Les journées sont plus longues, plus chaudes, plus étouffantes. Dans ces moments-là, j’ai qu’une seule envie : quitter le bureau plus tôt pour tuer le temps, bouteille de sangria à la main, étendue sur n’importe quel coin de verdure que je puisse trouver. Et l’été n’étant pas seulement synonyme de coquillages et crustacés sur la plage abandonnée, dans un pays qui regorge de festivals, il est presque impossible de ne pas en choisir au moins un pendant ces quatre mois de rêves boostés à la vitamine D. Même si je suis pas la plus folichonne des fêtardes – dites ennuyeuse si vous voulez –, malgré tout, je tente quand même de me rendre à minimum quatre festivals chaque été pour occuper mes week-ends.
J’irais pas jusqu’à dire que je suis pointilleuse ou exigeante ; au contraire, donnez-moi une Cara Rouge – c’est pas un placement de produit –, suffisamment de basses, et je suis même prête à tout défoncer. Mais si j’ai bien appris une chose au cours de mes nombreuses saisons de festivals, c’est que je ne supporte absolument pas les gros festivals comme Rock Werchter, Pukkelpop ou Dour. C’est juste pas du tout mon truc. Trop de monde, l’ambiance est rarement au rendez-vous et niveau scéno c’est souvent fade. Et surtout, en pleine canicule, on n’a pas forcément envie de devoir galérer à chercher le seul coin d’ombre du spot, pour finir par se retrouver contre des grillages sur lesquels des gens ont vomi et pissé la veille.
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Pourtant, y’a plein de bonnes choses à dire sur ces mêmes événements. Les line-up sont souvent qualitatifs, les habitué·es de la galère et de la débrouille peuvent ramasser des gobelets vides pour choper des boissons gratuites et, niveau transport, c’est souvent très bien desservi. À Dour, vous pouvez même prendre le bus jusqu’au Colruyt pour acheter votre précieux sésame, la Cara – toujours pas de placement de produit. Ces festivals ont aussi tendance à proposer un large éventail de styles musicaux, avec des grosses têtes d’affiche et aussi des petites pépites encore peu connues. Et pourtant, y’a toujours cette petite chose qui m’empêche souvent de m’y rendre avec enthousiasme : le prix.
Le CORE Festival, fruit d’une collaboration entre Rock Werchter et Tomorrowland, a fêté sa deuxième édition le dernier week-end de mai, dans le parc d’Osseghem. À une ère où tant de festivals viennent se greffer dans nos programmes, nous forçant à devoir trancher entre tous ces différents plans et un barbecue entre potes, je me suis posé la question : est-il encore possible de prendre son pied à un festival commercial ? Je suis allée vérifier ça au CORE.
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Qu’on les apprécie ou qu’on les déteste, les vélos électriques font désormais partie intégrante du paysage bruxellois. J’ai fait le choix d’en louer un pour mes balades au parc d’Osseghem. OK c’est pas donné, mais le prix d’un abonnement n’est pas si élevé que ça non plus. Par chance, j’habite à une demi-heure de vélo (électrique, donc) de l’Atomium et le soleil radieux m’a permis de faire une agréable balade le long du parc Josaphat, en passant par le Dockx et le parc de Laeken. Pour ce qui est du retour, ça me permettra d’éviter les Noctis bondés. Bon plan.
Premières impressions
En fait, j’étais plutôt enthousiaste en ce samedi. Le trajet à vélo s’était donc plutôt bien déroulé, le soleil brillait et je me rendais en festival avec mon mec, avec l’assurance de pouvoir dormir dans mon propre lit à la nuit tombée. Trouver l’entrée presse n’a pas été trop difficile, ça nous a évité de faire la queue pendant des heures – ce qui est typique du premier jour d’un festival.
Lors d’une première exploration du site, plusieurs choses m’ont rapidement frappée. C’est situé dans un parc incroyablement beau et verdoyant, mais niveau déco le seul mot qui me vient en tête c’est « boarf ». Les stands colorés qu’on trouve habituellement au parc d’Osseghem pour Couleur Café sont absents, le festival baigne dans une atmosphère de tentes noires, épurées et uniformes, avec d’épaisses plaques argentées aux lettres blanches, qui donnent au terrain une sorte d’impression austère et stérile. La mainstage consiste en un écran géant rectangulaire avec un carré au milieu où se trouve la scène principale et un grand champ ouvert, couvert de planches. L’espace est entouré de ces tentes tristounettes qui vendent diverses boissons et repas. Bref, ça manque de caractère.
