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En photos : Au coeur de l’un des plus vieux bidonville de l’est napolitain

Mario vit dans la banlieue de Naples dans le sud de l’Italie. Il habite depuis des dizaines d’années dans une grande boîte en métal qui ressemble à un énorme conteneur. Pourtant Mario n’est pas un sans-abri. Légalement, il est propriétaire d’une maison. Les autorités italiennes lui ont donné cette boîte métallique après que sa maison a été détruite en 1980 après un terrible tremblement de terre qui a secoué le sud du pays. 3 000 personnes avaient été tuées et 280 000 autres s’étaient retrouvées sans logement.

Mario — qui souhaite être connu uniquement par son prénom, comme nombre de résidents du bidonville — fait partie de ceux qu’on appelle les « invisibles », ces gens que les autorités semblent avoir oubliés après les avoir installés dans ce dédale de conteneurs amiantés. Après avoir perdu sa maison, il avait pu élire domicile dans un logement temporaire près de Barra. Mais rapidement il a été envoyé dans la banlieue napolitaine pour vivre dans l’un des conteneurs destinés aux victimes du tremblement de terre. Il devait s’agir d’une solution temporaire, mais cela fait maintenant 18 ans que ça dure.

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« Ils m’ont dit qu’ils viendraient me chercher après quelques mois, » se souvient Mario. « J’attends toujours. »

Ponticelli, le village où vit Mario, est situé dans la banlieue est de Naples — une zone désertée après que l’industrie locale ait périclité. Les entreprises italiennes comme Fiat ou le spécialiste de l’alimentaire Cirio ont fermé leurs usines dans la région, qui employaient une bonne partie des locaux. Alors, Ponticelli — comme le reste de la banlieue est de Naples — s’est embourbé dans la crise. 

Près de 300 victimes du tremblement de terre vivent encore dans les 18 conteneurs en aluminium posés au beau milieu d’allées jonchées de détritus. Les locaux ont surnommé leurs logements de fortune les bibiann, dans lesquels il fait très froid l’hiver et très chaud l’été. Créés dans les années 1990, ces algecos devaient simplement servir d’habitations temporaires, le temps que le gouvernement régional construise des logements subventionnés pour reloger les victimes de la catastrophe.

Mais tout le monde n’a pas été chanceux. Certains ont été envoyés dans de nouveaux logements, pendant que d’autres comme Mario se sont retrouvés bloqués dans ces conteneurs. Une partie des conteneurs a été détruite entre 2003 et 2011, mais la zone dite de la « Via Fuortes » (du nom de la rue principale) est restée intacte. Aujourd’hui, ce bidonville est devenu le symbole du déclin à l’italienne, conséquence de l’inefficacité gouvernementale, du crime organisé et de la crise économique.

Le photographe Paolo Manzo connaît le bidonville mieux que personne. Il photographie le ghetto et ses habitants depuis plus de quatre ans. Il passait souvent en voiture à côté des conteneurs, puis un jour il a décidé de couper le contact et de s’aventurer dans ce labyrinthe fait d’étroites allées et de bâtiments en état de décomposition avancée.

« J’ai commencé à rencontrer des gens, à comprendre comment ils vivaient ici, » explique Manzo à VICE News. « Au début, les gens étaient un peu suspicieux, mais avec le temps ils ont commencé à me faire confiance. »

On lui a alors demandé de nous emmener faire un tour du bidonville de Fuortes. 

Il est étonnant de penser que des gens ont été capables de vivre ici pendant toutes ces années. Les conditions sanitaires sont déplorables. Les égouts sont à ciel ouvert et les tuyaux d’évacuation sont brisés.

Une forte odeur de fumée se fait de plus en plus prégnante à mesure qu’on approche du centre du quartier, où trône un boitier électrique noirci et clairement saturé — des centaines de fils y sont branchés et relient tous les recoins du bidonville.

Les habitants essayent de rendre leurs demeures les plus accueillantes possibles, en y installant des télévisions, des meubles et des tapis. Mais les murs s’émiettent et sont couverts de cercles noirs humides.

Le vrai danger de ces cages métalliques ne se voit pas à l’oeil nu : l’amiante. Avant d’être interdite dans les années 1990, l’amiante était utilisé comme isolant. « Jusqu’ici l’amiante n’a pas eu d’effets néfastes sur nous, mais notre temps viendra, » prédit Mario. Il a cinq enfants, dont l’un d’eux est handicapé.

Les gens du ghetto disent que le cancer est la cause de décès la commune dans le bidonville. La dernière victime en date était une femme qui est morte l’année passée d’après eux. Il n’y a aucune donnée officielle sur ces problématiques — un signe parmi d’autres que la négligence des autorités vient s’ajouter aux autres maux de Ponticelli. 

« La Via Fuortes n’est pas seulement un problème d’ordre social. C’est aussi un souci en terme environnemental et de santé publique, » explique Roberto Braibanti, un membre du parti de gauche SEL, qui pousse depuis des années pour le démantèlement des conteneurs et le relogement des résidents.

