Anuna De Wever sur le sexisme et le coronavirus
Société

Politique, sexisme et coronavirus : on a fait le point avec Anuna De Wever

« Ils menacent de m'agresser ou de me violer pour que je me sente bel et bien comme une femme. »
Arkasha Keysers
Antwerp, BE

Depuis que les médias se focalisent sur elle, Greta Thunberg est victime d’innombrables messages de haine sur internet, notamment misogynes. Cette ado nous a mis face à nos contradictions, nous a obligé à affronter une certaine réalité et ça, ça en a vexé certain·es qui ont une nouvelle raison de vivre aujourd’hui : la décrédibiliser, elle et son combat. En Belgique, c’est Anuna De Wever qui représente l’action pour le climat. Et elle aussi, subit des menaces et des moqueries tant dans la sphère professionnelle que privée. L’été dernier, à Pukkelpop, en marge de la polémique des drapeaux flamingants, sa tente avait été saccagée et, elle et ses potes, avaient été victimes de harcèlement.

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En ces temps de confinement, on a échangé avec elle par mail pour faire le point sur le cyberharcèlement dont elle est encore victime, sur les enjeux actuels de son combat, mais aussi sur le coronavirus tant qu’on y est.

VICE : Salut Anuna, pourquoi tu penses que la plupart des figures du mouvement sont des jeunes femmes ?
Anuna : Dès le début, quand on a commencé les marches pour le climat (janvier 2019, ndlr), c’était déjà très compliqué de mobiliser les mecs. Je pense que c’est lié à une certaine masculinité toxique très présente dans notre société. On apprend à beaucoup de garçons qu'ils doivent être forts, qu'ils ne peuvent pas trop montrer leurs émotions et surtout, qu'ils doivent en faire toujours plus - en mode « Sky is the limit ». Or, la crise climatique nous incite à prendre du recul, se soucier de la nature et adopter une attitude bienveillante ; c’est le message inverse. C’est peut-être pour ça que beaucoup de mecs ne veulent pas s'y associer.

En mai dernier, t’as déclaré sur VTM qu'une étude avait montré que t’étais la personnalité du mouvement qui suscitait le plus de haine, encore plus que d'autres militant·es tel·les que Greta Thunberg…
Oui. À l'époque, une équipe de médias sociaux avait récolté des données. C'était au tout début des marches. Mais ce n'est plus le cas depuis longtemps, même s’il y a encore beaucoup d’hostilité à mon égard.

« Cette haine en partie dûe à mon combat pour climat, mais aussi au fait que je sois non-binaire. Faut croire que ça pose encore problème à beaucoup de monde. »

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Tu dis aussi que 80% de cette haine à ton encontre n'a rien à voir avec le climat et qu'elle est plutôt liée au genre.
C’est en partie dû au climat, mais aussi au fait que je sois non-binaire. Faut croire que ça pose encore problème à beaucoup de monde. Les gens sont obsédés par le genre et la couleur de la peau. C'est la première chose qu’on remarque quand on regarde quelqu'un. Du coup, lorsqu’ils voient quelqu'un qui ne correspond pas à une certaine réalité, les gens réagissent très bizarrement. Je ne m’en soucie pas plus que ça, mais la communauté LGBTQ+ si.

Quel genre de messages tu reçois ?
Ils menacent de m'agresser ou de me violer pour que je me sente bel et bien comme une femme. Le fait est que je veux garder le focus sur l’urgence climatique, vu que c’est la priorité maintenant ; mais c'est vraiment compliqué quand on te parle constamment de ton genre.

Tu ressens aussi ce genre de choses quand tu te retrouves face-à-face avec des personnes influentes ?
Bien sûr, mais dans ces moments-là faut aussi se rappeler qu’on a beaucoup de soutien. Les rues sont pleines lors des marches. Des millions de personnes dans le monde entier réclament un changement de système comme nous. C'est ça qui compte en réalité.

Tu lis les messages de haine que tu reçois ?
Non, d'une part parce que je ne suis vraiment pas très souvent sur les réseaux sociaux et d'autre part parce que je m'en tape. Dans la vie faut savoir écouter certaines personnes pour voir si t’es dans le bon, mais les auteur·es de ces messages n’en font pas partie.

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« En Belgique, on manque de leadership et de politicien·nes courageux·ses qui se défient les un·es les autres et font ressortir le meilleur de chacun·e. »

Donc ça n’a jamais remis en question ton combat ?
Les messages de haine ne me feront jamais abandonner. Ils prouvent juste à quel point les gens sont mal informés sur le sujet. Mais pourquoi renoncer ? On ne peut pas s’arrêter. C'est le combat de notre vie. On lutte contre la crise climatique jour et nuit et on risque nos diplômes en séchant les cours. Alors pourquoi ces quelques messages de haine devraient tout arrêter ? Tant que les politicien·nes ne comprendront pas qu'il n'y a pas d'alternative, il faudra continuer.