Un peu plus loin, le champ était davantage couvert d’arbres, de terrasses fleuries et de mini-fontaines. Au milieu de ce terrain se trouvait le bar à cocktails, un étrange kiosque surmonté, comme une métaphorique cerise sur le gâteau, de la fontaine la plus inutile qui soit. Là non plus, l’imagination n’était pas au rendez-vous. En soi, ça ressemble davantage à une version alternative des guinguettes standards qu’on trouve partout à Bruxelles. Pourtant, tout espoir n’était pas perdu. La scène Nabo, construite sur des échafaudages, en forme de champignon carré, et la scène Alta Verde, qui rappelle un théâtre romain, avaient bien plus de chien.
Cela dit, je suis pas rabat-joie non plus, j’ai quand même pu apprécier le décor, avec modération. Étais-je en quête du cadre le plus naturel et le plus éloigné possible du stand de fish and chips pour éviter l’odeur trop forte de poisson frit ? Oui. Un spot verdoyant, entouré de plantes, était-ce l’endroit idéal pour profiter du concert de Masego ? Naturellement.
Vibecheck
Si vous ne vous êtes pas encore laissé·e emporter par mon hyper-négativité, c’est cool. On peut alors passer à la vraie critique de cet événement musical quelque peu innovant mais hors de prix, et donc extrêmement commercial. Y’a beaucoup de choses à redire sur l’ambiance. Sur le plan musical, c’était tellement bien que j’étais un peu déçue de ne pas pouvoir tout voir, mais c’est peut-être la seule chose que j’ai aimée.
En tant que jeune vivant à Bruxelles, j’ai l’habitude des foules où y’a de la mixité. J’ai donc été surprise de ne pas retrouver une telle diversité au CORE. J’ai été un peu déçue de voir toujours les mêmes tronches se pavaner devant moi. Des fils-à-papa basiques, en mode polo/short ou simplement des gens qui donnent l’impression de faire leur shopping dans les mêmes rayons de Jack and Jones ou de H&M – ou d’autres marques plus chères et tout aussi insipides. Pourtant, parmi les t-shirts à message et les bobs classiques, j’ai aussi vu des pièces uniques comme une paire de chaussettes Cara – juré c’est pas du placement de produit.
Beaucoup d’argent pour peu de nourriture
La période des festivals, c’est souvent synonyme de coup dur pour mon portefeuille ; vous mettez de l’argent de côté pour un week-end qui va s’avérer coûteux, tout ça pour finir par consommer encore plus que ce qui était prévu. Comme il s’agissait d’un festival organisé par deux mastodontes de l’événementiel bien bien chers, je m’étais déjà préparée mentalement à des pintes hors de prix et à des snacks encore plus chers.
Le minimum qu’on pouvait acheter aux caisses de token était de 20 euros, soit 11,5 jetons. Ça fait donc environ 1,74 euros par jeton. Une 25 coûtait 2 jetons, soit 3,48 euros, et une 33 coûtait 2,75 jetons, soit 4,79 euros. Presque 5 euros pour une 33 ? Il est où le bureau des réclamations ? Je suis aussi allée tester un cocktail, juste pour voir si ça valait les 6 jetons (10,44 euros). Sans surprise, je me suis retrouvée sur le cul, déçue, avec un verre rempli à moitié de glaçons et l’autre moitié d’un cocktail préparé à l’avance.
Bon, heureusement, je suis pas une alcoolique invétérée au point de devoir boire jusqu’à plus soif pour éprouver du plaisir. Tout va bien de ce côté-là. Mais en plus de la boisson, il me fallait aussi manger pour garder mon énergie. Et en tant que vegan, en festoche, c’est parfois difficile. Pourtant, le CORE m’a réservé quelques surprises. J’ai d’abord goûté à deux savoureuses petites croquettes de chou-fleur au curry, avant de regretter de les avoir payées pas moins de 10 euros. Deux petites croquettes de chou-fleur au curry.
Trois heures plus tard, on a décidé de manger quelque chose de plus consistant et – comme des centaines d’autres personnes, parce que, bien sûr, tout le monde mange à la même heure – on a fait la queue devant les autres stands de nourriture. Comme tout semblait cher, on a décidé de partager un repas. On s’est contenté·es d’une frite avec sauce (7,40 euros) et d’un banh mi au tofu (13,05 euros) à deux. Très goutu, mais inévitablement pas suffisant. On a vite laissé tomber et on a été se choper d’autres bières.
