Les distributeurs automatiques de billets – ou « DAB » – ont longtemps constitué le point faible de la chaîne d’approvisionnement en liquide des banques. Si les banques ne possèdent quasiment plus d’espèces en agence, les distributeurs en sont souvent bien garnis et attirent la convoitise des braqueurs. En 2011, l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante recensait 209 arrachements de DAB en France métropolitaine, dont 26 % opérés à l’aide d’explosifs.
Face à cette situation, le gouvernement et les banques ont pris différentes mesures pour améliorer la protection des distributeurs automatiques. Un décret paru en octobre 2012 autorise notamment ses techniciens à posséder une arme durant leur service. Aussi, les banques répandent progressivement un système de maculage à l’encre des billets en cas de tentative de forçage des cassettes qui contiennent l’argent. Avec toutes ces mesures sécuritaires, les braquages de DAB réussis se sont considérablement raréfiés.
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J’ai cependant eu l’occasion de rencontrer Amine*, un type ayant effectué un casse avec succès. Proche de la trentaine, il bosse actuellement en CDI dans le prêt à porter, mais n’hésite pas à arrondir ses fins de mois avec des vols excessivement lucratifs. Il se démarque des autres délinquants par sa discrétion et son professionnalisme, et est ainsi inconnu des services de polices. Il a accepté de revenir sur l’un de ses gros coups.
VICE : Tu peux nous présenter brièvement ton parcours ?
Amine : Je pense que j’ai le parcours classique des jeunes voyous de mon âge. Au lycée, je me suis lancé dans divers trafics – shit, vol de moto-cross, scooters, voitures – bref, je faisais tout ce qui était susceptible de me rapporter de l’argent.
Grâce à ça, j’ai très vite arrêté de demander de l’argent à mes parents. Je n’étais pas riche, mais je vivais plutôt bien sans trop me fatiguer. Je partais en vacances assez souvent, je pouvais m’offrir tous les derniers survêtements de football et des vêtements de luxe pour les sorties du week-end. Vers 19-20 ans, je suis rentré dans la vie professionnelle, tout en continuant mon petit rythme. Il faut dire que je ne me suis jamais fait serrer – ça encourage à continuer.
Comment es-tu passé de la petite délinquance au braquage de distributeurs ?
À force de faire des affaires, j’ai fini par rencontrer les bonnes personnes. Je suis devenu ami avec eux parce qu’ils me ressemblaient : débrouillards, sérieux et motivés pour récupérer un maximum d’argent le plus rapidement possible. Du coup, on a formé un petit groupe de six ou sept personnes. Notre spécialité était le vol avec agression, mais on faisait aussi des cambriolages et un peu de car-jacking. Pour chaque coup, on définissait un nombre de personnes à l’avance : par exemple, si c’était juste un petit cambriolage, on faisait le coup à deux. En gros, on formait une équipe à tiroirs.
À force, on s’est fait une petite réputation et on s’est mis à travailler uniquement quand on avait des plans. On ne laissait jamais rien au hasard. Des gens venaient nous voir pour nous prévenir qu’une vente avec paiement en liquide devait se produire tel jour à tel endroit, ou que tel commerçant entreposait une partie de ses recettes chez lui. On faisait une rapide évaluation des bénéfices/inconvénients et on décidait si on passait à l’action ou non. La plupart du temps, des proches de la victime nous refilaient des tuyaux – des femmes trompées, souvent. C’est un moyen pour elles de se venger, tout en encaissant un petit billet au passage.
J’imagine que tu as dû faire du mal à des gens. Tu y penses parfois ?
J’ai très peu de morale. Je ne suis pas un pseudo Robin des bois qui ne va voler que les entreprises. Particulier ou professionnel, je tape dedans. Je préfère que les thunes soient dans ma poche que dans celles d’un autre. Je n’ai jamais tué personne : quand les personnes sont coopératives, je n’utilise pas la violence. Mais c’est vrai qu’en cas de résistance, j’ai pu envoyer quelques patates ou menacer des gens avec une arme. Mais je me dis que ça fait partie du boulot.
Quant aux potentiels traumatismes psychologiques, disons que ça ne m’empêche pas de dormir. Il faut dire que je n’ai jamais rencontré mes victimes, je ne mesure pas vraiment l’impact que j’ai pu avoir sur eux.
OK. Si tu le veux bien, parle-moi de la fois où tu as braqué un DAB.
Un jour, un des types de mon équipe a rencontré un ancien braqueur qui pouvait nous tuyauter sur les distributeurs de billets. On ne peut pas s’attaquer à une banque au hasard et s’y prendre n’importe comment. Je préfère rester vague, mais dans certaines zones, les livraisons se faisaient par le biais de convoyeurs de fonds qui accompagnaient le dabiste. Ces derniers se garaient en parallèle du distributeur pour éviter une attaque de voiture-bélier. Mais dans d’autres endroits, le dabiste était tout seul, et c’est ce qu’on recherchait. Personne n’a envie que ça se termine en bain de sang, tout ça pour 40 000 euros par personne. Un autre paramètre important, c’était l’usage d’un système de maculage ou non par la banque. Avoir des billets remplis d’encre, c’est très frustrant !
Une fois que le dabiste commence à charger le distributeur, il faut respecter un certain timing, sous peine de tout faire tomber à l’eau. Il faut attendre qu’il ait les cassettes de billets prédéposées par les convoyeurs en sa possession. D’un point de vue pratique, le distributeur doit être agencé de manière à ce que l’on puisse faire une voiture-bélier : on se sert de la voiture pour enfoncer la porte par laquelle entre le dabiste, qui est située à côté du distributeur. Il y a donc un ensemble de critères techniques : il ne faut pas de trottoirs (ils peuvent ralentir la prise d’élan), ni de distributeur dans un renfoncement de largeur plus petite que la voiture.
