Jusqu’au début de la saison 2018-2019, en jetant un œil au classement de la Jeep Elite (anciennement Pro A) ou de la Pro B, il y avait comme un vide. Si des villes comme Aix-Maurienne, Saint-Chamond ou Fos-sur-Mer avaient le droit à leur équipe de basket, notre sympathique capitale française était introuvable depuis 2007 et la fin du Paris Basket Racing. Mais cette carence n’avait pas échappé à un homme qui a fait sa carrière grâce à son œil avisé : David Kahn, un Américain francophile de 57 ans.
Ancien journaliste sportif pour The Oregonian reconverti dans le management sportif, Kahn a fait ses armes dans la grande ligue, la NBA, en tant que General Manager des Indiana Pacers, puis des Minnesota Timberwolves jusqu’en 2013. Si Kahn n’a pas forcément laissé que de bons souvenirs dans le Midwest (on lui reproche notamment d’être passé à côté de Stephen Curry lors de la Draft 2009), il est arrivé en France l’été dernier avec l’ambition de relancer le basket professionnel dans Paris intra-muros. Un projet sur lequel pas mal de gens se sont cassé les dents par le passé.
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Flanqué d’un autre habitué de la NBA – Eric Schwartz, ex-propriétaire minoritaire des Atlanta Hawks et ancien de la banque Goldman Sachs –, Kahn lançait en juillet le Paris Basketball, le nouveau club de la capitale, qui a pris ses quartiers dans la Halle Georges-Carpentier, une petite salle de 2 400 places, posée dans le XIIIe arrondissement. « Cela ne faisait aucun sens qu’il n’y ait pas de club professionnel de basket à Paris, qui est pour moi la meilleure ville du monde », s’enthousiasme aujourd’hui l’actionnaire minoritaire du club, qui enchaîne les allers-retours entre la France et Portland.
Venir investir dans le basket français ne s’est pas fait sur un coup de tête, explique Alain Béral, le boss de la Ligue nationale de basket (LNB), qui a suivi cette arrivée de près. « Il y a quelques années de ça, j’avais lancé quelques pistes aux États-Unis pour voir si des investisseurs étaient intéressés pour s’impliquer dans des clubs en France », rembobine Béral. « Un jour, j’ai reçu un coup de fil de David Kahn, qui m’a expliqué qu’il voulait monter un projet. Après avoir vérifié si c’était solide, on a discuté de plusieurs hypothèses – rachat, création… – pendant qu’il visitait pas de mal de clubs en France. Puis, il y a deux ans, il m’a dit, “Je veux être à Paris“. »
Du côté de la LNB, on admet sans mal que ne pas avoir de club de basket à Paris était un peu bizarre, vu de France ou d’Europe. L’arrivée du tandem Kahn-Schwartz permet aussi à la ligue de voir un autre club suivre l’exemple réussi de l’AS Monaco Basket avec un modèle d’un propriétaire privé – contrairement à la plupart des autres clubs français qui fonctionnent grâce à l’investissement des collectivités. Puis l’avènement d’un club compétitif à Paris ne ferait pas de mal à la visibilité du championnat français, qui pâtit quelque peu de l’extrême visibilité et accessibilité de la NBA. Pour ce que cela vaut, il est aujourd’hui nettement plus aisé de regarder un Wizards-Nets qu’un ASVEL-Cholet.
Outre le soutien de la LNB, le projet Paris Basketball a trouvé une oreille très attentive à la mairie de Paris. Jusqu’en 2016, la ville soutenait financièrement le Paris-Levallois (renommé depuis Levallois Metro), un club né en 2007 suite à la fusion du Paris Basket Racing et du Levallois SC. « Ça n’a pas marché avec le Paris-Levallois en partie pour des raisons éthiques, » dit Jean-François Martins, adjoint au sport, au tourisme et aux JO. « Le club de Levallois est présidé par Jean-Pierre Aubry, l’ancien directeur de cabinet de Patrick Balkany [le maire de Levallois], qui est mouillé dans la moitié des affaires qui concernent Balkany. Je n’allais pas continuer à donner un million d’euros de subventions à des gens qui sont accusés de malversations politiques, financières et morales. »
L’arrivée de Kahn et de son projet est alors tombée à pic, d’autant plus que la ville a pour projet de construire une salle de 8 000 places à Porte de la Chapelle – une « arena de taille moyenne » selon le vocable consacré – en vue des JO de 2024. Parce que si le Paris Basketball joue cette saison en Pro B, les ambitions du club laissent rêveur : accession à la Jeep Elite en 3 ans, et participation à l’EuroLigue (l’équivalent de la Champions League de la gonfle orange) dans 5 ans – soit la date de livraison de l’arena, un an ou deux avant les Olympiades. « Si on est venu à Paris, c’est aussi parce qu’il y a cette nouvelle salle qui va être très importante dans le succès de notre projet, » explique Kahn. « C’est pourquoi on devait lancer le projet dès maintenant pour pouvoir être prêt pour la salle. On ne pouvait plus attendre. »
L’activation précipitée mais préparée du plan des investisseurs américains s’est faite à l’été à l’orée d’une opportunité qui ne se présente pas tous les quatre printemps. Le club de Hyères-Toulon, en prise avec des difficultés financières, cherchait un repreneur ; Kahn a alors saisi l’occasion et racheté les droits sportifs du club du sud de la France pour pouvoir accéder directement à la Pro B. Problème, tout s’est réglé à la mi-juillet, trois semaines avant la reprise de l’entraînement. Il faut alors créer un club de toutes pièces en l’espace d’un petit mois.