Des erreurs qui coûtent cher
Aucun festival n’est exempt d’erreurs. Et ce fut le cas pour moi aussi. Suite à un malentendu, j’avais laissé mes affaires – mon pull et mon appareil photo – dans un casier dont j’avais pas le code (oups ?). Mais pour ma défense, depuis quand on ne peut pas entrer son propre code dans un casier avec code ? Quoi qu’il en soit, j’ai donc mis mes affaires dans un casier que j’arrivais pas à ouvrir. Après avoir cherché pendant un certain temps, j’ai trouvé une personne du staff qui m’a dit qu’elle allait m’aider. Seulement, après une demi-heure d’attente, il s’est avéré qu’elle n’avait pas encore appelé la personne qui devait nous débloquer ça. Et quand on est revenu·es deux heures plus tard, après le dernier concert, elle ne l’avait toujours pas fait. En fait, elle était rentrée chez elle. Heureusement, on a trouvé une autre bonne âme qui voulait bien nous filer un coup de main, mais là encore, la personne en question n’est jamais arrivée. Bref, le festival s’est terminé à 1 heure du matin, et on a attendu jusqu’à 2 heures 30 pour récupérer nos affaires (après avoir beaucoup insisté).
Bruxelles je t’aime
« Si je devais mettre une note à la musique de samedi, je lui donnerais un 7 sur 10. » On se croirait dans un épisode d’Un dîner presque parfait. Je vais pas prétendre être une connaisseuse et je vous avoue, honnêtement, que je connaissais trop peu de noms sur l’affiche pour porter un jugement pertinent. Je peux cependant vous parler de ce que j’ai vu et aimé. Pratiquement tous les shows du samedi et du dimanche ont été des purs moments de bonheur, à leur façon. Peut-être parce que j’aime toutes les musiques ? Masego a fait retentir son saxo sulfureux sur toute la mainstage, Eugene a donné son cœur au public et Pusha T l’a fait voyager à travers les différentes histoires qu’il raconte dans ses morceaux. L4U a fait trembler la scène Nabo – gérée par Fifty Session, hissée sur une structure de huit mètres de haut – avec ses basses vrombissantes et les gens qui s’adonnaient à la musique.
Le soleil s’est progressivement couché alors que j’explorais ce grand terrain de jeu qu’est le CORE Festival. Et au crépuscule, le nom que tout le monde attendait est apparu : Angèle. Je vais être honnête, je suis pas trop du style princesse de la pop, mais moi aussi je me mets spontanément à chanter dès que j’entends Balance ton quoi. Traitez-moi de Brusseleir rincée, je m’en tape. J’avais mal aux pieds, les yeux qui se fermaient et j’avais volé le pull de mon mec, mais je suis restée jusqu’au bout pour chanter Bruxelles je t’aime avec un public énorme – dont la grande majorité était constituée de gens qui criaient « Angèle » avec l’accent le plus flamand qui soit. Une soirée réussie, donc. Mais bon, soyons honnêtes, les vraies stars dans tout ça ? Les danseuses d’Angèle.
Un dimanche au calme
Le dimanche s’annonçait comme la journée la plus chaude, ce qui s’est clairement senti dans la foule. Y’avait trois fois plus de monde que la veille. Le petit parc du festival s’est transformé, d’un endroit calme en une plaine bondée de gens, de gobelets en mille morceaux, de déchets alimentaires et j’en passe. On était tou·tes les deux fatigué·es de la veille – à cause de notre petit incident avec les casiers -– donc autant dire que c’était pas vraiment la même ambiance que la veille. Notre journée s’est résumée à assister aux concerts qu’on avait choisis et à flâner entre deux actes, dans les rares petits coins d’ombre qu’on pouvait encore trouver.
Pour éviter de me ruiner comme le samedi, j’ai décidé de me faire mon propre panier repas et de me fournir moi-même en nourriture et boissons. Est-ce que j’étais la seule personne du festival à avoir osé faire passer des boissons au nez et à la barbe de la sécurité ? Loin de là. Bref, je m’étais fait une salade de pâtes et un cocktail maison.
Un bonheur musical
Même si j’étais plus fatiguée, que j’avais moins d’argent et que la foule était si désagréable que j’en venais presque à regretter la période Covid, et son mètre et demi de distance de sécurité, les concerts du dimanche ont quand même été le point culminant de ma journée.
