En photos : La reprise de Tal Afar des mains de l’EI

Dans une petite maison rose au nord de Tal Afar, une radio crépite dans la main d’un lieutenant de l’armée irakienne. « Apportez-nous des munitions. On a besoin de renforts, » crache le talkie-walkie. L’air inquiet, il regarde autour de lui : d’autres officiers dans la pièce ont le visage tout aussi blême. « Les djihadistes de Tal Afar se sont retranchés dans le village d’Al-Ayadieh, au nord de Tal Afar », explique le lieutenant Khazem Nazal de la neuvième division. « Ils sont plus de 700 dans le village », estime le lieutenant.

La libération de Tal Afar, l’un des derniers bastions irakiens de l’organisation État islamique, avait débuté le 19 août dernier. La reprise du centre-ville a été très rapide, elle n’a duré qu’une semaine. Quand les forces irakiennes sont arrivées dans Tal Afar, il restait seulement 260 djihadistes contre les 2 000 attendus. En fait, les forces de sécurité locales avaient facilité la sortie des combattants de l’EI du centre-ville – par le biais d’un corridor – afin de les attaquer dans le désert au nord, et ainsi préserver la ville des combats.

Videos by VICE

Des officiers de la neuvième division coordonnent les opérations au nord de Tal Afar.

Ce mercredi 30 août, c’est le jour de l’offensive finale contre Al-Ayadieh, un village au milieu d’un désert brûlant, où se sont retranchés les combattants de l’EI. Des volutes de fumées grises surgissent de derrière la colline à chaque frappe aérienne. Des voitures blindées se ruent à l’assaut de l’ennemi entraînant dans leur sillage une bourrasque poussiéreuse. D’autres véhicules militaires chargés d’hommes épuisés rejoignent les lignes arrière. La libération de Tal Afar se joue donc réellement ici, à une dizaine de kilomètres au nord du centre-ville. « Nous espérons terminer avant ce soir [mercredi 30 août] » soupire le général Sabah Mustafa de la neuvième division : « 162 djihadistes ont été tués rien que dans la journée d’hier [mardi 29 août] ».

Toutes les forces irakiennes sont déployées pour libérer un village au nord de Tal Afar.

Mais cette volonté d’en découdre rapidement pose quelques soucis. La force de frappe déployée à quelques centaines de mètres de là est aussi efficace que dangereuse. Près d’une dizaine de soldats sont morts dans la journée de mercredi selon une source médicale, alors que d’autres ont été tués par des tirs « amis ». Vers 17 heures, les hélicoptères continuent de décharger leurs munitions sur le village en feu. L’un d’eux parade au-dessus de l’armée irakienne comme pour motiver les troupes. Mercredi soir, l’offensive contre Al-Ayadieh semble toucher à sa fin, alors qu’une nouvelle colonne de fumée noire se dessine à l’est. « Une frappe aérienne a stoppé l’échappée de quelques djihadistes », rapporte un militaire. Le lendemain, la 16ème division prendra le relai pour capturer les derniers djihadistes qui ont essayé de s’échapper du village.

Un soldat de l’armée irakienne conduit une voiture blindée depuis Al Ayadieh jusqu’aux lignes arrière.

Dans le centre-ville de Tal Afar, libéré trois jours plus tôt, les différentes forces prennent pied peu à peu. Si l’armée et la police fédérale ne s’éternisent pas, les drapeaux de la milice chiite Hached al-Chaabi, eux, flottent à chaque coin de rue. Pas l’ombre d’un civil. Les miliciens patrouillent en pick-up dans les quartiers sinistrés. Des hommes en tenue militaire dépareillée font le pied de grue pour veiller à la sécurité d’une ville fantôme. La veille, un djihadiste de l’État Islamique (EI) a été tué. Il aurait surgi depuis un tunnel, d’après Mohamed Nasser al Bayati, responsable d’une unité de la milice, la brigade Al-Abbas.

Des miliciens chiites célèbrent la victoire en dansant.

