“Il n’y a personne
Comme Koscielny
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Qui me rende aussi heureux
Qui me mette dans cet état”
Le 27 septembre dernier, les fans d’Arsenal piquaient la mélodie (et la plupart des paroles) d’Ain’t Nobody de la chanteuse soul Chaka Khan et son groupe Rufus, pour en faire un hymne au défenseur Laurent Koscielny. Sans pression, même le défenseur corrézien, pourtant pas toujours au top du hip-hop ces dernières saisons, a droit à sa chanson. En même temps, les supporters d’Arsenal avaient bien trouvé il y a quatre ou cinq ans le moyen de chanter les louanges de Marouane Chamakh avec quelques approximations géographiques dans le lot. La chanson un peu teubé racontait ainsi que Chamakh venait “d’un pays pas loin de l’Irak” : le Maroc, donc. Et puis il y a la reprise malheureuse de “Hey Jude” pour Olivier Giroud. Tout ça pour vous dire qu’outre-Manche, le chant de supporter est en roue libre complète, se réinvente constamment, prend le prétexte de la réussite de n’importe quel joueur pour chanter n’importe quoi, avec autodérision souvent.
En France, on n’y est pas du tout. Les chants sont là pourtant : comme supporter du RC Lens, un club au supportariat encore plutôt inventif, j’en ai vu passer. Les dix dernières années ont vu Les Corons rejoindre La Lensoise dans les hymnes de Bollaert, et le clapping (pompé à Nice certes, qui l’avait pompé aux Turcs) venir célébrer chaque victoire (celles-ci devenant de plus en plus rares, vous l’aurez noté). Il y a deux ans, le kop avait même mis en place une chanson dédiée à l’éphémère Alphonse Areola. Les paroles étaient sommaires, à base de “Areola, lalalalala“, mais il y avait ajouté à cela une petite choré digne de majorettes d’Hénin-Beaumont. Tout cela était bon enfant, et renforçait la proximité entre joueurs et supporters, l’identification au club, bref, les bases du supportérisme.
Pourquoi les supporters français n’ont-ils jamais importé cette tendance du chant personnalisé, de l’ode à ton buteur, de la reprise aléatoire de chanson pop où tu pourrais placer le nom de Maxime Gonalons ? Est-ce que ce serait pas un symptôme d’une baisse de la ferveur dans le supportariat français ?
Si on se réfère au site anglais Fan Chants, qui possède une base de données plutôt conséquente en matière de chants de supporters, on se rend compte que quelques chants personnalisés existent. Bordeaux est plutôt bien placé en la matière, avec des chants trashant les joueurs adverses (l’ancien gardien auxerrois Olivier Sorin par exemple) ou même ses propres joueurs avec le fameux “Janot si t’es sympa, laisse marquer Ben Khalfallah“. On a aussi un “Il fait rêver les Bordelais Yoann Gourcuff” pas folichon. Les supporters niçois, qui sont certainement les plus bouillants en ce moment, sont là pour sauver l’honneur. Récemment, ils ont ainsi repris “Ya Mustapha” de Bob Azzam pour en faire un “Hatem, on t’aime, Hatem, on t’adore“. Paraît-il qu’à Caen, on chante pour Nicolas Seube. Mais est-ce du même niveau que “Steve Gerrard, Gerrard” ?Mais plus généralement, dans le championnat français, on en reste à scander le nom du joueur et au “lalalalala” voire au “clap clap clap”. Voire, au mieux, à un “C’est notre meilleur joueur”, suivi du nom du mec.
Il y a bien une petite tendance à la chanson débile sur Youtube pour rendre hommage ou se foutre gentiment de la gueule des joueurs : Julien Cazarre s’en était fait une spécialité sur RMC, et on se souvient du “Ja-vier Pa-store” de ce mec en décapotable en 2011. On préférera quand même la chanson “Saint Bruno Grougi” par le groupe brestois La Lucha Libre.
Mais ces chansons n’ont jamais été reprises tous les weekends dans les tribunes. Pourtant, les supporters français ne sont pas contre les chants longs et élaborés ou les hymnes un peu pétés. Ça peut se voir du “Oh, ville lumière” du Parc des princes au “Galette saucisse je t’aime” du Roazhon Park, voire à la reprise de “Comme un ouragan” à Louis II, en hommage à une chanteuse locale. “Il y a beaucoup de mélodies longues, soutenues et rythmées dans les stades français, que ce soit à Nantes, à Bordeaux ou Saint-Etienne par exemple”, explique Franck Berteau, auteur du Dictionnaire des supporters (Editions Stock, 2013).
De nouveaux chants arrivent tout le temps, assure-t-il, qu’ils soient inspirés de “Brasil decimé que se siente“, le chant anti-brésilien entendu au Brésil lors de la dernière Coupe du monde, ou de “Dale Cavese“, chanson de variété vénézuélienne reprise par les ultras du club de Cavese en Série C. Ces chants ont fait leur chemin jusqu’aux virages français en grande partie grâce à Youtube. Pour Franck Berteau, “il y a encore une grosse variété de chants en France”. Mais toujours pas de chants dédiés. “C’est parce que la France est plutôt sur un modèle de supportérisme d’ultras à l’italienne, plutôt que sur une culture fan à l’anglaise, qui va plus aller dans l’idolâtrie des joueurs.”
