Société

Entrevue avec un homme homosexuel qui a été détenu et torturé en Tchétchénie

Les signataires demandent aux autorités d’enquêter sur les allégations de détention et de torture d’homosexuels en Tchétchénie.

Le journal russeNovaya Gazeta a été le premier le mois dernier a signalé une campagne de répression contre les homosexuels menée par les forces de sécurité tchétchènes. Human Rights Watch a ensuite corroboré cette information. L’histoire a depuis attiré l’attention à l’étranger et choqué la communauté internationale : des chefs d’État ont sévèrement condamné la pratique.

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La semaine dernière, le président russe Vladimir Poutine a soutenu la proposition d’ouvrir une enquête sur les allégations et le chef de la République de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, a affirmé qu’il allait y collaborer. En même temps, il a maintenu qu’il n’y a pas de « personnes d’une orientation non traditionnelle » dans la réplique musulmane.

Bien que l’homosexualité ait été décriminalisée en Russie en 1993, de grandes inquiétudes demeurent. En 2013, le gouvernement a adopté une loi en vertu de laquelle quiconque donne de l’information sur l’homosexualité aux mineurs. Le rapport international de 2016 de Human Rights Watch souligne de nombreux enjeux auxquels est confrontée la communauté LGBT dont la Russie ne se préoccupe pas.

VICE a rencontré l’une des personnes que les autorités tchétchènes ont détenues et torturées.

Pourquoi et où as-tu été détenu?
On a entendu dire à Grozny qu’il y avait des arrestations. J’avais entendu la rumeur, mais, comme tout le monde, je m’étais dit que ça ne m’arriverait pas à moi. Malheureusement, ça m’est arrivé.

Dans la soirée, ils m’ont arrêté au milieu d’une foule. Il y avait eu quelques arrestations avant la mienne et le téléphone d’un de ceux qui ont été arrêtés avant moi contenait des messages qu’il m’avait envoyés. C’était suffisant pour me trouver et me poser des questions.

Des policiers m’ont conduit au centre de détention temporaire. Tout de suite, dans la nuit, ils ont commencé à me torturer avec les autres. Ils voulaient savoir qui nous connaissions, ceux qui faisaient partie de la communauté LGBT. Ces renseignements, c’est triste, ils ont réussi à les obtenir.

Qu’est-ce qu’ils t’ont fait?
Ils ont utilisé de l’électricité pour me torturer. C’est très douloureux quand ils installent des pinces aux doigts et sur d’autres parties du corps, et mettent l’appareil en marche avec une poignée qui déclenche l’électrocution. Beaucoup ont eu de graves blessures au bout des doigts parce que c’est par là que l’électricité sort du corps.

Plus tard, ils nous ont tous forcés à nous frapper nous-mêmes. Ils nous jetaient au sol un par un. Tous les autres devaient prendre un tuyau et frapper trois fois chacun celui qui était au plancher.

À la fin, nous étions couverts de blessures et de sang. Ils ne nous laissaient pas saigner. À la longue, on finit par sentir la viande pourrie. Ils nous enveloppaient dans des sacs et mettaient aussi des sacs sur notre tête.

Chaque jour, on vivait avec le sentiment qu’ils allaient nous tuer et nous enterrer dans la journée, sinon le lendemain.

Quelles questions est-ce qu’ils vous posaient?
« Donnez-nous des noms, dites-nous qui sont vos amis. » Ils prenaient les téléphones et regardaient nos messages WhatsApp, par exemple. S’il n’y avait rien de suspect, ils choisissaient des personnes au hasard dans les contacts, des membres de la famille, des amis, des collègues, et demandaient : « Est-ce qu’il est comme toi? »

Je répondais non et ils recommençaient à me torturer. « Dis-le-nous. Tu vas finir par nous le dire que tu le veuilles ou non. »

Pour faire cesser la torture, certains donnaient des réponses affirmatives. Un de nous, qui ne fait pas partie de la communauté LGBT, a dit qu’il était gai parce qu’on l’y a forcé. Ils l’avaient battu jusqu’à ce qu’il dise : « Oui, je suis comme ça. » Quand il l’a dit, ils ont cessé. Mais, plus tard, ils ont recommencé.

Combien de temps as-tu été détenu?
Nous avons été détenus pendant presque deux semaines. Après, ils nous ont laissés partir.

Ont-ils expliqué pourquoi?
Je pense que dans notre État constitutionnel, la torture est malheureusement autorisée, mais il n’est pas si facile de tuer une personne et de le cacher. Surtout à cette échelle. Nous étions nombreux, plus de 100 personnes. Il est tout simplement impossible de cacher le meurtre d’autant de gens. Je pense que c’est pour cette raison qu’on nous a laissés partir.

Franchement, j’aurais préféré qu’on ne me laisse pas partir parce qu’ils nous ont réunis dans une grande pièce et nous ont humiliés devant nos familles. Ils les ont humiliées elles aussi, en posant des questions : « Qui avez-vous élevé? C’est la honte de notre nation. »

C’était très blessant d’être la raison pour laquelle nos familles souffraient.

Quelle a été la réaction de ta famille?
Prochaine question.

Pourquoi d’après toi la police a arrêté autant de gens?
Ils ont arrêté une première personne. Ils ont saisi son téléphone et trouvé des données embarrassantes. Immédiatement, ils ont compris à qui ils avaient affaire. Ensuite, ils ont arrêté quelques personnes de plus. La réaction en chaîne a commencé.

