En Pologne, les élèves qui feront des travaux anti-avortement se verront désormais récompenser : pour la première fois cette année, cela leur vaudra des points supplémentaires sur leur bulletin annuel. Le concours national, intitulé « Aide à sauver une vie sans défense », invite les enfants âgés de 10 à 18 ans à explorer leur créativité littéraire, artistique et musicale en produisant des œuvres qui abordent des « questions de bioéthique », notamment « la contraception, l’avortement, la FIV et l’euthanasie ».
Le site de l’Association polonaise des défenseurs de la vie humaine, qui organise le concours depuis deux décennies déjà, est une mine de propagande anti-avortement soumise par de jeunes enfants, notamment des peintures à l’aquarelle et des croquis monochromes aux slogans comme : « S’il vous plaît, ne me laissez pas mourir » ou « L’avortement est un meurtre ».
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« Les enfants devraient apprendre des faits scientifiques, pas une idéologie religieuse qui leur lave le cerveau. Il s’agit d’une campagne offensive, dirigée par l’église polonaise et soutenue par le gouvernement », s’indigne Kacper Hołda, vice-président de l’association Młoda Lewica (« La Jeune Gauche »).
Le 22 octobre dernier, le gouvernement polonais a mis en place une interdiction quasi-totale de l’avortement, n’autorisant la procédure que dans les rares cas de viol ou de grave danger pour la mère. Le Tribunal constitutionnel a décidé que les avortements sur la base d’une « déficience fœtale grave et irréversible ou maladie incurable menaçant le fœtus » étaient anticonstitutionnels, ce qui a déclenché des mois de protestations à travers le pays d’une ampleur qui n’avait pas été vue depuis la chute du communisme. Pendant des semaines, des centaines de milliers de Polonais, femmes en tête, ont envahi les rues et les églises de l’une des nations les plus farouchement catholiques d’Europe, les manifestants interrompant les messes et organisant des sit-in en brandissant des cintres pour symboliser les avortements dangereux.
Aujourd’hui, l’idéologie anti-avortement s’impose discrètement comme l’autorité morale dans de nombreuses écoles polonaises. Le Conseil de l’éducation de Małopolska, qui supervise l’enseignement dans la voïvodie de Petite-Pologne, qui comprend la ville de Cracovie, a été le premier à reconnaître officiellement le concours « Aide à sauver une vie sans défense » comme un bon moyen d’obtenir des points bonus. D’autres structures régionales de villes comme Lublin, Katowice et Białystok ont suivi le mouvement.
L’Association polonaise des défenseurs de la vie humaine a également créé un concours national de licence et de maîtrise. Maria Rozenbajger, 23 ans, est lauréate du concours 2020 et fermement partisane de l’interdiction de l’avortement. « Un État qui ne protège pas son citoyen le plus faible, à savoir l’enfant à naître, ne protège personne, dit-elle. Je pense qu’il est essentiel de promouvoir la vie, la santé et la famille. En encourageant les enfants à participer au concours, on peut indirectement façonner leur système de valeurs et leur façon de penser. Chaque initiative débouche sur une action. »
Małgorzata Nogalska, directrice d’un lycée, a participé aux manifestations pro-avortement et partagé des messages de soutien au mouvement sur Facebook. Elle a fait l’objet d’une plainte anonyme auprès du conseil d’administration de l’école – qui est contrôlé par des partisans du parti au pouvoir – pour incitation à la violence parmi ses élèves. Une commission disciplinaire a ouvert une enquête à son encontre. « Je risque non seulement un blâme, mais aussi un renvoi ainsi qu’une interdiction d’enseigner. Bien sûr, la situation est très stressante et a eu des conséquences sur ma santé », dit-elle.
Nogalska n’est pas la seule à avoir reçu ce genre de menace. Iwona Ochaka, directrice d’une école primaire et enseignante de polonais à Tczew, a été photographiée lors d’une manifestation, puis prise pour cible par la télévision progouvernementale, avant d’être signalée au conseil de l’éducation. En fonction de la décision de la commission disciplinaire, elle pourrait perdre son autorisation d’enseigner. « Cette répression par les autorités n’a fait que renforcer ma conviction selon laquelle je dois me battre pour les droits des femmes », dit-elle.
Le programme scolaire polonais ne prévoit pas de cours d’éducation sexuelle, seulement un cours facultatif d’« éducation à la vie familiale » qui prépare les élèves à l’entretien du foyer et à l’éducation des enfants. « Dans les écoles polonaises, tout ce qui concerne le corps ou la sexualité est censuré. C’est même plus que de la censure, c’est une conspiration du silence mêlée à de l’hystérie. Les manuels scolaires sont davantage basés sur des principes religieux que scientifiques », explique Ochaka.
Maciej Rauhut, un adolescent de 14 ans originaire du sud de la Pologne, a partagé un message sur Facebook concernant une manifestation dans sa ville. Quelques heures plus tard, deux policiers se sont présentés à sa porte et l’ont accusé d’organiser une manifestation illégale. Il a été menacé de quatre ans de détention dans un établissement pour mineurs et de quatre ans de prison, mais sous la pression des médias, la police a abandonné les charges. « La police m’a remis un papier, entre autres, disant que j’étais dépourvu de moralité parce que j’avais un compte Facebook. Mais il n’y avait aucun motif pour ouvrir une procédure contre moi », explique Rauhut.
Endoctriner les enfants pour ne pas avoir à les surveiller une fois adultes, c’est le modus operandi des États autocratiques. « Le nouveau ministre de l’Éducation polonais est un conservateur homophobe de droite, dit Rauhut. Il a l’intention d’introduire dans les manuels scolaires l’idée selon laquelle l’avortement désigne le meurtre d’un être humain. Mais cette information figure déjà dans les manuels de cours de religion publiés par des maisons d’édition catholiques. J’ai l’impression de vivre dans un régime totalitaire. »
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