des notes herbacées subtiles. which gives a subtle herbal touch to his sahti.

Pour Tuomas Pere, le responsable de la brasserie Pyynikin Craft Brewery, les Finnois devraient « avoir plus de considération pour le sahti et faire des efforts pour relancer sa consommation car il s’agit d’une des bières les plus rares du monde. »

La Pyynikin Craft Brewery produit un katajasahti très houblonné. « Il y a des personnes qui n’aiment pas notre façon d’utiliser le houblon pour le sahti », annonce Tuomas. Mais pour un débutant en sahti de mon espèce, le houblon rend le sahti plus abordable et plus doux en bouche. Tuomas, avec son air de Père Noël rock’n’roll, a confiance en l’avenir et prévoit même d’en exporter aux États-Unis.

« Le seul problème, c’est que le sahti est une boisson vivante. Il ne se conserve pas très bien. C’est sans doute la seule raison pour laquelle il n’inonde pas déjà la planète », remarque-t-il.

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Le katajasahti de la Pyynikin Craft Brewery.
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Faire du chez soi est une telle tradition que la meilleure façon de désigner les meilleurs brasseurs de sahti est d’organiser un concours entre particuliers. C’est pour ça que je me suis rendu au Championnat de Sahti Finnois qui avait lieu à Sastamala, tout près de là où j’avais commencé mon périple, à la Finlandia Sahti.

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Dégustations d’échantillons de sahtis lors du Championnat.

Cette année, c’est le 25e anniversaire de la compétition et cinquante-cinq brasseurs ont traversé la Finlande pour l’occasion. Chaque candidat vient avec quelqu’un qui participera au jury en charge de goûter les échantillons à l’aveuglette.

Le vainqueur remporte non seulement le droit de se la péter mais aussi un couvre-chef en osier des plus saillants.

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La casquette en osier du champion.
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La compétition se déroule en salle mais toute l’action a en fait lieu sur le parking. Je n’en crois pas mes yeux : pare-chocs contre pare-chocs, des gens servent du depuis leur voiture. Des douzaines de caisses, de vans et de minibus ouvrent leur coffre pour offrir du sahti gratuitement. Chacun arbore un papier où est écrit le code de son département ou de sa ville pour que les gens sachent ce qu’ils sont en train de siroter.

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Des bidons tombés du camion : décor classique de la dégustation de sahti.
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En revenant vers ma voiture, je croise la route d’un monsieur portant une casquette en osier. Il est assis entre deux vans. C’est Kauko Kuusikko, vainqueur du Championnat de 2007. Cette année, son n’a pas passé le stade des sélections. Mais il accompagne sa fille, Maria, 26 ans, arrivée troisième l’année dernière, et qui attend toujours les résultats du premier tour de la compétition.

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Kauko Kuusikko et sa fille Maria dans l’attente du verdict.
Notre famille

Maria a appris à brasser le sahti avec son père et fait son propre sahti depuis ses 16 ans. Elle participe au Championnat depuis 2008.

« fait du sahti depuis une centaine d’années à peu près. Avec mon père, on a déjà évoqué l’idée de se lancer dans notre propre brasserie mais je ne suis pas encore sûre de le faire, pas avant un certain temps en tout cas. Je veux finir mes études d’abord », me confie Maria.

Au final, le champion de cette année est Seppo Koskinen de Hartola.

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Un brasseur d’Ikaalinen garé sur le parking avec son sahti.
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Ce concours est l’événement lié à la bière le plus bizarre – et certainement le plus inoubliable – auquel j’ai assisté. Je ne peux qu’être admiratif devant tant de passion et d’enthousiasme pour le , sans compter tous les efforts que ces gens mettent pour continuer de faire vivre cette vieille tradition.

Même si aujourd’hui j’ai toujours du mal à finir un verre de sahti, je le trouve déjà beaucoup plus sympathique.