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Crime

L'histoire de Whitaker Wright, l’escroc qui s'est suicidé devant le tribunal

Le Bernard Madoff de la fin des années 1800.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Whitaker Wright
Photo via Getty Images.

Dans les années 1990, l'écrivain Henry Macrory a lu un article sur une salle de bal sous-marine en verre dissimulée depuis plus de 100 ans au fond d'un lac à Surrey, en Angleterre. Il est allé la visiter et, comme beaucoup avant lui, a été fasciné. Véritable folie architecturale, elle était unique en son genre et Macrory se demandait qui avait bien pu construire un tel lieu. Il a découvert qu'il appartenait à Whitaker Wright, un charmant homme d'affaires qui se révéla également être un escroc et un criminel hors pair. Tel un Bernie Madoff de son temps, Wright était un financier-arnaqueur qui exerçait entre l’Angleterre et l’État de New York et extirpait aux gens leur argent par tous les moyens possibles, notamment en spéculant dans les industries de l'argent, des mines et du pétrole, en cherchant des investissements pour de nombreuses entreprises et en vendant des actions pour lever des fonds. Il a fait des millions avant de tout perdre, avalant tristement et fatalement une pilule de cyanure au tribunal après avoir été reconnu coupable et condamné à sept ans d’emprisonnement en 1904 pour avoir escroqué des investisseurs. De plus, un revolver chargé a été retrouvé sur lui. C'était sans doute en vue d’achever le travail si le cyanure ne fonctionnait pas, mais des rumeurs disaient qu'il avait initialement prévu d’abattre ses accusateurs devant le tribunal avant de retourner l’arme contre lui.

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Sans surprise, Henry Macrory a trouvé les singeries de Wright toutes aussi fascinantes que son refuge submergé. En 2016, il a commencé à écrire un livre sur l'escroc. Les détails qu’il a découverts au cours de son année de recherches intensives n’ont pas déçu. Ultimate Folly: The Rises and Falls of Whitaker Wright, paru le 8 janvier, offre une image beaucoup plus complète de la vie dynamique et de la solide histoire de Wright. VICE s'est entretenu avec Macrory pour savoir comment l’escroc avait gagné et perdu beaucoup d'argent et comment le capitalisme permettait à des hommes comme lui de manipuler facilement le système. Voici ce qu’il a à dire.

« Wright était le genre d’homme qui faisait appel à l’esprit joueur des gens. Et dans la frénésie du moment, des milliers de personnes étaient prêtes à lui confier leur argent »

VICE : Comment Whitaker Wright est-il passé de prédicateur anglais à riche du Nouveau Monde ?
Henry Macrory : Il est devenu prédicateur pour faire plaisir à son père, mais il a vite compris que la vie paisible d'un prêtre anglais ne le satisferait jamais. Il avait soif d'aventure et d'excitation, et il a décidé que le Nouveau Monde – le Far West en particulier – était l'endroit parfait pour ça. Téméraire de nature, il était prêt à faire face au danger et aux difficultés rencontrés dans sa quête de richesse. Il était rusé et intelligent, et les paris qu'il a pris ont finalement porté leurs fruits, mais seulement pour une courte période.

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Pourquoi pensez-vous que son histoire a été si peu couverte dans l’histoire ? On dirait qu’il n’est connu que pour sa salle de bal sous-marine.
Wright n'a laissé aucun journal et aucune lettre, et ses descendants immédiats n'aimaient pas parler de lui. Jusqu'à récemment, les détails de sa vie étaient inconnus et on se souvenait surtout de lui pour son refuge sous-marin unique. Les outils de recherche modernes, notamment la numérisation de milliers de journaux locaux des deux côtés de l’Atlantique, m’ont permis de combler nombre des lacunes de son récit. J'ai ainsi pu brosser un tableau beaucoup plus complet de sa vie extraordinaire, ce qui était possible auparavant.

Underwater ballroom

La « salle de bal sous-marine » de Wright avant sa submersion.

Wright a gagné et perdu beaucoup d'argent. Quelles étaient sa mentalité et sa motivation ?
C'était un homme d'une ambition et d'une détermination extraordinaires. Je soupçonne que sa plus grande motivation était le sentiment d’avoir déçu ses pieux parents. Sa démission du sacerdoce, suivie de l’effondrement de sa première entreprise en Angleterre, a dû les bouleverser et ce n’est probablement pas un hasard si son père est décédé peu de temps après. J’ai la conviction qu’il a passé le reste de sa vie à essayer de prouver à sa famille qu’il n’était pas le raté qu’il semblait être.

Comment Wright a-t-il convaincu les gens de lui donner leur argent et leur confiance ?
Au début des années 1880, l’Amérique jouissait d’une prospérité sans précédent, principalement grâce à l’expansion du secteur ferroviaire. Les gens avaient beaucoup d'argent et étaient prêts à parier. L’enthousiasme pour le marché boursier était tel que de nombreuses sociétés minières tenaient des « listes » d’investisseurs naïfs. Wright était le genre d’homme qui faisait appel à l’esprit joueur des gens. Et dans la frénésie du moment, des milliers de personnes étaient prêtes à lui confier leur argent.

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Quels sont les attributs qui ont fait de Wright un bon escroc ?
C’était un homme extraverti doté d’un esprit vif et d’un charme fou. Surtout, il avait le sens de la formule, une compétence qu’il avait perfectionnée en tant que prêtre. Un journaliste anglais du XIXe siècle a écrit à son sujet : « Il envoûtait chaque individu qu’il rencontrait, quel que soit son rang social. » Les personnes qui ont collaboré avec lui le trouvaient affable, suave et généreux, et appréciaient son sens de l'humour. Il constituait un contraste bienvenu avec la froideur et la rigidité des financiers habituels de l'époque.

