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Et si l’empire de Jamie Oliver était en train de se casser la gueule ?

Le règne culinaire de Jamie Oliver touche-t-il à sa fin ? La dynastie du chef britannique s’étend sur plus de vingt ans. Depuis ses débuts à la télévision en 1999 dans The Naked Chef à ses publicités pour Sainsbury’s en passant par sa récente lutte contre les caries ou sa haine des selfies. Jamie Oliver a toujours été sous le feu des projecteurs ; 23 bouquins de cuisine, plus de 6 millions de followers sur Instagram et une fortune qui s’élève à quelque chose comme 240 millions de livres (270 millions d’euros). Ce mec est plus une marque qu’un être humain.

Le seul truc plus grand que son succès financier, c’est probablement ce qu’il représente. La « success-story » d’un lycéen du comté d’Essex qui est devenu millionnaire en vendant des recettes de paella en 30 minutes. L’archétype du mec lambda qui réussit. Une sorte de self-made-lad issu de la classe moyenne.

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Et Dieu sait que ça a plutôt bien marché pour Jamie. Sans doute grâce à sa manie un peu flippante d’ajuster son discours pour coller à la tendance du moment (en 2016, il s’était déjà lancé dans une guerre contre le sucre), le chef est parvenu à rester populaire. Si vous entrez dans une cuisine au Royaume-Uni, vous avez de fortes chances de tomber sur sa tronche sorti d’un vieux livre de recettes jauni, une spatule à la main ou à côté d’une botte de carottes avec les fanes. Commercialement ou conceptuellement, Jamie Oliver est partout.

Une partie de son « Empire » commence néanmoins à montrer des signes de faiblesse. Comme rapporté par le Sun on Sunday, la chaîne de restaurant Jamie’s Italian (37 restaus au UK et 28 dans le monde) va fermer plusieurs de ses adresses à travers l’Angleterre après avoir accumulé des dettes qui atteindraient 71,5 millions de livres (80,7 millions d’euros). Toujours selon le Sun, l’entreprise devrait notamment plus de 30,2 millions de livres (34,1 millions d’euros) en prêt ou découvert, ainsi que 400 000 livres (450 000 euros) à ses fournisseurs. Une situation financière qui pourrait provoquer la suppression de 450 postes.

Les créanciers de Jamie’s Italian et la chaîne se sont mis d’accord sur un plan de restructuration qui devrait provoquer la fermeture de 12 restaurants au Royaume-Uni – dont des adresses à Londres. Un porte-parole de l’entreprise a confié à MUNCHIES « être heureux d’avoir reçu le soutien sans faille des créanciers devant le projet de restructuration des restaurants Jamie’s Italian ».

« Comme tous les propriétaires de restaurants le savent, c’est un marché compliqué et, après le Brexit, les tensions et le flou ont rendu les choses encore plus difficiles. »

« On travaille dur pour assurer que la chaîne correspond à l’environnement actuel en matière d’échanges commerciaux. On est confiant à l’idée que la restructuration offrira de solides opportunités en matière de croissance et de profits. »

Quand on a abordé la question de la dette, le porte-parole a assuré que les 71,5 millions de livres avancées par le Sun étaient « trompeurs » avant d’assurer que les dettes de Jamie’s Italian s’élèvent en fait à hauteur de 47 millions de livres (53 millions d’euros) mais que les impôts, les salaires et les loyers à régler vont augmenter cette somme de 27 millions de livres (30 millions d’euros). Le porte-parole a aussi souligné dans son mail qu’une partie des dettes de Jamie’s Italian étaient dues à la banque HSBC (38 millions de livres soit 42 millions d’euros environ), une autre (9 millions de livres soit 10 millions d’euros) à des entreprises appartenant à Jamie Oliver.

Mais les faits sont têtus : Jamie’s Italian devrait subir de plein fouet les conséquences de sa gestion – suppression d’emplois et fermeture de restaus. Quand est-ce que ça a commencé à sentir le roussi pour ce grand nom de la restauration et ses carbonara plutôt abordables ?

Une des réponses pourrait résider dans le bordel sans nom communément appelé Brexit. Jamie Oliver a déjà pointé du doigt le résultat du fameux référendum, l’accusant d’être responsable d’une forme d’incertitude économique – et du même coup, de la fermeture l’année dernière des restaus de Cheltenham, Exeter et Aberdeen. Il expliquait à l’époque dans un communiqué ; « Comme tous les propriétaires de restaurants le savent, c’est un marché compliqué et, après le Brexit, les tensions et le flou ont rendu les choses encore plus difficiles. »

« Compte tenu de la valeur globale de Jamie Oliver, des marques de vêtements créés par sa femme ou de sa capacité à se réinventer, il est un peu tôt pour l’enterrer. »

Brexit ou pas, l’industrie de la restauration au Royaume-Uni est un terrain miné. Selon une étude de marché réalisée par PWC, si l’on mange plus régulièrement à l’extérieur, l’augmentation du coût de la vie et le développement des appli de livraison à domicile ont rendu particulièrement complexe le métier de restaurateur.

Si le porte-parole de Jamie’s Italian n’a pas souhaité donner d’explications sur la cause des difficultés rencontrées par la chaîne d’Oliver, MUNCHIES est allé parler à Michael Goodman, un professeur à l’université de Reading spécialisé dans la géographie de l’alimentation qui a son petit avis sur la question.

« Je pense qu’un des soucis de Jamie’s Italian c’est le nombre croissant de chefs célèbres qui sont entrés dans la danse en lançant leur propre chaîne. C’est cette nouvelle concurrence. Et il y a peut-être une sorte d’essoufflement de la marque d’Oliver. »

Goodman n’a pas voulu spéculer sur la fin de règne du chef. « Compte tenu de la valeur globale de Jamie Oliver, des marques de vêtements créés par sa femme ou de sa capacité à se réinventer, il est un peu tôt pour l’enterrer. »

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Jamie a gardé son aura de « mec bien » et, pour quelqu’un qui s’est battu à coups de posts Instagram à la grammaire cheloue et de très bonnes recettes de chili végétarien, sa faillite serait une perte pour la scène culinaire britannique. Comme pas mal d’adresses à travers le pays qui sont obligées de fermer chaque mois, les restaus de Jamie’s Italian sont surtout le symbole de la morosité économique actuelle. Pas forcément qu’Oliver n’est plus pertinent.

Une chose est sûre, un monde sans Jamie Oliver – ses shows, ses punchlines et sa vendetta très personnelle contre Fanta – serait un monde vraiment différent.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES UK.