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Endométriose : vivre avec une maladie sans cause ni traitement

Cet article a initialement été publié sur Broadly.

À 11 ans, Chloe Pudwill s’est mise à souffrir de douleurs menstruelles qui la tétanisaient. Au collège, elle portait des pantalons à carreaux blancs et rouges pour camoufler le sang qui traversait immanquablement sa serviette. Elle n’oubliera jamais le jour où elle s’est effondrée sur sa table pendant les cours avant de se traîner jusqu’à l’infirmerie, car la souffrance était devenue insupportable. Ce jour là, tout ce que l’auxiliaire a pu offrir à l’adolescente agonisante, c’est un cachet d’ibuprofène.

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Les yeux posés sur le comprimé, submergée par la douleur et la honte, Chloe s’est mise à pleurer. Un garçon était assis dans le couloir. L’infirmière a fermé la porte, et la jeune fille ne lui a plus jamais rendu visite.

Chloe avait 25 ans lorsqu’elle a compris que quelque chose clochait vraiment. C’était au printemps 2013, alors qu’elle vivait à San Francisco. Ignorant les crampes qui lui avaient tordu le ventre pendant toute la journée par peur de passer pour une douillette, elle a accepté d’aller au théâtre avec un ami. La douleur s’est intensifiée dans le noir, pendant la représentation. Son souffle est devenu court et sa vision s’est brouillée. C’est là, dit-elle, qu’elle a su “que quelque chose de grave était en train d’arriver.”

La jeune femme a lancé à son ami qu’elle allait à l’hôpital et s’est engouffrée dans un taxi. Étendue sur la banquette arrière, elle a demandé au chauffeur de l’emmener aux urgences les plus proches. Quelques minutes plus tard, elle était allongée dans la salle d’attente de l’hôpital général de San Francisco.

Le temps d’attente moyen aux urgences du San Francisco General est de 33 minutes. Ce samedi soir-là, Chloe a dû patienter deux heures. Les mains crispées sur sa veste, elle vomissait dans un seau en pensant qu’elle allait mourir. “J’étais tellement seule, j’avais tellement mal, tellement peur, se souvient-elle. Tellement peur.”

Dépassée par la douleur, Chloe a fini par se lever de son lit et tirer le rideau derrière lequel on l’avait isolée. Les infirmières de garde ont tourné la tête dans sa direction. Elle a hésité : que pouvait-elle bien dire ? Comment leur expliquer que tout ceci n’avait rien à voir avec des crampes menstruelles classiques ? Et si elle exagérait ?

L’endométriose est une maladie chronique douloureuse qui frappe une femme en âge de se reproduire sur dix. Elle se déclare quand des tissus apparentés à l’endomètre, la muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’utérus, se développent à l’extérieur de la cavité utérine. Les zones les plus touchées sont l’abdomen, la région génitale, les organes génitaux et la cavité pelvienne.

En dehors de l’utérus, l’endomètre continue à se comporter comme une muqueuse vaginale : il s’épaissit, se désagrège et saigne à chaque cycle menstruel. Le problème, c’est que le corps est incapable d’évacuer ces tissus, qui se transforment progressivement en lésions. Ce sont elles qui causent les symptômes les plus couramment observés de l’endométriose : douleurs pelviennes intenses, saignements menstruels abondants et infertilité. Avec le temps, la maladie peut déclencher une inflammation qui va lier les organes et les muscles avoisinants au sein d’un réseau de tissu cicatriciel.

L’endométriose est une maladie invisible. On lui prête de nombreux symptômes et sa sévérité est mesurée en stades, qui dépendent du nombre et de la profondeur des lésions ; seulement, l’intensité des symptômes et la gravité de la maladie ne sont pas forcément corrélés. La directrice du programme chirurgical du Center for Endometriose Care, Heather Guidone, affirme qu’une femme au stade 1 peut être clouée au lit par la douleur et qu’une femme au stade 4 peut ignorer qu’elle est malade.

Personne ne sait ce qui cause l’endométriose, et personne ne sait comment la traiter.

Quand Chloe repense à cette nuit passée à l’hôpital, c’est souvent avec colère et incompréhension. “Ce n’est pas comme un bras cassé, explique-t-elle. C’est tellement difficile de faire entendre cette douleur au médecin, qui est convaincu qu’il s’agit de douleurs menstruelles normales, à tel point qu’une femme qui se présente aux urgences en disant ‘J’ai vraiment mal, quelque chose ne va pas’ va souvent s’entendre dire ‘Je ne vois pas le problème’.”