En plus du climat, tu milites aussi pour les droits des femmes ?
Je suis féministe à fond. Et je suis très heureuse qu'il y ait des femmes à la tête des Fridays for Future ; c’est un statement pour notre avenir et pour la prochaine génération. On ne contribuera jamais à l'inégalité, quelle qu’elle soit. Je pense que ce mouvement a vraiment contribué au fait de pouvoir donner une voix aux femmes, y compris dans les pays en voie de développement.

T’as manifesté le 8 mars pour la Journée Internationale des droits des femmes ?
Bien sûr ; je milite sur tous les fronts, que ce soit la marche pour le climat, pour les droits des femmes, contre le racisme… En fin de compte, on se bat tou·tes pour un monde plus juste, différent de celui qu’on connaît.

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Tu ne parles pas en ton nom, mais au nom de toute une génération, dont certain·es de tes haters font partie. C’est quoi leur problème avec le climat selon toi ?
Je pense que beaucoup de haters ont peur du message qu’on apporte. La crise climatique est si importante, menaçante et dangereuse que beaucoup de gens ne veulent tout simplement pas voir la vérité en face. C’est beaucoup plus facile de suivre un·e politicien·ne qui minimise complètement la crise climatique et nous traite de paranos à deux balles.

Tu parles régulièrement aux politicien·nes. Qu'est-ce qui les empêche de prendre des mesures de grande envergure pour le climat ?
C'est pas vraiment qu'iels ne peuvent pas, c'est qu'iels ne veulent pas. Premièrement, parce qu'iels ne sont pas du tout informé·es et ne savent même pas ce que ça implique, deuxièmement, parce qu'iels ne pensent qu’en termes très électoraux. En Belgique, on a un grand manque de leadership et de politicien·nes courageux·ses qui se défient les un·es les autres et font ressortir le meilleur de chacun·e. Si tu les regardes une séance parlementaire, la moitié joue à Candy Crush et l'autre moitié s’insulte. C'est vraiment ridicule ; c'est pas comme ça qu'on fait de la politique.

« Le plus gros problème des politicien·nes, c'est pas qu'iels nient la crise climatique, mais qu'iels la minimisent. Du coup, c’est beaucoup plus facile pour les masses de les suivre. »

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Tu t’informes comment sur le climat ? Comment les politicien·nes devraient-iels le faire ? Et nous ?
Je m'informe en lisant, en regardant les nouvelles, en vérifiant les sources et en parlant aux scientifiques. Le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) est une très bonne source. Mais les politicien·nes elleux-mêmes ont de nombreux expert·es à leurs côtés pour les aider dans cette tâche. Le plus gros problème, c'est pas qu'iels nient la crise climatique, mais qu'iels la minimisent. C'est ce que font presque tou·tes nos politicien·nes. Du coup, c’est beaucoup plus facile pour la masse de les suivre.

Tu fais actuellement un stage au Parlement européen. Comment les politicien·nes européen·nes chevronné·es réagissent à ta présence ?
Certain·es pensent que c'est positif que les jeunes soient au Parlement. Récemment, on a eu une conversation avec la présidente d'un parti. Après la conversation, lorsqu'elle est partie, son assistante s'est retournée et nous a murmuré : « On a besoin de plus de jeunes ici. » Je pense que c’est absolument nécessaire de donner une voix à la jeune génération au niveau européen aussi, car c’est de notre avenir dont il s'agit. Les jeunes apportent une bouffée d'air frais et de nouvelles perspectives sur notre monde en évolution.

« Le réchauffement climatique aura des conséquences bien plus graves que le coronavirus, mais il n'y a aucune réponse à ça. »

Tu penses que les politicien·nes européen·nes répondent bien à la crise actuelle du coronavirus ?
Je pense que les mesures sont très strictes et que c'est nécessaire. Ça devient évident que nos politicien·nes sont capables de traiter une crise telle qu’elle est. Là, tout d'un coup, iels ont la possibilité de libérer des milliards d'euros et de tout bloquer. Malheureusement, le réchauffement climatique aura des conséquences bien plus graves que le coronavirus, mais il n'y a aucune réponse à ça.

Quelle serait la première réglementation sur le climat que tu introduirais si t’étais ministre du climat ?
Il n'y a pas une mesure en particulier que j'appliquerais. En fin de compte, il faut faire beaucoup de choses différentes dans de nombreux domaines avec des expert·es, des climatologues, des économistes et des sociologues. Mais pour être claire à nouveau : le problème n’est pas de « ne pas pouvoir », mais de « ne pas vouloir ». C'est ce que la crise du coronavirus met en évidence pour le moment.

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