Les proches de Siasi Tullaugak la décrivent comme une combattante, une femme fougueuse avec une présence beaucoup plus imposante que sa silhouette d’à peine cinq pieds. « Elle ne se laissait pas marcher dessus, se souvient le travailleur en intervention John Tessier. Elle était vraiment très forte, mais aussi très tendre avec ses amis. » Sharon Baron, elle, était connue pour son sang froid et sa générosité. « Elle dégageait une certaine confiance », dit Tessier.
Les deux femmes sont décédées la semaine dernière. Tullaugak a été retrouvée pendue à un balcon d’un premier étage sur la rue Chomedy dans le centre-ville de Montréal, tandis que le corps de Baron a été découvert chez elle à Dorval, quelques jours plus tard. Les deux cas ont été classés comme des suicides, mais les proches des deux femmes inuites exhortent le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à enquêter davantage.
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« Il y a une peur qui persiste, explique Tessier, qui travaille au refuge Open Door, un lieu que les deux femmes fréquentaient. Il y a encore des rumeurs, personne ne croit qu’il s’agit réellement de suicides. »
Jessica Quijano, coordonnatrice au Foyer pour femmes autochtones de Montréal, dit que ces enquêtes d’apparence excessivement hâtives ajoutent à la profonde méfiance que la communauté a envers la police. Elle explique que ce sentiment est amplifié par le fait qu’un nombre important de cas de femmes autochtones assassinées et disparues a été lié à de la négligence policière.
Dans le cas de Siasi Tullaugak, un rapport du SPVM obtenu par VICE indique quelques faits inquiétants. Selon le document, le SPVM a été en contact avec la jeune femme de 27 ans quelques heures avant sa mort après avoir reçu un appel signalant qu’un homme avait tenté d’entraîner une femme inuite de force dans une ruelle.
Les proches des deux femmes disent qu’elles n’étaient pas suicidaires et qu’elles avaient même parlé de retourner visiter leurs familles dans le Nord-du-Québec. Les deux consommaient des drogues et travaillaient dans l’industrie du sexe. Dans le square Cabot, au centre-ville de Montréal, où elles passaient beaucoup de temps, des histoires circulent à propos d’un potentiel dealer vindicatif ou d’un client violent.
« Les gens croient qu’il y a quelqu’un qui tue des femmes dans la rue, donc ils ont vraiment peur », dit Jessica Quijano.
Bien qu’il n’y ait aucune preuve que c’est le cas, elle affirme que la police ne semble même pas avoir exploré cette possibilité.
Le SPVM n’a pas voulu répondre aux questions de VICE par rapport à l’ampleur de leur enquête, affirmant plutôt qu’ils ne pouvaient pas fournir de détails puisque les décès n’étaient pas liés à des actes criminels.
Pourtant, les témoignages de ceux qui ont croisé Tullaugak la nuit de sa mort font écho à certains détails retrouvés dans le rapport de police, à savoir qu’elle s’était sentie menacée. Certains témoins ont également dit qu’ils l’avaient vue partir avec un homme peu avant le moment de sa mort.
Une femme a dit à VICE qu’elle avait passé du temps avec Tullaugak cette nuit-là. Peu de temps après s’être séparées, elle raconte avoir entendu un cri perçant venant d’un pâté de maisons dans la rue où le corps de Tullaugak a été trouvé.
Mais les travailleurs en intervention craignent que ces informations n’aient pas été recueillies par les enquêteurs. Ils ont dit à VICE que la plupart des amis de Siasi n’avaient toujours pas été interrogés et que ceux qui avaient parlé avec les autorités s’étaient plaints que les agents n’avaient pas pris de notes.
« Nous avons contacté le détective attitré au cas de Siasi pour l’inviter à venir au refuge et parler aux gens qui étaient avec elle cette nuit-là, a expliqué Quijano. La police n’a pas répondu à l’invitation. »
Elle craint que d’autres détails importants aient aussi été négligés et se demande si la police a examiné les relevés téléphoniques de Siasi, qui pourraient contenir des indices importants reliés à sa mort. « Il y a beaucoup de questions sans réponses, et les gens aimeraient tout simplement savoir que la police est allée au fond des choses. »
Au cours des dernières années, plusieurs enquêtes journalistiques sur la mort ou la disparition de femmes autochtones ont révélé ce qui semblait être du travail policier incomplet. Un enjeu qui s’est retrouvé au centre de l’enquête nationale sur le sujet. Dans de nombreux décès classés comme des accidents ou des suicides, la police aurait ignoré des blessures inexpliquées ou négligé d’interviewer des témoins clés.
« Le SPVM a promis de travailler sur ses relations avec les communautés autochtones à Montréal, dans le cadre de la réconciliation, rappelle Mme Quijano. S’ils font ce genre de déclaration, ils doivent honorer leur engagement. »