Les professionnels de santé ont tendance à traiter les douleurs féminine et masculine différemment. Des articles récents, notamment celui que Joe Fassler a consacré à la prise en charge de sa femme victime d’une torsion ovarienne, apportent des preuves anecdotiques de cette sexualisation de la souffrance. Une étude publiée en 2001, “The Girl Who Cried Pain“, affirme que les hommes sont plus à même de recevoir des antalgiques quand ils se plaignent de douleurs auprès d’un médecin, tandis que les femmes recevront plutôt des sédatifs. Les femmes sont aussi “plus susceptibles de voir leur douleur qualifiée d’émotionnelle ou de psychogène et, dès lors, d’inauthentique.”

Chloe, qui n’a jamais lu cette étude, exprime le même sentiment. “C’est presque comme si cette croyance selon laquelle les femmes ne comprennent pas leur douleur était normal. Comme si nous n’étions pas assez intelligentes pour comprendre.”

La thèse qui veut que la connaissance qu’ont les femmes de leur corps est fondamentalement biaisée et irrationnelle remonte au moins à l’Antiquité. L’hystérie (du Grec “hystera”, “utérus”) est une maladie qu’on a diagnostiquée aux femmes dès l’époque de Platon. Pendant l’ère industrielle, des symptômes tels que l’angoisse, les évanouissements, l’insomnie, l’anxiété ou un comportement libidineux pouvaient faire de vous une hystérique aux yeux des médecins.

Aujourd’hui, le diagnostic d’hystérie a été relégué aux livres d’histoire. Malheureusement, les préjugés qui l’entouraient demeurent. “Les femmes qui recherchent une assistance médicale risquent d’être reçues avec moins d’attention que les hommes”, rapporte l’étude de 2001. “Leur douleur risque d’être traitée avec moins de précision”. Quinze ans plus tard, Frank Tu, le directeur du service de douleurs gynécologiques du NorthShore University HealthSystem, a déclaré au magazine Quartz que certains généralistes étaient toujours enclins à prescrire de l’ibuprofène aux femmes qui souffrent de douleurs pelviennes sévères.

L’urgentiste qui s’est occupée de Chloe a d’abord réalisé un examen du pelvis, puis un scan de son abdomen. Quand ce dernier a montré qu’elle souffrait peut-être de kystes ovariens, elle a été orienté vers un spécialiste en gynécologie-obstétrique. On lui a également rédigé une ordonnance pour des antalgiques.

Au cours des semaines suivantes, Chloe s’est rendue auprès d’une spécialiste à plusieurs reprises. Sa douleur, en plus d’être constante, n’était que peu atténuée par ses médicaments. Elle savait que son supérieur était sur le point de la licencier ; pourtant, elle était incapable de retourner au travail. Heureusement, sa docteure était attentive et acharnée : elle savait que la douleur de la jeune femme ne cadrait pas avec le diagnostic de kystes ovariens. À la troisième visite, elle lui a indiqué qu’elle souffrait peut-être d’endométriose. Elle n’avait jamais entendu ce mot.

Aux États-Unis, une femme atteinte d’endométriose attend son diagnostic en moyenne neuf ans. Au Canada, en Allemagne, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni, cette durée est sensiblement identique. Pourquoi faut-il attendre si longtemps ? La réponse est un mélange amer de culture, de conditionnement et d’un manque de réponses concrètes.

“Parfois c’est médical, et parfois ça a à voir avec la société en général”, explique Jenny Johnston, une généraliste de la Queen’s University de Belfast. En plus des réponses genrées aux questions qui unissent femmes et douleurs, explique-t-elle, il y a la difficulté d’évoquer les sujets tabous qui entourent l’endométriose : le sexe, les menstruations et la fertilité.

En dépit du nouvel intérêt des chercheurs pour la maladie, peu de solutions existent pour aider les femmes qui en sont affectées. Lorsqu’on lui demande ce qui nous reste à apprendre sur l’endométriose, Heather Guidone éclate de rire : “Nous devons encore trouver une cause unique, universelle et acceptée par une majorité de médecins, ce qui nous permettra peut-être un jour de faire de la prévention”, explique-t-elle.

Des études ont montré que les proches des femmes atteintes d’endométriose ont 5 à 7% de chances de plus d’être diagnostiquées elles aussi, ce qui semble indiquer une origine génétique à la maladie. D’autres recherches ont montré que l’endométriose était présente dans certains foetus. Les femmes peuvent donc naître avec cette maladie, qui ne se déclare qu’à la puberté, quand les niveaux d’oestrogènes grimpent et que l’endomètre grandit.