« Entre le 25 juillet et le 15 août, j’ai dû trouver 10 joueurs, » explique Jean-Christophe Prat, le coach choisi pour endosser le rôle du bâtisseur. « En termes de temporalité, on va dire que ça nous laisse peu de temps, sachant que les équipes commencent leur recrutement en mai. Du coup, on endosse le costume de Jack Bauer, et on se dit parfois, comme le héros de la série, “We are running out of time“. »
Né rue Lecourbe, « titi parisien » et touché d’être le premier coach de l’histoire du club, JC Prat a vu mûrir et péricliter les différentes tentatives de création d’un club pérenne de basket à Paris au cours des 20 dernières années. Le coach, qui a bourlingué de la Pro A aux ambiances bouillantes du championnat turc, veut croire à la réussite de ce nouveau projet – à condition d’éviter les écueils de cette première année – et vaincre le signe indien, qui veut que le basket ne prenne pas dans la capitale.
« Le maitre mot de ce projet c’est la patience, » embraye Mamoutou Diarra, directeur des opérations basket du club. « Les différents projets auxquels j’ai participé pour faire un vrai club de basket à Paris ont échoué parce qu’on manquait de temps », décrypte l’ancien joueur du Paris Basket Racing (PBR), dernier véritable club de Paris intra-muros. « Les investisseurs voulaient un retour très rapide parce que c’est Paris. Mais en réfléchissant à court terme, tu te casses la gueule. »
Pas simple non plus de créer un engouement autour de la balle orange dans une ville comme Paris, sachant qu’une grande majorité des clubs de France sont implantés dans de plus petites villes, où le club de basket représente parfois la seule offre sportive. « Le public parisien n’est pas facile avec le basket, » juge Victor Samnick, joueur vétéran du Paris Basketball, qui est aussi passé par le PBR. « J’ai joué pas mal en province et quand j’y retourne, les supporters ce sont les mêmes, assis aux mêmes places qu’en 2003. Ils sont toujours là, ils se rappellent même de moi ! » Mamoutou Diarra résume le sentiment général des basketteurs passés par Paris : les fans parisiens sont plus « spectateurs » que « supporters ».
Mais un petit groupe de fanas de basket compte bien prendre les choses en main du côté de la Halle Carpentier. Regroupés au sein des « Parisii » (en référence aux habitants de Paris à l’époque de la Gaule), une poignée d’ultras va monter en puissance au fil de la saison pour mettre de l’ambiance, explique Edge, un membre du groupe qui commençait à désespérer que le basket ne revienne jamais dans Paris. « C’est beau d’être au début d’une histoire », se chauffe le jeune homme. « J’ai envie de me dire que dans 10 ou 15 ans, j’irai voir des matchs du Paris Basketball avec mes gosses – de la même manière qu’un daron emmène son gosse au Parc pour voir le PSG. »
Pour ramener des fans jusque dans le XIIIe arrondissement, Kahn s’est aussi attaché les services d’une agence de pub, YARD, habituée à travailler sur des événements liés au basket – comme la rénovation du gymnase de Jaurès pour la venue de Kobe Bryant. « L’objectif est que le club soit un peu différent de qui se passe dans le reste du championnat de France, qui n’est pas super attrayant pour diverses raisons, » pose Tom Brunet, co-fondateur de l’agence. « Cela passe par de petites choses, que Kahn a notamment apportées. Par exemple, en France, il n’y avait pas de front row, et bien, on a fait ça à Carpentier et invité des artistes qui ont posté des trucs sur Insta en mode “Posé comme Quavo“. Même si c’est que de la Pro B, c’est marrant. »
Si tout se met doucement en place en tribunes et en coulisses, la route s’annonce encore longue sur le parquet. Le Paris Basketball ne compte qu’une victoire pour six défaites dans ce séduisant championnat de Pro B qui regorge de matchs serrés. « La Pro B est un championnat très homogène, » analyse Éric Micoud, ancien joueur aujourd’hui consultant pour BeIn Sports, qui a connu le PBR et la Pro B. « Les mecs sont prêts à vendre leur mère pour une place en [Jeep Elite]. C’est intense. » Ce vendredi soir, le Paris Basketball retrouve la Halle Carpentier pour accueillir Rouen et gravir encore une petite marche sur le chemin de la rédemption du basket parisien.
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