Des moutons, des cochons et autant de vaches : chaque année, le Salon international de l’Agriculture accueille à Paris les plus belles bêtes des régions françaises. Né dans les années 1960 sous l’impulsion du ministre de l’Agriculture de l’époque, l’évènement rassemble ainsi de nombreux badauds, des milliers d’agriculteurs et d’exposants et une ribambelle d’hommes politiques de tous bords pour lesquels le Salon est devenu passage obligé.
Comme à plusieurs reprises ces dernières années, cette 53e édition, organisée la semaine dernière, était placée sous le signe de la crise agricole, dans un contexte de baisse des cours du lait et de la viande porcine. Afin d’illustrer la situation critique dans laquelle se trouvent certains éleveurs, Xavier Beulin, patron de la FNSEA, syndicat professionnel majoritaire dans la profession agricole, a récemment annoncé qu’il y avait « le feu à la Ferme France ». « Il y a péril en la demeure : chaque jour, des exploitations tombent », poursuivait-il, avant d’évoquer pour la première fois la « reconversion professionnelle des agriculteurs qui ne pourront pas continuer leur activité ».
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Symbole de ces difficultés, le Salon s’est ouvert samedi 27 février dans une atmosphère très tendue. Alors que François Hollande était la cible de sifflements et d’insultes, le stand du ministère de l’Agriculture se faisait « démonter » par des éleveurs en colère, nécessitant l’intervention des CRS. « Ce 53e salon est sans doute l’un des plus durs à vivre pour les agriculteurs », a déclaré le chef de l’État à la fin de sa courte visite dans un entretien accordé à la chaîne Campagne TV.
Le lendemain, afin de dénoncer la politique de prix de la société, des manifestants s’en sont pris au stand de la marque Charal équipés d’un extincteur et de 30 kilos de farine. « Quand [le groupe] Bigard [auquel appartient Charal] prend 100 euros, il y a en 8 pour le producteur », ont-il expliqué au public, revêtus de t-shirts rouges barrés d’un « Notre métier à un prix » et distribuant de faux billets de 100 euros.
Malgré ce profond malaise dans le monde agricole, certains jeunes Français deviennent ou rêvent toujours de devenir agriculteurs. VICE est allé à leur rencontre sur leurs stands du Salon, parmi les bêtes, afin d’en savoir plus sur leurs motivations et le quotidien de leur métier.
Bénédicte, 18 ans, étudiante en BTSA Analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole au lycée agricole d’Ahan dans la Creuse
« Grâce à mon père, qui travaille seul dans une exploitation de 820 brebis texel et charolaises, j’ai toujours su que je voulais devenir agricultrice. Comme lui, j’aimerais travailler dans le mouton, mais aussi avoir quelques vaches limousines et salers.
« La formation dans laquelle je suis dure deux ans. Durant cette période, on a un stage à faire dans une entreprise agricole et un autre dans une structure vétérinaire ou dans un domaine un peu plus éloigné, de sorte à avoir une autre vision du métier. Le reste du temps, on est en cours ou on fait des visites d’exploitations. S’il n’y a pas beaucoup de filles dans les lycées agricoles, j’en vois de plus en plus. C’est une bonne chose.
« Je ne compte pas m’installer directement après mon BTS. J’aimerais plutôt voyager à l’étranger pour découvrir d’autres façons de travailler et ainsi gagner de l’argent avant de me lancer. »
Jordan, 20 ans, étudiant en BTSA Productions animales originaire de Haute-Vienne
« Mes deux parents possèdent une ferme d’environ 150 hectares qui compte 80 vaches. Plus jeune, mon but était de reprendre l’exploitation familiale. Aujourd’hui, à la fin de mon BTS, je souhaiterais plutôt me spécialiser dans les porcs culs noirs – une race de porcs français à petit effectif qu’on essaie de conserver et de développer. Le projet serait donc d’avoir aussi une vingtaine de truies de race Cul noir dans la ferme familiale.
