Music

« Être une femme pilote dans un monde d’hommes » : leçon de conduite avec Claude Violante

L’animal est rare, mais chacune de ses apparitions donne, depuis 5 ans, d’incontrôlables frissons : de « Boys Like Us » (single de son projet Haussmann) à ses deux premiers EPs (sur Tsunami-Addiction et Atlas Chair, respectivement) en passant par ses remixes (pour La Chatte ou Trésors) et ses featurings (Crackboy, Tamara Goukassova) le parcours de Claude Violante se résume en trois mots : puissant, puissant, puissant.

Alors qu’on attend toujours son premier album, possiblement prévu à l’automne, Claude Violante sort ce mois-ci un nouveau maxi, Road Race, sur le label Panenka (qui héberge également Georgio et Therapie Taxi). Un disque sur lequel elle continue à mêler house et RnB dans des productions « à l’anglaise » à la précision maniaque – fourbies avec la complicité de Bastien Doremus, du groupe TOYS – mais où elle passe clairement à la vitesse supérieure en révélant enfin la chanteuse qui sommeillait en elle.

« C’était important de dépasser des choses qui étaient compliquées pour moi, explique-t-elle. De prendre un chemin plus direct. Pour moi, le vrai changement sur ce disque, c’est que les morceaux sont plus courts et les instrus plus minimalistes. J’ai essayé de ne pas trop empiler les couches de synthés. La voix est beaucoup plus en avant aussi, comme si j’essayais de moins la cacher. Ce sont des avancées significatives pour moi. »

Videos by VICE

Vibrants de beats déments, d’exaltations 90’s et d’un chant soul libéré, Road Race tabasse – petit bolide lancé à la conquête des corps, des cœurs et des esprits. No mercy. Son précédent maxi Your Heart Is Weak avait déjà valeur d’indice : la jeune femme posait penchée sur un scooter bleu nuit… Charmante métamorphose, la pochette de Road Race (signée Unicorn), tableau flottant entre 2D et 3D et composé d’éléments mystiques, révèle au centre une voiture de course maquillée en joujou. Claude Violante, fan de cylindrées ? « J’aime beaucoup la mécanique et les moteurs. Je vois leur beauté et la perfection des matières, des sciences et technologies impliquées dans leur fabrication. Et j’y vois aussi le rapport avec ma passion des machines électroniques. Des outils qu’il faut connaître et aimer pour les apprivoiser. J’adore passer des heures à jouer avec des machines, et je suis sûre que les mecs qui fabriquent des voitures aiment passer des heures dessus. Il y a dedans une complexité de fabrication et en même temps une pureté de son. »

On l’imagine bien dans son hoodie-bleu de travail, caressant ses machines, les yeux rivés sur la ligne d’arrivée : Road Race – tout est dans le titre, non ? « La course sur route, car c’est ce dont il s’agit, est une course de rapidité  et de discipline, il faut arriver le premier et suivre la ligne. C’est ce que j’ai eu l’impression de faire pendant la composition et l’écriture de ce disque. Il fallait aller vite et en même temps être direct, ne pas passer par des chemins de traverse. Il fallait aussi que je sois un pilote, dans le sens où j’étais seule et que je devais me confronter, comme n’importe quel sportif, à mes faiblesses et mes peurs et les dépasser. Trouver ma force et du courage ! J’ai aussi choisi le monde de l’automobile car je trouve qu’il est trop souvent représenté par des figures masculines et j’avais envie de le récupérer à ma sauce. Je pense que les femmes sont tout aussi capables que les hommes d’être de bons coureurs. »

