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Et si Amsterdam était la nouvelle Mecque de tous les fieffés clubbeurs et diggers de ce monde ?

Depuis quelques années, on s’extasie tellement devant le redoux des scènes électroniques parisiennes que l’on oublie de regarder un peu par l’autre bout de la lorgnette – c’est typique des Parisiens, me direz-vous. Pourtant, du côté d’Amsterdam, ville-fleuve où les mœurs sociales décomplexées semblent masquer une politique populiste bien plus inquiétante (l’extrême droite y va de ses va et vient électoraux depuis les années 90), la dynamique de la ville en matière de musique électronique, elle, ne semble pas baisser depuis près d’une décennie.

Ville sur l’eau « noyée dans les brumes du Nord et Orient de l’Occident » (selon la formule consacrée de notre Baudelaire national), Amsterdam a été le port d’attache de nombreuses légendes de Chicago ou de Detroit (la petite histoire voudrait que Derrick May y a fait escale pour se sustenter en damoiselles dans les années 90 – en gros, il y aurait niqué tout ce qui bougeait avant de décamper comme un zouave). Mais si la ville se détache de ses comparses du pays et des grandes villes européennes par son cosmopolitisme affiché et sa relative petitesse (elle compte près d’un million d’habitants), les travaux d’aménagements de la municipalité pour réintégrer la partie Nord, autrefois quartier industriel et ouvrier, au Sud, y a fait pour beaucoup dans le renouveau de son dynamisme culturel lors de ces cinq dernières années. Lequel ne semble jamais avoir été aussi vivace.

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Et forcément, les clubs ont été les premiers servis. Le Garage Noord par exemple, qui a ouvert l’année dernière dans les quartiers nord, désormais forcément également envahis par des lofts et des start ups, compte des têtes d’affiche comme Interstellar Funk. Il montre une certaine exigence du public amstellodamois, où les goûts sont bien plus pointus qu’ailleurs et où on attend du DJ un certain perfectionnisme d’exécution. Mais ce qui semble plus étonnant, c’est qu’une scène unie se détache de la ville, ce qui constitue une des exceptions encore par rapport à Paris – où on compte une multiplicité de niches, mais où les ponts semblent moins opérer, tout du moins en surface. C’est une des raisons pour lesquelles Gilb’r, boss du label Versatile et également responsable des sorties de Zombie Zombie ou de I:Cube, s’est installé à Amsterdam il y a trois ans : « C’est ça que j’ai aimé en venant ici. Il y a un côté plus dur, plus individualiste à Paris, même si j’adore cette ville. Je ne pense pas que j’aurais été accueilli de la même manière à Paris que je l’ai été ici, même si j’avais déjà mon label et des connaissances derrière moi. À Paris, c’est plus affaire de copinage, alors qu’ici, tu es plus jugé sur ce que tu fais. S’ils aiment bien, ils vont te pousser. J’ai un exemple : I:Cube est venu pour Château Flight, on bossait tous les soirs, et à un moment donné on a demandé au mec du shop d’en-dessous d’emprunter quelques disques, pour des samples, des choses comme ça. Le boss nous a dit : ‘Tiens, la clé est là, on laisse le magasin ouvert pour la nuit. Allez-y’. À Paris tu verrais jamais ça. Ce serait même compliqué d’emprunter un disque ! [Rires] »

Gilb’r a son studio juste au-dessus de Red Light Records, shop de vinyle qui a également sa webradio, Red Light Radio, et qui, comme son nom l’indique, se situe en plein Red Light District d’Amsterdam. Son implantation géographique témoigne d’un état de fait : à Amsterdam, tout semble bouger en permanence de lieu, d’histoire, de généalogie, ce qui semble expliquer en partie la vivacité de ses scènes.

L’exemple le plus probant est sans doute celui de la fermeture du club Trouw en 2015, lieu emblématique de la nuit amstellodamoise, qui a vu passer des figures locales respectées telles que San Proper, Melon ou Patrice Baumel. Son patron, Olaf Boswijk, a pourtant reçu la nouvelle non pas comme une mise à mort, mais comme la possibilité d’explorer aussitôt de nouvelles pistes. Depuis, il a monté De School, un des rares clubs de la capitale qui peut se targuer d’abriter à la fois un restaurant, une salle de sport, une galerie et un bar : «La manière dont je vois les choses est que c’est le terrain de jeu idéal pour la musique contemporaine, mais aussi la nourriture, l’art, en somme tout ce qu’Amsterdam devrait offrir. C’est ce mélange de disciplines que je trouve primordial »