Un milicien local raconte qu’il avait quitté la ville à l’arrivée de l’EI en 2014. Sahdar, 29 ans, ancien ouvrier dans le bâtiment a rejoint quasiment dans le même tempsles brigades Badr, une milice chiite pro-iranienne. « Je suis retourné à Tal Afar pour la libération la semaine dernière. Ma maison a été touchée par un mortier. J’espère que ma famille pourra rentrer dans trois mois. » Le jeune homme rôde à la lisière d’un quartier sunnite, sur un monticule rocailleux jonché d’un cadavre de cheval fraîchement tué par les djihadistes.

Deux miliciens de la brigade de Badr patrouillent dans Tal Afar.

Pourquoi a-t-il rejoint cette brigade plutôt qu’une autre ? Contraint de répondre sous le regard inquisiteur de son supérieur, Sahdar martèle dans un premier temps qu’il a répondu à l’appel d’Ali Sistani, ayatollah iranien et personnalité politique influente en Irak. Ali Husaini Al-Sistani avait appelé en 2014 au « djihad chiite » contre l’EI. Mais après quelques minutes, Sahdar confie qu’il avait besoin de travailler et qu’il a d’abord essayé de rejoindre la police fédérale. Son nom n’ayant pas été retenu, il s’est tourné vers une milice.

Un milicien chiite se recoiffe avant de prendre la route pour rentrer chez lui.

Nombre de ces miliciens sont originaires de Tal Afar, localité principalement turkmène chiite dans une région à majorité sunnite. Située entre la frontière syrienne et à 70 kilomètres à l’ouest de Mossoul, cette ville avait vu naître une importante insurrection sunnite lors de l’occupation américaine. Une série d’attentats visant les communautés chiites, accusée de collaborer avec les forces américaines, a agité la région en 2004 et en 2005.

Nadir Mohamed Yassin, milicien chiite et originaire de Tal Afar, raconte qu’il a participé à la libération de la ville.

Nadir Mohamed Yassin, milicien chiite et originaire de Tal Afar, raconte kalachnikov à la main : « C’était déjà très dangereux de vivre ici avant l’arrivée de l’État islamique. Je ne sortais pas sans être accompagné. On se sent plus en sécurité quand on fait parti d’un groupe. » Ce père de trois enfants raconte qu’il a participé à la libération de la ville et a même tué un djihadiste pendant l’offensive. « Nous avons décidé de former un groupe de combattants locaux et avons pris part à l’offensive au côté de l’Unité d’intervention rapide – une unité des forces gouvernementales -. »

Quant à l’avenir de sa ville, l’homme reste perplexe et évoque les cycles de vengeance qui minent le pays depuis des générations. « Je connais des dizaines de familles qui veulent prendre leur revanche. »

Tal Afar est une ville fantôme. La population à majorité turkmène chiite a fui la bataille.

« La situation actuelle n’est pas sans rappeler la grande insurrection nationaliste arabe de 1920 contre l’occupation britannique, dont Tal Afar avait été l’un des principaux centres, » explique Mélisande Génat, doctorante à l’université de Stanford, spécialiste de l’Irak contemporain. « Déjà, la question du soutien aux insurgés avait divisé les communautés ethno-religieuses de la ville. Les lignes de fractures intra et interconfessionnelles engendrées par la violence de la répression avaient par la suite contribué, selon le scénario courant, à la perpétuation de cycles de vengeance sur plusieurs décennies. » La présence de milices chiites comme seule autorité pourrait donc contraindre une grande part de la population sunnite de Tal Afar à renoncer à son retour.

Un combattant de la brigade chiite Al Abbas célèbre la victoire.

Jeudi dernier, les forces irakiennes ont mis un terme à la bataille face à l’EI au nord de Tal Afar, alors que les troupes de la 16ème division continuent de traquer les fuyards dans les villages alentour. Jeudi soir dernier, le premier ministre irakien Haïder Al-Abadi a déclaré dans un communiqué : « Notre bonheur est complet, la victoire est arrivée et la province de Ninive est désormais entièrement aux mains de nos forces ».

Mais la lutte contre l’État islamique n’est pas finie, elle se poursuivra à Hawijia au sud ouest de Kirkouk, à Anbar à l’ouest du pays et dans les nombreuses zones désertiques jalonnant la frontière syrienne.

Les combattants de la milice chiite Al-Abbas s’apprêtent à rentrer chez eux pour l’Aïd.


Toutes les photos sont de Charles Thiefaine.

Suivez Charles Thiefaine sur Twitter : @chthiefaine