La preuve par quatre, du fier et racé « Control » au très suga lova « Do That Thing » : « “Control”, c’est le titre le plus mélancolique du disque et je le trouve un peu différent des autres morceaux. Et ça me plaît. Il parle de la difficulté qu’ont certaines personnes à accepter la différence des autres. Comment gère-t-on ça ? Dans l’histoire que je raconte, ça se passe plutôt mal… C’est un hommage à ces “pionniers homosexuels” qui ont pavé la route pour beaucoup de nouvelles générations en luttant pour leurs droits ou simplement en vivant la vie qu’ils voulaient mener sans trop se soucier du regard des autres. Leurs efforts ont-ils été vains ? Mon sentiment est partagé lorsque je vois ce qu’a engendré la simple proposition de loi sur le mariage pour tous, la folie de ces gens qui ont manifesté contre pour des raisons plus absurdes les unes que les autres. Ce morceau est censé me donner la force d’avoir foi en l’humanité lorsque parfois je l’oublie. »

« “Do That Thing”, c’est le morceau qui m’évoque le plus une course automobile. Ça parle de désir et j’imagine deux pilotes qui se poursuivent. Celui de derrière essaye de rattraper le premier pour obtenir ce qu’il attend depuis un petit moment… Un contact, une étreinte. J’aime énormément ce moment d’attente. »

« “Like That” parle du couple, du fait qu’on ne peut pas avoir que des moments parfaits. Qu’il faut prendre les gens dans toute leur splendeur, avec tout le poids de casseroles qu’ils se trimballent. Il évoque le doute et la difficulté de rester solide pour l’autre dans des moments compliqués. J’imagine vraiment des images de tempêtes de mer et de Caraïbes quand je l’écoute. »

« “You’re The Man” raconte ce que c’est d’être une femme pilote dans un monde d’hommes, de l’injustice qu’on peut ressentir lorsqu’on comprend qu’on n’a pas vraiment les mêmes possibilités que les hommes quand il s’agit de ce qu’on peut accomplir. Que ce soit professionnellement, socialement ou dans la plupart des cas d’ailleurs, nos efforts doivent être plus grands, ce n’est pas du tout juste. Ce morceau parle du fait que nous avons besoin des hommes pour avancer sur ce sujet, ils ne peuvent pas seulement rester à ne rien faire et penser que c’est normal. »

S’ils naviguent entre statements profonds et tubes euphorisants, Claude Violante insiste toutefois sur un point : ces quatre titres sont de VRAIES pop songs.

« Je ne connais pas la définition exacte du dictionnaire, je te donne ma version. La ‘pop song’ c’est la route de mon circuit de course. On est tous en train de courir sur ce circuit, on se retrouve avec les influences qu’on apporte d’ici ou là. Le vrai but de la pop est de rassembler les gens et de les faire courir ensemble. C’est encore plus important que de savoir qui va arriver le premier. Je pense qu’on est à une époque où pas mal de barrières ont été franchies et où la pop permet une liberté presque sans limites. Tous les coureurs peuvent concourir, qu’ils soient hommes, femmes ou entre-deux, quel que soit le message et quelle que soit la forme. Je pense qu’à partir du moment où une musique est attirante pour la majorité, elle est pop. Un peu comme la démocratie ! »

Liberté, dancefloor pour tous et course collé-serré : Road Race est la parfaite BO pour réenchanter le quotidien 24/7, pour les nuits d’amour exaltées et les virées sauvages en minivan sur n’importe quelle highway. « Si Road Race était la bande-son d’un film, ce serait sans doute un film qui suivrait quelqu’un dans sa vie, comme une saga à la Imitation of Life de Douglas Sirk, mais en un peu moins mélodramatique ! Je pense qu’il y aurait de la violence, un peu de sang et de souffrances mais pas de gore. Un petit peu de drame psychologique aussi. Ça se passerait sur une période de un an ou deux, et maintenant que j’y pense ça pourrait être un thriller dramatique. Il y aurait des personnages particuliers et uniques mais réalistes. Ce serait toujours à la limite de l’hypernormal et du fantastique, sur le fil. L’histoire finirait relativement bien : le personnage principal aurait appris de la vie et de ses erreurs, après quelques aventures. Je vois la scène finale sur une longue autoroute avec un soleil très intense, mais de fin de journée. Le personnage principal serait seul et heureux. »

Heureux, on vous dit.


Etaïnn Zwer est sur Twitter.