Wright in underwater room.

Ses secrets l’ont-ils détruit ?
Wright avait beaucoup de secrets. Le plus gros de tous – que l’on sait depuis un an à peine – était que ses trois principales sociétés étaient devenues des coquilles vides et couraient vers la faillite. S'il avait fait le point tout de suite, il aurait peut-être récupéré quelque chose de l'épave. Au lieu de cela, il a essayé de retarder l'inévitable en trafiquant les livres de comptes. Cela a eu pour effet d'aggraver la situation et, dans ce sens, il a été détruit par ses secrets.

Les investisseurs l'ont chassé de New York et il a dû rentrer en Angleterre. Wright pensait-il pouvoir échapper à tout ?
Wright était tellement riche et puissant qu'il se croyait probablement intouchable. Il est vraiment tombé des nues lorsque des policiers l’ont arrêté à New York en 1903. Il leur a dit que tout ceci n’était qu’un malentendu et qu’il était « un ami du roi ». Il était persuadé qu’il serait libéré rapidement, mais le jeu était terminé pour lui et il allait bientôt subir un choc désagréable.

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Comment a-t-il finalement été appréhendé, jugé et condamné à sept ans de prison pour ses crimes financiers ?
Les autorités britanniques ont estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour le condamner et ont refusé de lui faire un procès. Finalement, un groupe d’actionnaires en colère a réussi à réunir suffisamment d’argent pour financer une poursuite privée. Wright a fui en Amérique, mais un mandat d'arrêt a été lancé contre lui et il a été ramené en Angleterre. L'affaire a été entendue par la Cour royale de justice du Royaume-Uni en 1904. Wright a comparu devant un juge qui lui était hostile depuis le début et a été soumis à un contre-interrogatoire exténuant par l’un des procureurs britanniques les plus brillants.

Comment les médias de l’époque ont-ils traité son histoire et dans quelle mesure vos recherches sont-elles basées sur la lecture de vieux articles ?
Avant sa chute, les médias de l'époque avaient tendance à donner une couverture favorable à Wright. Ils vénéraient les histoires de réussite. En plus de cela, il avait un certain nombre de journalistes corrompus dans sa poche. Sans surprise, sa mort a fait sensation. Le New York Times l’a bien exprimé : « Même dans sa vie qui, avec son passage de la pauvreté à la richesse, a été semée d’embûches, rien ne pouvait être comparé à sa mort. Ce soir, tout Londres est bouleversé par l’annonce de sa mort. Aucune tragédie humaine de ce type n’a été commise en Angleterre depuis de nombreuses années. » J'ai lu des centaines d'articles de ce type au cours de mes recherches, mais je me suis également appuyé sur de nombreuses autres sources. J'ai notamment retrouvé l'arrière-arrière-neveu de Wright qui m'a donné accès aux archives de la famille.

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La chute ultime de Wright a-t-elle été aussi dramatique que son ascension ?
L’effondrement des sociétés de Wright était en grande partie imprévisible et s’est produit le dernier jour de bourse du XIXe siècle. Ce fut un vrai moment de fin de siècle. Des milliers d’investisseurs ont été ruinés ou ont subi d’énormes pertes et 20 sociétés de courtiers en valeurs mobilières londoniennes ont fait faillite. L'histoire a fait les gros titres.

Pensez-vous que le capitalisme permet aux hommes comme Wright de manipuler facilement le système à leur avantage ?
Wright a tout joué dans le système capitaliste, et les règles du jeu – ou plutôt le manque de règles – lui ont beaucoup facilité la tâche. Par exemple, à cette époque en Amérique, il n’était pas illégal d’augmenter la valeur d’une mine en difficulté en y déversant des brouettes de minerai riche en argent ou en or – une pratique connue sous le nom d’« enrichissement des gisements ». En Angleterre, aussi étrange que cela puisse paraître maintenant, il n’était même pas illégal de produire de faux bilans. Par conséquent, Wright n’a eu aucune difficulté à manipuler le système à son avantage.

Quel parcours un homme comme Wright aurait-il dans le monde d'aujourd'hui et à quel escroc des temps modernes peut-il être comparé ?
Wright aurait eu plus de mal à réussir aujourd’hui. Il a profité de vides juridiques qui ont été comblés depuis. En outre, une grande partie de la presse financière était corrompue et il a gagné les faveurs des journalistes en leur vendant des actions à bas prix. Espérons que ce genre de choses n’arrive plus aujourd’hui. Dans mon livre, je le compare à Bernie Madoff en termes de cupidité et d'impudeur.

Wright était-il plus un arnaqueur impitoyable, un mec malin, ou un mélange des deux ?
Il était un arnaqueur, ça ne fait aucun doute, mais j’ai tendance à penser qu’il n’était pas un criminel impitoyable et qu’il n’arnaquait pas délibérément les gens. Il avait réussi à devenir ami avec le futur roi et d’autres membres de la famille royale britannique. Sa position dans la société était importante pour lui et il ne voulait pas la mettre en péril. D’aucuns estiment que c’était un homme honnête, qui aidait beaucoup de gens à gagner beaucoup d'argent, et qu’il n'est entré dans la criminalité que vers la fin de sa carrière, poussé par le désespoir.

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