Une idolâtrie qui est surtout une forme d’adoption du joueur par les supporters. Il aura fallu tout de même cinq ans pour que Laurent Koscielny soit accepté : avant cette reprise de Chaka Khan, la chanson dédiée à Koscielny le vannait un peu. Après avoir déclaré dans la presse en 2014 un truc du genre “ce serait cool si les fans me dédiaient une chanson”, les supporters gunners l’ont encouragé pendant des mois avec un “Laurent Koscielny, he wants his own song” (“Laurent Koscielny, il veut sa propre chanson“).
Dans Dirty Northern B*st*ards, and other tales from the terraces, le journaliste Tim Marshall a étudié l’histoire des chants de supporters de Grande-Bretagne. Pour lui, c’est surprenant que les autres cultures européennes de supporters n’aient pas intégré des chants dédiés aux joueurs. “Cela fait des décennies que l’ont fait ça ici.”
“Plusieurs chants apparaissent comme ça, de nulle part, en réaction à ce qui se passe sur le terrain. Mais beaucoup sont répétés avant, au pub, explique-t-il. Par exemple, après des années de galère, quand les fans de Manchester City se sont rendus compte à quel point Sergio Agüero était bon, et à quel point, disons ‘ordinaire’, pouvait être Phil Jones, le défenseur de Manchester United, ils ont commencé à chanter ‘C’est ça que ça fait d’être City, c’est ça que ça fait d’être un petit club, vous avez signé Phil Jones, on a signé Kun Aguero, Kun Aguero, Kun Aguero’ (sur l’air d’une chanson du groupe mancunien Inspiral Carpets, ndlr). Vous ne pouvez pas inventer ça comme ça : les supporters les plus fanatiques l’ont imaginée, l’ont essayée au pub, l’ont essayée au stade, et ça a pris.”
Si la vanne est bonne, il y a de bonnes chances que cela prenne. En tant qu’auteur du Petit manuel musical du football, le journaliste de L’Equipe Pierre-Etienne Minonzio en a vu passer pas mal. “Il y a des coups de génie parfois. Quand les supporters de Newcastle chantent ‘Sunday, monday, Habib Beye’ sur l’air du générique de Happy Days, c’est une trouvaille exceptionnelle. Mais il ne faut pas non plus idéaliser les chants de supporters anglais. Là, à Leicester City, ils ont fait une chanson pour Ranieri qui fait : ‘Ranieri, Ranieri, il manage City, il vient d’Italie’. Ils ont aussi trois pauvres chansons qu’ils détournent à volonté.”
Selon lui, le fait que la Grande-Bretagne soit une référence en matière de chants de supporters a pas mal à voir avec la culture populaire anglaise. “Là-bas, dans la culture ouvrière, le foot résonne avec la culture musicale. C’est beaucoup moins cloisonné qu’en France. Dans les années 1960, à Liverpool, ils chantaient spontanément les chansons des Beatles dans les travées d’Anfield, explique-t-il. C’est un délire particulier.”
En Espagne, ce délire existe aussi, mais il est plus rare. Pepe, fan de l’Atletico, raconte qu’on chante “souvent pour les joueurs qui ont été formés au club”. Torres a sa chanson évidemment. A Cordoue, on chante même pour le jeune espoir roumain Forin Andone et sur le fait qu’il soit passé de l’équipe B à l’équipe A. En Italie, on chante traditionnellement pour l’équipe, pour la ville, pour le maillot, comme l’explique Samuele, supporter de la Roma depuis des années. “Les chansons de la Roma sont particulières : on parle de la Roma comme d’une femme.” Totti est l’un des rares à avoir droit à un chant dédié : “Il n’y a qu’un seul capitaine” disent les paroles. Sinon, les Italiens piochent eux aussi allègrement dans le répertoire de la chanson populaire nationale. En France, on chante du Aznavour ou du Piaf au Parc des Princes rappelle Franck Berteau. Mais pas à destination des joueurs. Toujours de l’équipe.
Pierre, 30 ans, a connu les travées des stades des deux côtés de la Manche, à Paris et à Londres. A Fulham, adolescent, il découvre les chants dédiés aux joueurs français de l’époque : Steed Malbranque, Steve Marlet, Louis Saha. “Il y avait une proximité avec les joueurs qui était plus grande. On les attendait à leur arrivée au stade, tu pouvais leur parler. Malbranque nous racontait d’ailleurs qu’il croyait se faire huer à chaque match.” En réalité, les supporters criaient un long “Steeeeeed”, comme les Mancuniens ont pu le faire pour “Ruuuuud” Van Nistelrooy ou pour Robert “Huuuuuuuth” dans tous les clubs moisis où il est passé après Chelsea. Selon Pierre, c’est la proximité des joueurs avec les supporters qui fait la différence. “T’as pas un chant pour n’importe qui non plus. Dans les années où j’étais en tribune Boulogne, on n’allait pas chanter pour Sessègnon ou Hoarau alors qu’on savait qu’ils n’allaient pas rester.”
Il semblerait pourtant qu’il ait existé un temps où on pouvait tout de même entendre des “Capitaine Raï” (sur l’air de “Capitaine Flam” évidemment) ou des “Magique Alain Roche” émerger de la tribune Auteuil. C’était les années 90. Depuis, pas grand chose. A quand une chanson à la gloire de Corentin Tolisso sur l’air de “Gitano” ou pour vanter les qualités de goleador de Frédéric Bulot sur un flow de Maître Gims ?