Une théorie autrefois très en vogue suggérait que l’endométriose survenait quand le tissu menstruel passait des trompes de Fallope à l’abdomen pendant la période menstruelle. Des recherches récentes ont montré que si un grand nombre de femmes souffraient de menstruation rétrograde, peu sont touchées par l’endométriose. “On a probablement affaire à une combinaison de différents facteurs”, affirme Guidone.

À mesure que sa médecin lui expliquait ce qu’est l’endométriose, Chloe a été saisie par un singulier mélange entre peur et soulagement. Après des années passées à décrire sa douleur et à douter de la véracité de ses sensations, on lui offrait enfin plus qu’une unique pilule. Peut-être qu’elle était vraiment malade. Peut-être qu’on pouvait faire quelque chose pour elle.

Malheureusement, ses espérances ont été de courte durée. Seul moyen de poser un diagnostic d’endométriose clair : la chirurgie exploratrice. La procédure coûtait 3 000 dollars. La jeune femme s’apprêtait à entrer à l’université, elle avait bien un petit job mais celui-ci ne lui rapportait que le salaire minimum et aucun avantage. La chirurgie, dit-elle, c’était le Saint Graal.

La docteure de Chloe s’est montrée compréhensive vis-à-vis de sa situation financière. Elle a suggéré une surveillance étroite de son état ; en attendant qu’elle se procure une assurance, sa patiente pourrait prendre la pilule. Prise sans pause mensuelle, cette dernière empêche la dégradation du tissu endométrial et aide à contrôler la douleur. Dans le budget de Chloe, c’était ce qu’elle pouvait offrir de mieux.

De retour chez elle, Chloe a tenté de se renseigner sur l’endométriose grâce à Internet. “Je n’ai quasiment rien trouvé, dit-elle, sinon une page WebMD extrêmement cryptique”. Alors, elle a accepté de continuer à prendre la pilule.

On ne sait pas comment prévenir l’endométriose. On ne sait pas la soigner non plus. La pilule (et quelques thérapies hormonales fortement controversées) peuvent soulager certains symptômes mais “c’est tout’, affirme Guidone. La maladie n’est pas traitée, juste domptée.

La pilule est utilisée pour raccourcir, alléger et régulariser les menstruations, ce qui peut aider à réduire la douleur. D’autres traitement hormonaux peuvent mettre le corps dans un état proche de l’état ménopausal, ce qui prévient l’ovulation, la menstruation et le développement de l’endométriose. Il y a des effets secondaires cependant : ostéoporose, dépression, bouffées de chaleur et insomnie.

Les docteurs recommandent parfois l’hystérectomie aux femmes qui souffrent trop. Cependant, affirme Guidone, cette intervention radicale ne permet pas de “traiter” les femmes atteintes d’endométriose : les lésions qui se sont déjà installées en dehors de l’appareil reproducteur vont continuer à causer des douleurs, avec ou sans utérus. De plus, si l’endométriose ne cause pas l’infertilité chez toutes les femmes qui en sont affectées, une hystérectomie met nécessairement un terme définitif à tout espoir de maternité.

D’après Guidone, le traitement “de référence” à l’heure actuelle est également le plus invasif : l’excision laparoscopique. Pendant l’opération, une petite incision est pratiquée sur l’abdomen du patient. Un laparoscope, un long instrument doté d’une caméra et d’une lampe, est inséré dans l’ouverture. Il permet au chirurgien de repérer les lésions causées par l’endométriose sans ouvrir le ventre de la patiente pour de bon. Ces lésions se présentent souvent sous la forme de taches de couleur sombre ou de kystes remplis d’un liquide marron. Le spécialiste peut ensuite pratiquer l’exérèse de ces lésions.

Une opération totalement réussie peut libérer une patiente de la douleur, mais cela demande une main experte. Guidone affirme qu’une poignée de chirurgiens sont capables de mener une excision laparoscopique avec succès aux États-Unis. Ces spécialistes peuvent retirer l’ensemble des lésions sans endommager les organes reproducteurs de leur patiente. Il faut attendre des mois, voire des années, pour se faire opérer par ces experts.