L’amiante est aujourd’hui rentré dans son stade critique d’après Braibanti : chaque jour, les conteneurs s’effritent. Ainsi, la vie est dangereuse pour ceux qui y vivent, mais aussi pour les zones alentour couvertes d’un nuage invisible de poussière d’amiante porté par les vents.

Mais pour certains, ce n’est pas un problème de vivre dans ce qui ressemble de loin à un piège mortel.

D’après les quelques familles italiennes qui y vivent encore, les immigrés n’ont aucun problème à s’installer ici. Pour certains, c’est même une bonne idée.

« Beaucoup d’entre eux sont là illégalement, et un endroit comme ça leur permet de rester invisibles, » explique Mario.

Sans compter celle de Mario, il reste seulement neuf familles italiennes dans le camp — qui n’ont pas toutes été victimes du tremblement de terre de 1980.

Aujourd’hui, le quartier est une mosaïque de différentes cultures et nationalités. Des Albanais, des Kosovars, des Serbes et des ressortissants de différents pays d’Afrique et d’Asie vivent dans leur propre rangée de conteneurs, créant une sorte de petite carte du monde. Si les adultes s’ignorent la plupart du temps (sauf quand un voisin a besoin d’aide), les enfants de différentes nationalités jouent ensemble — dépassant sans mal les barrières culturelles.

Dans le passé, il y a eu quelques tensions entre certains groupes, notamment entre les Serbes et les Kosovars qui vivaient dans un ensemble de conteneurs détruit en 2003. « Il y avait des fusillades et des bastons en permanence. La situation était intenable, » se souvient Andra, un jeune Napolitain qui passe souvent dans le quartier pour rendre visite à sa petite amie qui vit ici.

Elle n’habite pas légalement ici, comme la plupart des résidents de la Via Fuortes. Si les conteneurs ont été installés pour héberger les victimes du tremblement de terre, d’autres personnes s’y sont établies. Alors que les familles des débuts commençaient à partir, les conteneurs auraient dû être démolis. Mais au lieu de ça, « les gens ont commencé à sous-louer leurs logements », d’après Braibanti. « De nouvelles familles désespérées ont continué à débarquer ici. Puisqu’elles n’ont nulle part où aller, elles préfèrent payer un loyer très peu élevé et vivre dans ces conteneurs. »

Il est difficile de savoir qui gère ce petit business immobilier, mais d’après Braibanti, la camorra, la mafia italienne, pourrait bien être derrière tout ça. « Ce type d’activé est habituellement lié au crime organisé, » dit-il. « Cependant, personne ne peut le prouver. »

En revanche, personne ne semble faire des montagnes de billets du business de la Via Fuortes. Le chômage est le lot d’une bonne partie de ses habitants, et les loyers sont très bon marché. Certains y restent justement pour ces raisons — peu importe l’amiante.

« Certaines familles sont habituées à ça, » explique Manzo. « Ils en tirent avantage et arrêtent de se battre. »

Rosaria a 47 ans et vit ici depuis 17 longues années. Elle a déjà été condamnée à un an de détention avec sursis pour ne pas avoir payé ses factures d’électricité, et craint aujourd’hui que la police débarque un beau matin et l’emmène en prison. Elle a aussi peur d’être relogée dans une cité, « Je ne sais pas si je serais capable de survivre là-bas, avec les factures et toutes les autres dépenses. Je suis sans emploi et il ne me reste plus rien. »

Les habitants de la Via Fuortes ont recours à leur imagination pour faire rentrer un peu d’argent : un homme démonte des voitures et vend des pièces détachées, d’autres vendent de la drogue. Certains disent se prostituer auprès des résidents masculins du bidonville, alors que quelques-uns ont un vrai travail. Mario conduit un véhicule utilitaire par exemple. 

Le seul lieu de rencontre du quartier est un café, et d’après Braibanti, c’est exactement le problème qu’a la banlieue est de Naples. « Les maisons conteneurs ne sont pas le seul déstratre social de la zone. D’autres bâtiments construits après le tremblement de terre ont les mêmes problèmes, » note-t-il. « Il n’existe aucun endroit où les gens peuvent se retrouver dans ces nouveaux quartiers. Il n’y a pas d’activité de service ni d’offres de travail. »

Les autorités viennent visiter le bidonville uniquement avant les élections. « Les hommes politiques, les inspecteurs sanitaires, les travailleurs sociaux débarquent seulement avant les élections, puis ils disparaissent jusqu’aux prochaines, » souffle un homme qui dit s’appeler Andrea et travaille comme pizzaïolo.

L’année dernière, le Premier ministre italien Matteo Renzi est venu à Ponticelli. Il a visité une usine d’hélicoptères, le nouvel hôpital Ospedale del Mare, que l’architecte Renzo Piano a aidé à dessiner, puis il est rentré à Rome.

« Le Premier ministre ne s’est pas soucié des vrais problèmes de la région, comme les conteneurs, » regrette Braibanti. « Mettre ces problèmes dans la lumière forcerait le gouvernement à fournir des réponses. » 

Toutes les photos sont de Paolo Manzo pour VICE News.