« Je suis venu au Salon pour présenter cette race, mais aussi pour me faire une réputation et me créer des relations afin de démarrer dans de bonnes conditions. En raison de la crise, nous, les jeunes agriculteurs, avons forcément des appréhensions quant au futur du métier. Néanmoins, il ne faut pas non plus partir défaitiste. Dans les chambres d’agriculture, on a des conseillers qui sont là pour nous accompagner. Le plus important aujourd’hui quand on s’installe est de faire attention à ses dépenses et de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre en investissant trop d’un coup. Il faut savoir prendre du recul et ne pas foncer tête baissée. L’école dans laquelle je suis nous prépare à ça. »
Jeremy, 25 ans, éleveur de bovins de race Aubrac en cours d’installation dans l’Aveyron
« L’agriculture est ma passion ; j’ai toujours voulu faire ça depuis que je suis jeune. Mon père est agriculteur et je souhaite reprendre son exploitation, même si s’installer n’est aujourd’hui plus si évident. Je travaille dans la vache allaitante – des vaches destinées à l’élevage de veaux pour la production de viande. Je dois favoriser la reproduction des animaux et les traire deux fois par jour, matin et soir.
« Depuis quelques années, les agriculteurs se disent que l’avenir risque d’être difficile car il y a de plus en plus de contraintes. On essaie malgré tout de rester optimistes. »
Grégory, 32 ans, éleveur de brebis laitières pour la production du roquefort dans le Tarn
« Issu d’une famille d’éleveurs d’agneaux, je me suis installé en décembre 2004, quand j’avais 20 ans, en rachetant une petite exploitation laitière. Je possède aujourd’hui 300 brebis sur une centaine d’hectares. Il s’agit d’une petite exploitation et je suis le seul employé. Chaque journée commence à 6h30, par 1h30 de traite des animaux. Ensuite, je leur donne du foin et des grains. Puis, il y a le travail dans les champs – il faut récolter et préparer les cultures pour pouvoir donner à manger aux brebis l’hiver suivant. Le soir, à 17h, je leur donne à nouveau à manger et je les trais. La journée se termine vers 19h30.
« Durant mes douze années d’activité, j’ai pu constater que de plus en plus de temps était nécessaire pour pouvoir gérer tout ce qui est administratif. On nous demande toujours plus de comptes. Si on nous parle de projets de simplification dans ce domaine, on ne les voit pas du tout. Ce poids administratif est devenu une véritable contrainte, même si le métier reste formidable : on travaille avec des animaux dans un cadre intéressant, on n’a pas de patron… Quand j’avais 3 ans, je m’occupais déjà des brebis dans l’exploitation de mes parents ; aujourd’hui, mes enfants font la même chose et sont toujours ravis de m’accompagner dans la ferme le week-end. C’est magnifique.
« Au niveau financier, cela peut parfois être compliqué et heureusement que ma femme, qui est kinésithérapeute, a un salaire à côté. À leur époque, mes parents pouvaient tirer deux salaires de leur exploitation agricole. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus délicat. »
Baptiste, 18 ans, étudiant en BTSA Analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole au lycée agricole d’Ahan dans la Creuse
« J’ai grandi dans une ferme et j’ai toujours été passionné par les bêtes. Depuis tout petit, j’élève tous types de bestioles. Dans notre lycée, si beaucoup sont des enfants d’agriculteurs, il y a aussi un pourcentage – certes plus faible – de gens qui n’ont pas grandi dans ce milieu.
« Je suis venu au Salon avec mon école et notre vache Bambinette, qui pèse 807 kilos et qui est de race Limousine, et son veau Leroy, 216 kilos. On la présente au Trophée national des lycées agricoles.
« La ferme de mon père, qui est de taille moyenne, compte surtout des vaches limousines. De mon côté, en plus du bovin, j’aimerais aussi travailler dans l’ovin. On appréhende quand même un peu le futur. Il semble assez incertain et on a peur que la situation actuelle empire. Aujourd’hui, de plus en plus de petites exploitations déposent le bilan tandis que d’autres s’agrandissent toujours plus et engloutissent les plus petites. Il risque de ne rester plus que des grosses structures. Perdre le cadre familial des petites fermes serait regrettable. »