Aux côtés de GIlb’r, Olaf jouera au festival Nuits Sonores de Lyon cette semaine, lequel consacre comme chaque année une carte blanche à une capitale culturelle européenne et mondiale. Et si Amsterdam y trouve sa place, c’est, entre autres, grâce à la diversité de ses styles et sa constante ébullition de genres qui se syncopent, se rencontrent et s’apprivoisent régulièrement. À l’image du label Music From Memory, qui depuis 2014, s’évertue à sortir des rééditions plus captivantes les unes que les autres, en mettant l’accent, et en n’ayant pas peur d’aller fouiller du côté de la musique brésilienne injustement oubliée des années 70, ou de réhabiliter la pop continentale déviante des années 80. En somme, la pop qu’on ne trouve pas dans les grimoires consacrés mais qui, grâce à un travail remarquable d’archiviste et de décrassage, permet de se rendre compte qu’elle aurait dû mériter tous les louanges à sa sortie. À l’image de The System, groupe de new wave anglais des années 80 qui revêt une teinte étrange rétrospectivement, comme si on avait l’impression que le groupe venait de sortir son EP. Cette manière de s’adresser au passé comme si c’était le présent, et non comme un idéal fantasmé rétromaniaque, on la retrouve chez bon nombre de diggers, DJs, producteurs amstellodamois, pour qui les malles aux trésors glanées lors de voyages ne semblent se soucier de temporalité.

Gilb’r : « Il y a une approche de la musique assez différente ici, c’est clair. Ça peut paraitre comme une lapalissade, mais il y a quelque chose d’assez , disons, ‘musical’. Les mecs aiment la musique, point barre. Ils envisagent le truc de manière beaucoup plus globale. Tako, de Music From Memory justement, est un de mes DJ’s préférés. Ses sets, ça va de l’indus à la musique africaine, en passant par la house, la techno, la northern soul, tout ce que tu veux. Il ya vraiment quelque chose de libérateur quand tu vois cette approche »

Un mélange qu’on peut expliquer par la nature même d’Amsterdam, historiquement ville portuaire dont la puissance de négoce remonte jusqu’au XVIIe siècle, époque où les commerçants de la ville traitaient avec l’extérieur.

Olaf poursuit : « C’est sûr que chaque scène est la somme de ses caractéristiques sociales, démographiques, culturelles, économiques. Amsterdam a toujours été une ville de commerce, avec énormément d’influences et de nationalités diverses. Et c’est petit, donc tout le monde se croise, plus ou moins. Et puis, la ville n’a jamais connu l’isolationnisme de Berlin. On n’a pas connu le Detroit ravagé économiquement, non plus. C’était une ville hippie dans les années 70 et 80, et on a puisé dans tous ces différentes sonorités, de Detroit, Chicago, New York, Berlin, Londres, Ibiza… Même si ces dernières années je trouve qu’Amsterdam est de plus en plus Amsterdam. »

On retrouve cette identité musicale fuyante et protéiforme dans deux des piliers de la musique électronique amstellodamoise de ces dix dernières années, à des strates différentes. D’un côté, le shop Rush Hour, à l’origine petit magasin de vinyles monté à la fin des années 90 avec trois bouts de ficelle, et qui est désormais un des pivots de la scène électronique de la ville et au-delà. En plus d’être également un label et un distributeur, il possède également cette particularité de rééditer une grande partie du catalogue des légendaires Trax de Chicago, mais aussi d’obscures rééditions congolaises et d’Afrique du Sud, ce qui le démarque du tout-venant house et techno.

La durée de vie de Rush Hour est une exception dans sa durée et son implantation, à l’image du festival Dekmantel, autre véritable phare européen qui possède également son label. Les deux partagent donc une même contingence des branches, une volonté de diversifier leurs activités dans le but de s’implanter localement. Mais si Amsterdam possède une culture des festivals qui s’étire jusqu’en septembre, et qui constitue à coup sûr une sorte de carte de visite de la ville, selon Olaf, « les festivals restent le sommet de la pyramide. Ce qui se passe dans les recoins est plus important sur le long terme. »

La carte blanche à Amsterdam commence aujourd’hui et se déroulera jusqu’à jeudi au festival Nuits Sonores à Lyon. Toutes les infos sont disponibles ici.
À noter qu’Antal de Rush Hour jouera à Paris le 25 mai à la Machine du Moulin Rouge. Les infos sont disponibles ici.

Marc-Aurèle Baly est sur Noisey.