Comment vous êtes-vous préparés pour le casse ?
Chacun de notre côté, on a fait beaucoup de footing pour travailler le cardio. En cas de problème, il faut toujours pouvoir compter sur ses jambes, et c’est un gros plus pour la gestion du stress. Pendant un coup, ton cœur atteint un rythme assez élevé. Il faut pouvoir rester lucide. Parallèlement, tu commences la surveillance du distributeur. Tu te gares dans un coin tranquille et tu guettes pendant des heures et des heures en attendant le passage du dabiste. Tu notes ses différents horaires de passage et le chemin qu’il emprunte. Il faut répéter ça tous les jours pendant plusieurs semaines pour ne pas avoir de surprise le jour J.
Bien sûr, tu ne dois pas te faire pister par le voisinage. On s’était organisé de la manière suivante : deux personnes en planque au niveau du DAB, et deux autres réparties aux deux extrémités de la rue pour s’assurer de ne pas être surveillé par la police – le tout en contact téléphonique permanent. Pour assurer notre anonymat, on s’est servi de carte Sim prépayées. Les téléphones sont allumés uniquement sur zone, jamais à proximité de nos domiciles. Les keufs se servent beaucoup de la triangulation. Ils auraient pu aisément nous relier au coup.
Ensuite, il fallait créer notre plan de fuite, il y avait beaucoup de paramètres à prendre en compte. On devait connaître la distance entre le distributeur et le commissariat le plus proche pour savoir en combien de temps les policiers pouvaient être là. Localiser l’emplacement des caméras de surveillance de la ville était aussi primordial, sachant que les flics les exploitent pendant leurs enquêtes. Donc on devait choisir un emplacement pour le véhicule qui devait nous servir à rentrer chez nous, hors de leur portée.
Et niveau matériel, vous avez eu besoin de quoi ?
Trois voitures volées et une arme, au cas où. Pour les voitures, on a fait appel à des sous-traitants. Ils volent sur commande et se chargent d’enlever les systèmes de géolocalisation, de plus en plus courant sur les grosses cylindrées. On leur avait demandé trois voitures sportives et un 4×4 pour servir de bélier. Tout ça pour 9 000 euros. On aurait pu le faire nous-mêmes, mais on n’avait pas trop le temps à cause de la surveillance du DAB. En ce qui concerne l’arme, on a activé notre réseau – on a trouvé un engin pas mal pour 1 500 euros.
Une fois la préparation et le matériel terminé, que vous restait-il à faire ?
On a fait une dernière réunion trois ou quatre heures avant le casse, afin de vérifier que tout était au point et que chacun savait ce qu’il avait à faire. Après, l’un d’entre nous est parti garer une voiture juste devant le distributeur pour que personne ne nous pique la place. Pendant ce temps, on est parti déposer un véhicule en campagne – celui qui nous a permis de rentrer à la maison. Une fois le dispositif mis en place, on s’est tous retrouvé dans un garage pour se répartir dans les deux voitures. J’étais dans le 4×4 qui devait servir de bélier, et mes trois associés dans une voiture allemande.
On a pris la route jusqu’au distributeur. Une fois arrivés, on s’est garé un peu en retrait. Là ,on a attendu l’arrivée du dabiste. J’ai juste eu le temps de faire quelques prières avant qu’il débarque. J’ai lancé mon chrono et une fois le timing atteint, je me suis lancé à fond sur la porte du distributeur. Elle a facilement cédé. Mes collègues m’ont suivi rapidement avec leur allemande, deux d’entre eux sont rentrés dans la petite pièce et on a rapidement tenu en respect le dabiste, tandis que l’autre faisait le guet juste devant avec une arme de poing [ Pour des raisons évidentes, il refuse de communiquer le modèle]. En moins de trois minutes, ils ont rempli notre voiture de biftons de toutes les couleurs. J’ai à peine eu le temps de mettre le feu au 4×4 pour faire disparaître nos empreintes et les traces ADN. Ensuite, on est tous monté dans l’allemande et un de mes collègues a fait péter le bolide jusqu’à la voiture stationnée en campagne. Rouler à 180 de nuit, sur des petites routes, sans feux de croisement, je peux te dire que ça fait flipper à mort.
Et ensuite, il s’est passé quoi ?
On s’est réparti le butin dans un coin tranquille, puis on est tous rentré chacun de notre côté. J’ai recompté l’argent pendant des heures et des heures. La première nuit, j’étais trop excité pour dormir. Franchement, compter une grosse liasse de billets, c’est la meilleure chose qui puisse arriver dans la vie d’un homme ! Une fois l’euphorie retombée, j’ai pris des vacances à l’étranger pour décompresser. Parce que pendant deux mois, j’ai travaillé sept jours sur sept sans relâche.
Et pourquoi pas des vacances en France ?
Bah là, taper environ 145 000 euros, c’est pas rien. Les flics vont mettre les moyens pour nous retrouver. Le mieux, c’est donc de rester discret. Seules les personnes qui ont fait partie du coup doivent être au courant. Les keufs sont prêts à fermer les yeux sur certains petits dealers en échange de grosses affaires, donc on n’est jamais à l’abri d’une petite balance qui voudrait sauver sa peau. Une dénonciation ”est pas suffisante pour nous envoyer en taule, mais ça les aide beaucoup. Ils savent sur qui enquêter. Après, si tu as fait le taf proprement, t’as rien à craindre – sauf si les scientifiques nous sortent des nouveaux moyens d’enquête révolutionnaires.
*Le nom a été changé.