Quand Chloe a commencé à prendre la pilule, elle a senti que sa douleur se calmait. À l’automne 2013, elle a entamé son cursus universitaire. SIx mois plus tard, elle a décidé de mettre un terme au traitement, auquel elle attribuait des effets secondaires sévères. La peur est revenue : et si l’endométriose s’était remise à croître en elle ? Elle redoutait le retour de cette douleur affreuse. En ignorant sa maladie, elle ignorait un perspective encore plus inquiétante : la chirurgie, et toute une vie de souffrance.

“Je ne voulais pas me plonger là-dedans, dit-elle. Alors j’ai continué ma vie comme si de rien n’était, comme si tout était normal.”

Chloe s’est enfoncée dans ce mensonge pendant toutes ses années de fac, et un peu plus. Elle a accepté un poste au bureau des admissions de son université, ce qui lui a donné accès à une excellente couverture santé. Son travail lui plaisait, elle aimait ses collègues et elle s’investissait sincèrement. Chaque mois, les crampes étaient plus fortes et apparaissaient plus tôt dans le cycle.

Elle a d’abord refusé de croire que ses symptômes étaient de retour. Malheureusement, sa douleur était devenue permanente. Les symptômes qui, d’ordinaire, apparaissaient juste avant ses règles, se manifestaient désormais sur des périodes de deux à trois semaines. De plus, des sensations persistantes de fourmillement et d’engourdissement parcouraient désormais sa jambe gauche.

Un matin, prostrée dans sa chaise de bureau avec une serviette et une bouillotte, elle s’en est prise à un collègue. Ce genre d’éruption lui ressemblait si peu qu’elle a finalement accepté d’appeler un hôpital. À l’autre bout du fil, on lui a demandé de se présenter immédiatement aux urgences. Chloe l’a ressenti comme une défaite. Sur le parking de l’hôpital, elle a refusé un fauteuil roulant et convaincu sa collègue de la laisser seule. Elle voulait contrôler la situation, mais elle voulait aussi s’en sortir.

Chloe s’est rendue aux urgences à trois reprises dans le mois qui a suivi cette première visite. Un examen du pelvis et un scanner ont confirmé la présence de kystes ovariens, mais pas de lésions liées à une endométriose. Les médecins lui ont prescrit des antalgiques. Sa vie semblait hors de contrôle, fonctionner normalement lui semblait presque impossible. À l’été 2016, elle a finalement réclamé une intervention chirurgicale. Quelques semaines plus tard, un gynécologue-obstétricien a accepté de pratiquer une laparoscopie pour confirmer la présence de lésions et, si possible, les retirer.

La procédure laparoscopique est considérée comme peu risquée. Chloe était tout de même terrifiée lorsqu’elle est arrivée à l’hôpital à l’aube, en septembre dernier. La chirurgie ne l’inquiétait pas. En fait, une seule pensée la rongeait : et s’ils ne trouvaient rien dans son abdomen ?

Allongée sur un brancard, nue sous une couverture, la jeune femme regardait défiler les membres de l’équipe chirurgicale. Ils se penchaient sur elle un à un et lui demandaient de détailler les événements à venir. Une infirmière a injecté quelque chose dans son intraveineuse. Pas de piqûre, pas de pilule, rien que l’amorti d’un sommeil lourd. Tout est devenu noir.

Un instant plus tard, Chloe s’est transformée en Chloe E. Pudwill, une femme de 27 ans atteinte d’un kyste à l’ovaire gauche et de douleurs pelviennes. Le rapport de son opération indique qu’elle a été mise sous anesthésie générale sans problème particulier. Elle a été préparée et recouverte d’un tissu stérile, comme toutes celles qui ont subi cette opération avant elle. On a changé de gants et pratiqué une incision. Le placement était bon.

L’abdomen de Chloe a été gonflé à l’aide d’une petite dose de dioxyde de carbone pour permettre au chirurgien de naviguer plus aisément entre ses organes. Le laparoscope a été inséré. Le chirurgien, l’infirmière, l’interne et l’anesthésiste ont levé les yeux vers l’écran.

La cavité abdominale de Chloe était constellée de lésions sombres, comme si une araignée avait pondu sur ses organes. Le chirurgien a été surpris par la gravité de la situation. Il savait que les examens de première intention n’avaient révélé aucune trace de cicatrices attribuables à une endométriose aigüe. La laparoscopie lui a permis de comprendre pourquoi : les lésions de Chloe étaient placées haut sur son pelvis, assez pour qu’il devienne difficile de les repérer.