Tout d’abord, le concert de JJ et Caba m’a permis de vérifier si mes connaissances en langue française s’étaient un tant soit peu améliorées après deux années passées à Bruxelles. La réponse est manifestement non. Mais le spectacle était – ce texte est traduit, mais je le dis en français – chaud. Comme on n’était pas encore déterminé·es à nous promener dans l’herbe et que Kokoroko n’était pas encore à l’affiche, on a été voir la scène de l’Endoma, entièrement couverte. Regret immédiat. Pourtant, la musique de JPEGMAFIA était si bonne qu’on n’a pas pu s’empêcher de transpirer à grosses gouttes pendant qu’il faisait exploser la version la plus autotunée de Call me Maybe, avant d’enchaîner gros son sur gros son. La sueur n’en était pas meilleure pour autant, mais elle était plus acceptable.
Kokoroko est arrivé au bon moment. C’est l’un de ces groupes que vous ne connaissez pas vraiment, mais que vous faites tourner à chaque fois que vous chillez dans un parc avec quelques pintes, ou le temps de sécher au bord d’un lac entre deux trempettes, avec un ersatz de baguette française, un pot d’olives et du houmous. J’avais qu’une seule chose en tête : « Ah, c’est enfin l’été ». Après cet intermède douillet sur l’herbe, on s’est de nouveau dirigé·es vers la mainstage, cette fois pour le peek time de mon copain. Et honnêtement, j’ai pas été déçue. Goldband a fait exploser tout le monde avec des hits néerlandais tellement accrocheurs qu’il suffisait de les entendre une fois pour rugir sur le refrain. Le fait que tout le public encourageait les trois mecs sur scène était peut-être dû au fait que la plupart étaient probablement flamand·es.
Après Goldband, on était tellement crevé·es de s’être trémoussé·es – je parle vraiment comme une vieille sans condition physique – qu’on n’a pas eu d’autre choix que d’aller se promener à nouveau. Pendant ce temps, j’ai utilisé nos derniers jetons pour acheter un falafel. Que dire d’autre sur la nourriture ? J’ai pas eu beaucoup de choix. Mais bon, je suis peut-être pas la personne la plus facile à amener à un festival, c’est tout.
En puisant dans mes dernières forces, on a enfin pu assister au concert que j’attendais depuis le début de la journée : Little Simz. Je la suis depuis son COLORS avec Backseat en 2017. Depuis, elle a continué à pop, alors c’était vraiment l’apothéose de mon week-end. N’est-ce pas incroyable de voir une artiste portée par l’amour de son public ? Un spectacle d’enfer, une fille d’enfer, une musique d’enfer.
Après le concert, on a décidé d’aller faire un tour du côté des installations artistiques, pour voir ça de plus près. Suis-je une fine connaisseuse en matière d’art ? Non. Alors pourquoi est-ce que je m’attendais à quelque chose de grandiose niveau art dans ce parc si bondé ? Je ne le sais pas vraiment. Il m’a fallu déambuler un peu sur le site pour comprendre que la décoration était en fait de l’art, avec quelques installations lumineuses payées par des sponsors qui ne servaient en réalité que de décors à selfie en journée ou d’éclairage la nuit. Les deux installations qui m’ont le plus marquée : l’art numérique sur la scène Nabo, organisée par un bon nombre d’artistes numériques, qui ont présenté des œuvres d’art numérique spectaculaires pendant ces deux jours, et un grand panneau numérique. En fait, je n’ai trouvé ce dernier intéressant que parce qu’il contenait la phrase « There is no planet B » et bien que ça plaise à l’activiste climatique en moi, je me suis demandé ce que ce festival faisait pour contribuer à la lutte contre le changement climatique. Mais bon, y’avait des flammes numériques, donc ça devrait être cool, non ?
Conclusion
Si je dois répondre directement à la question posée dans le titre, la réponse est oui. Mais à certaines conditions. Après tout, je fais partie de ces gens qui peuvent s’amuser dans les endroits les plus pourris, ce qui aide beaucoup. J’ai pas besoin d’alcool, de repas coûteux ou de noms ronflants. En fin de compte, pour moi, c’est surtout l’ambiance qui compte, et cette ambiance était parfois présente au festival – je pense à la scène Nabo, à Goldband, aux Flamand·es qui faisaient du bruit pendant le set d’Angèle – et parfois non. Le plaisir est quelque chose de très personnel, et il fluctue pour chacun·e selon une série de circonstances différentes.
La question n’est peut-être pas de savoir si on s’est bien amusé·es ou pas, mais plutôt de savoir si on reviendra l’an prochain. Et là, je dois encore répondre par un non, CORE n’est pas mon genre de festival, pas mon genre de foule et parfois pas mon genre d’atmosphère. Mais bon, ce n’est que mon humble avis.