Dans les autres stations de police, ils ont appris que les autres chefs et agents approuvaient cette pratique, alors ils n’ont pas voulu s’abstenir. Ils se sont dit que, si les échelons élevés approuvaient la pratique, ils devaient le faire eux aussi.

Auparavant, est-ce que la vie était difficile en Tchétchénie?
On entendait dire que telle ou telle personne avait été arrêtée. La plupart du temps, les policiers cherchaient seulement à avoir de l’argent en les faisant chanter. Ils notaient leurs noms dans des livres et leur demandaient continuellement de l’argent.

Quand le Novaya Gazeta a publié l’article, est-ce qu’il y a eu un changement?
Il y a eu des changements, mais pas immédiatement. Quand les médias à l’étranger ont repris la nouvelle, le Kremlin ne pouvait plus ne rien faire. Il y a eu un gros scandale. Évidemment, les gouvernements d’État ont été obligés d’y réagir.

Je n’ai pas entendu parler d’arrestations dans les derniers jours ou même les dernières semaines. Je pense que c’est le résultat de l’influence des médias étrangers.

Est-ce que la vie en Tchétchénie était sécuritaire pour toi?
Bien sûr, je comprenais qu’il n’était pas sécuritaire pour moi de rester ici, mais je ne voulais vraiment pas partir parce que c’est chez moi. Après que les médias de masse ont publié cette nouvelle, j’ai appris que des policiers essayaient de trouver ceux qui avaient été relâchés.

Je me suis rendu compte que, peu importe ce que je voulais, ce n’était plus un endroit pour moi. Je me suis donc enfui. J’ai pris un sac, quelques affaires, je suis monté dans un taxi et je suis parti. Quelques jours plus tard, je suis arrivé à Moscou.

J’ai pris la décision de demander de l’aide à un organisme de défense des droits de la personne. Un organisme m’a permis de joindre le réseau russe des LGBT. J’ai appris ensuite que ce groupe fournissait vraiment toute l’aide nécessaire aux victimes de répression.

Est-ce que tu te sens en sécurité à Moscou?
Malheureusement, non. Dans la capitale, je suis loin de ma mère patrie. Moscou n’est pas la capitale pour les Tchétchènes. Il y a peu de mes compatriotes ici.

Je reste d’habitude dans mon coin et ne montre pas mon visage aux gens parce que trop de policiers m’ont vu quand j’étais en Tchétchénie.

Est-ce qu’il y a eu du progrès pour vous permettre d’obtenir des visas d’autres pays?
Il n’y a aucun développement en ce qui concerne notre évacuation. En fin de compte, tous les pays qui se montrent compréhensifs finissent par refuser de nous accorder un visa. Ils ne sont pas pressés de nous aider.

Ce n’est pas bien de faire preuve de compassion et, au moment d’aider concrètement, de ne pas se presser. Deux mois sont passés depuis qu’ils examinent la question. Nous continuons d’attendre et d’espérer.

Pourquoi penses-tu que c’est si long?
En grande partie, c’est parce que, malgré tout ce qu’ils disent, nous sommes originaires d’une région musulmane. Nous savons ce qui se passe dans le monde en ce moment, nous voyons l’attitude envers les musulmans.

Peut-être qu’ils ont peur des extrémistes ou du terrorisme. Mais ils doivent comprendre que la communauté LGBT n’a rien à voir avec ça. Nous n’avons évidemment pas notre place parmi les extrémistes.

Que feras-tu s’il n’y a pas de changement?
Franchement, je ne sais pas. Je ne vois pas du tout d’avenir.

Pourquoi est-ce qu’on traite les gais de cette façon en Tchétchénie?
Parce que c’est une société fermée et conservatrice. Les Tchétchènes aiment respecter les traditions du Caucase et préserver leurs propres lois.

Les gens ne vivent pas comme dans les autres pays. Ils vivent parmi leur famille, leur clan. En Tchétchénie, on ne vit jamais seul. On ne peut pas penser qu’à soi. En faisant un pas, il faut penser aux conséquences pour soi, mais aussi à celles pour toute la famille.

La tolérance n’aura pas sa place dans cette région avant longtemps.

Est-ce que tu as entendu parler de quelqu’un qui a été tué par des membres de sa famille?
J’ai entendu parler de gens qui sont morts. Je ne sais pas comment c’est arrivé. Je ne sais pas s’ils en ont eu assez ou si leur famille ou les policiers y sont pour quelque chose.

Je sais seulement qu’ils ne sont plus parmi nous.

Si tu retournais en Tchétchénie, qu’est-ce qui t’arriverait?
Ma vie là-bas est complètement détruite. Il n’y a plus rien pour moi, sauf du danger. Je pense qu’on m’arrêterait et qu’on m’emprisonnerait pour longtemps pour des accusations fabriquées. Ça arrive souvent. Et ce qui arrive aux hommes comme moi en prison, on le sait tous.

Quel message aimerais-tu envoyer au gouvernement américain?
Nous lisons tous les déclarations officielles du département d’État des États-Unis à propos des événements qui se sont produits en Tchétchénie. J’aimerais exprimer ma gratitude. Ça fait plaisir de recevoir de l’attention d’un si grand pays qui a aussi connu un grave problème d’intolérance il y a longtemps et qui l’a surmonté.

Je voudrais rappeler que les membres de la communauté LGBT sont des personnes merveilleuses avec un grand cœur, un très grand cœur. Ce serait bien si, en plus des déclarations officielles, les États-Unis pouvaient aider tous ceux qui se trouvent dans cette situation.