Sur l’écran sont apparus les organes reproducteurs de Chloe. L’équipe allait faire de son mieux pour les préserver. En jouant du laparoscope, le chirurgien a découvert que les lésions de la jeune femme étaient si développées qu’elles avaient déplacé son ovaire gauche. D’année en année, le tissu cicatriciel s’était assez accumulé pour pousser la gonade hors de son emplacement naturel, le creux de la trompe de Fallope. Désormais, elle était écrasée dans son flanc.

L’équipe s’est mise au travail. Prenant bien soin de ne pas abîmer le tube utérin de Chloe, le chirurgien a cautérisé une lésion située au-dessus de son utérus et extrait celle qui s’accrochait à son côlon. Le kyste surgi de l’ovaire gauche s’est rompu pendant la tentative d’exérèse, ce qui l’a obligé à nettoyer l’abdomen de la jeune femme. Ensuite, il a extrait la gonade enclavée et l’a remise à sa place naturelle. D’autres lésions situées au niveau de l’urètre et de l’ovaire droit ont été repérées et ôtées. Au total, six spécimens, quatre lésions et deux kystes, ont été excisés.

L’abdomen de Chloe était rose et gonflé quand le spécialiste a posé ses instruments. Le moniteur rapportait un poul stable. Les fragments de chair renégate, luisants de sang et inoffensifs, ont été posés sur des serviettes stériles et conditionnés avec soin. Bientôt, ils seraient envoyés au laboratoire de l’hôpital pour analyse.

Chloe E. Pudwill a bien toléré la procédure. Elle a été emmenée en salle de réveil dans un état stable.

Lorsqu’elle s’est réveillée, Chloe a ressenti comme un coup de pied dans le ventre. Quand le chirurgien est venu lui rendre visite, il lui a annoncé ce qu’elle rêvait d’entendre depuis trop longtemps.

Ils avaient trouvé des traces d’endométriose. Et ils les avaient toutes retirées.

“J’avais quelque chose, et ce n’était pas un petit quelque chose, raconte-t-elle. C’était assez grave pour tirer l’un de mes ovaires dans mon flanc.” Comme un coup d’éventail dans une pièce enfumée, cette découverte a dissipé les doutes qui l’embrumaient : elle avait eu mal, elle n’avait rien imaginé, rien exagéré. Elle avait bien fait de sortir du théâtre, ce soir-là. Elle avait vraiment eu besoin de quitter le travail. Elle avait une maladie, et cette maladie avait un nom.

Les chirurgiens l’avaient débarrassée de l’endométriose, mais Chloe resterait marquée à vie. Son ovaire et ses organes reproducteurs avaient été tirés hors de leur emplacement pendant des années par cette chair sans fin ; les dégâts à son flanc gauche étaient irréversibles. Les années à venir allaient être lourdes en thérapie physique, ses muscles abdominaux devaient être remis d’aplomb, mais aussi en inquiétude : si le chirurgien avait manqué une seule petite lésion, la douleur pourrait revenir.

Avant de passer sur la table, Chloe s’était entretenue avec son endocrinologue. Celui-ci lui avait demandé où elle se voyait une fois réveillée. “Je dois aller mieux, lui a répondu Chloe. Ça a ruiné ma vie.” Elle voulait se libérer de la douleur, et obtenir son diplôme.

Chloe a été opérée il y a maintenant un an. Aujourd’hui, elle étudie la psychologie clinique en parallèle de son emploi à l’université. Des exercices quotidiens l’aident à soulager les muscles blessés de son flanc. Son sac contient toujours quelques comprimés d’ibuprofène. Elle hausse les épaules : “Il faut ce qu’il faut.” Le plus important, c’est que la peur qui la tenaillait depuis ses 11 ans a désormais disparu. Sa vie, dit-elle, est à peu près revenue à la normale.

Elle sait qu’elle a de la chance. Entre sa première visite et son opération, quatre années se sont écoulées. C’est bien moins que les neuf années habituelles. Elle avait aussi les moyens de payer l’opération, qui l’a par ailleurs soulagée. Tout le monde n’a pas cette chance ; chez certains, la laparoscopie ne change rien à la douleur chronique.

Les experts s’accordent pour dire que les secrets de l’endométriose sont encore hors de portée. Quoi qu’il en soit, Chloe pense au futur avec confiance. Debout dans la lumière d’un coucher de soleil, elle lève son tee-shirt pour dévoiler ce qui reste de son histoire. Seize ans de honte, de peur et de douleurs ont été échangées contre trois cicatrices à l’abdomen. Elles ont toutes la taille d’une simple pilule.