Belgique, Canada, Suisse et Luxembourg font partie des rares pays à autoriser le suicide assisté ou l’euthanasie. Encore tabou, pour des raisons religieuses et éthiques, le débat sur à la fin de vie est régulièrement remis sur la table en France. Début février, une étude IFOP a été réalisée pour interroger les Français sur la question. L’enquête révèle qu’une très large majorité soutient le recours à l’euthanasie dans des cas de souffrances extrêmes et incurables (94%).
Si les Français sont favorables à un accompagnement vers la fin de vie, les politiques ne l’entendent pas de cette oreille et évitent à chaque nouveau quinquennat le sujet. Dans les pays où la pratique est légale, elle est organisé par des associations. De la planification de la date de la mort jusqu’à l’achat du produit létal, des accompagnateurs s’occupent des derniers instants de ceux qui souhaitent mourir. À l’occasion de cette nouvelle étude, VICE a interrogé Jean-Jacques Bise, coprésident de l’association suisse Exit, chargée des suicides assistés.
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VICE : Quelle est la différence entre suicide assisté et euthanasie ?
Jean-Jacques Bise : C’est simple. Pour le suicide assisté, le dernier acte doit être effectué par la personne elle-même alors dans une euthanasie c’est un tiers qui fera l’acte fatal. Cela signifie que dans un suicide assisté, la personne prendra une potion létale qui est un puissant barbiturique. Si elle n’est plus en capacité physique de boire, on posera une perfusion et la personne concernée ouvrira la perfusion. On n’a encore eu de situation où la personne ne pouvait pas se mouvoir mais on pourrait très bien envisager une solution à l’aide d’un clignement des yeux par exemple.
Combien de personnes avez-vous avez aidé à mourir ?
L’année passée, nous avons aidé 369 personnes avec une majorité de femmes, 223 femmes et 146 hommes exactement. Nous avons aidé quatre couples à partir ensemble, ce qui est une demande d’assistance en augmentation.
Comment expliquez-vous que de plus en plus de couples demandent à mourir ensemble ?
Ce sont des personnes très âgées qui ont été mariés pendant plusieurs décennies et qui demandent maintenant de pouvoir mourir ensemble. Généralement l’un des deux est victime d’une pathologie très sévère et son conjoint de polypathologies invalidantes. Cela veut dire qu’ils ne sont pas forcément tous les deux en fin de vie. Le dernier couple, que l’on a dû accompagner, avait 65 ans de vie commune, ils étaient tellement fusionnels qu’ils ne s’imaginaient vivre sans l’autre.
Est-ce que beaucoup de Français vous contactent ?
Oui beaucoup tous les jours des dizaines de Français nous appellent pour se renseigner. Nous devons malheureusement toujours leur répondre que nous en pouvons pas les aider à moins que ces personnes viennent s’installer en Suisse et y avoir sa résidence principale. Certaines associations s’occupent d’étrangers mais ce n’est pas notre cas.
Combien cela coûte-t-il ?
Tout dépend des associations mais en général entre 8 à 10 000 €. Pour notre association, si la personne est membre depuis un an, cela ne lui coûtera que la cotisation annuelle, c’est-à-dire 40 €.
C’est tout de même un budget…
Oui effectivement, ce n’est pas à la portée de tout le monde. Il est interdit de faire du profit sur les accompagnements de fin de vie, les associations n’ont pas un but commercial. Les coûts sont justifiés, ils correspondent aux problématiques médicales et funéraires.
Comment ça se passe quand une personne est décidée ?
Un de nos médecins va déterminer si les critères médicaux sont remplis pour pouvoir aider une personne. Il faut qu’elle soit dans un cas de polypathologie ou en phrase terminale d’une maladie. Le moment le plus étrange, c’est lorsque l’on sort nos agendas respectifs pour fixer un jour. En principe, on ne connaît pas la date et l’heure de sa mort. Le matin, on redemande à la personne si elle souhaite toujours quitter ce monde. Si la personne changeait d’avis, on arrêterait tout. Nous sommes là pour les aider et non pour les pousser.
Une fois qu’on s’est assuré qu’elle est capable de discernement, on lui un anti-vomitif. Le produit létal, le pentobarbital, qu’ils doivent avaler est particulièrement amer. Il faut éviter qu’elle le recrache car elle risquerait simplement de s’endormir et non pas de mourir. Elle en boit 15 grammes, va bailler et s’endormir paisiblement. Cela prend ensuite une vingtaine de minutes avant de pouvoir faire constater le décès par un médecin. On contacte ensuite la police et les pompes funèbres.
Comment en êtes-vous arrivé à faire ça ?
J’ai vécu deux décès dans ma famille, le premier subi et non décidé et je me souviens l’avoir vécu difficilement. Le deuxième était avec un médecin très compréhensif qui n’a pas véritablement effectué une euthanasie mais qui a généreusement, aidé à dépasser les souffrances avec de la morphine, ce qui a accéléré le décès. Je me suis dit qu’un jour ou l’autre, je voudrais avoir un tel médecin auprès de moi mais que je pouvais pas attendre des autres, ce que je ne ferais pas moi-même.
Est-ce que ce n’est pas trop éreintant moralement ?
C’est prenant. Ce sont des moments qui sont d’une telle intensité qu’après chaque assistance je pars me promener pour évacuer.
Y a-t-il cas dont vous vous souvenez en particulier ?
Je me souviens d’une fois où les petits enfants étaient présents pour l’accompagnement de leur grand-mère. Ils ont lu des poèmes puis elle a bu le produit, le petit-fils s’est mis a jouer du violon et elle s’est endormi sur cette musique. C’est un moment que je n’oublierai jamais tellement ce fut paisible et émouvant.
Est-ce qu’avant de mourir, les personnes disent souvent un dernier mot ?
S’il y en avait un, qui ressort le plus régulièrement, ce serait : enfin. Je vous garantis qu’après tant de souffrances, la vie n’est plus vraiment la vie. C’est un soulagement pour eux et ils leur arrivent souvent de se sentir délivrer et nous dire « enfin » lorsque le moment est venu.
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