Little Food​ Bruxelles manger insectes

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On vous présente un repas de Noël grouillant

J’étais à Bruxelles dans la plus grande ferme urbaine de grillons d’Europe, et c’était l’heure du diner.

Lisez toutes les histoires de cette période de l'année qui commence par des engueulades en famille et qui finit en soirée forcée le 31.

Dans la série WTFood, on s’invite dans les cuisines belges à la recherche des tendances culinaires innovantes ou carrément bizarres du pays.

À dix ans, j’ai demandé à ma mère de cuisinier de la langue de bœuf pour mon anniversaire. À l’époque où les autres enfants gavés de Kiri Goûter se roulaient par terre devant des salsifis, j’en redemandais. J’ai toujours aimé les aliments un peu dégueulasses. Mettez ça sur le compte d'une transition du stade oral à l'anal mal négociée, si vous voulez. Toujours est-il que quand des insectes me sont passés sous la main dans le hangar de Little Food, je les ai enfournés dans ma bouche sans réfléchir.

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Après tout, j’étais dans la plus grande ferme urbaine de grillons d’Europe, et c’était l’heure du diner. L’entreprise belge Little Food croit dur comme fer en l’entomophagie, le fait de gruger des bêtes grouillantes ou sautillantes, malgré votre air de dégoût. Et dans la théorie, c’est elle qui a probablement raison. Un burger de grillons consomme 300 fois moins d’eau et produit 80 fois moins de gaz à effet de serre que votre steak de bœuf de millenials gâtés. Les insectes font partie de l’alimentation de deux milliards d’êtres humains plus ouverts d'esprit et devront nourrir neuf milliards de personnes d’ici à 2030, selon la FAO - l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l’agriculture.

Il est possible de faire manger des insectes aux plus récalcitrants d’entre nous - et à Noël de surcroit. Avec toute mon équipe, je m’y engage.

Mais dans les faits, vos moues capricieuses sont compréhensibles. Comme vous, l’idée du jus corporel d’un grillon me donne une vague nausée. Mais c’est aussi un ingrédient apprécié de chefs aussi balaises que le Brésilien Alex Atala et sa fameuse soupe amazonienne aux fourmis, ou le Mexicain Enrique Olvera et son chicharron saupoudré de larves. Alors s’ils y arrivent avec une addition aussi salée, c’est qu’il est possible de faire manger des insectes aux plus récalcitrants d’entre nous - et à Noël de surcroit. Avec toute mon équipe, je m’y engage.

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La mise en bouche : crackers maison à la farine d’insectes et graines de courge, tapenade d'aubergines, grillons et tomates séchées, oignons rouges.

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Depuis deux ans, le Hongrois Bence est l’un des deux éleveurs de Little Food. Le plus musculeux de la paire, comme le souligne étrangement l’un des patrons de la boite. C’est probablement parce que le thermomètre affiche 31,2°C dans les « enclos » que la silhouette en marcel de Bence est soumise à l’appréciation de ses pairs. Peut-être aussi parce qu’il n’hésite pas à s’envoyer un paquet de crackers de grillons par jour, soit l’équivalent en protéines d’un quart de bifteck. Ces biscuits salés maison à la farine et à la tapenade de grillons ne sont donc qu’un vœu pieu de finir aussi bien gaulés que Bence.

Aujourd’hui encore pourtant, et après être passé par plusieurs entreprises comme Little Food, il n’a toujours pas la recette exacte pour faire d’une larve sans intérêt un ingrédient révolutionnaire. C’est que le milieu de l’élevage d’insectes est rempli de secrets jalousement gardés. Après tout, ceux qui maitriseront à la perfection la production de cette bouffe du futur seront un peu les rois du pétrole comestible. « Et c’est difficile de trouver une stabilité à la production quand ses facteurs sont inconnus », confie-t-il par-dessus le murmure de ses millions de bébés. Les plus âgés ont 24 jours, et sont donc à moins d’une semaine de la maturation - et de leur fin. Ça fait neuf jours de moins, en moyenne, que les poulets d’élevage en batterie. Côté rendement, les grillons battent donc à plates coutures vos pilons de poulets aux OGM. C’est bon, on peut envoyer la suite ?

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L’entrée : carpaccio de betteraves chioggia, betteraves rouges et radis blue meat, grillons entiers marinés, pousses de moutarde rouge metis.

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« Bien sûr que c’est la nourriture du futur », martèle Maïté, la cofondatrice de Little Food, « parce que dans le futur, j’espère bien qu’on aura le choix de ce qu’on veut manger. Je veux que mes enfants puissent encore choisir de manger de temps en temps une bonne pièce de viande, et le reste du temps, se nourrir d’aliments durables. Sincèrement, j’espère qu’on ne mangera pas que des insectes », a-t-elle gentiment répondu, avant d’ajouter : « Mais aujourd’hui, ça me saoule un peu qu’on dise que c’est la nourriture du futur, en fait. C’est si on n’en mange pas maintenant que notre futur sera pourri ».

« Il faut que le grillon devienne vraiment un ingrédient, d’où la farine. Puis voir l’insecte, c’est encore trop tôt »

Si vous voulez mon avis, la punchline devrait figurer sur leurs paquets de farine de grillon, à la place du galvaudé « superfood ». Mais l’entreprise a choisi la manière douce pour entrer sur le marché. D’abord avec des éprouvettes d’insectes, en mode apéro rigolo avec Tata Michelle. « On est encore dans une phase où on doit jouer sur la découverte et le fun », explique Maïté. « Mais on s’est rendu compte qu’il fallait passer à autre chose. Il y a une barrière qu’on doit dépasser : il faut que le grillon devienne vraiment un ingrédient, d’où la farine. Puis voir l’insecte, c’est encore trop tôt ». Petites natures, sautez donc l’entrée si la perspective d’une bête entière marinée au citron et à l’huile d’olive vous révulse. Pour les autres, ce carpaccio monochrome frais, mais aux saveurs terreuses qui s’accommodent très bien au grillon, devrait achever de vous convaincre.

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Le plat de résistance : Filet de poulet et sa sauce saté aux grillons, pommes de terre au thym, pleurotes et pak choï sautés.

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D’accord, je vous vois venir, c’est mignon les betteraves en fleur et les noms de légumes qui en jettent en se faisant passer pour de la barbecue, mais est-ce que c’est bon ? C’était un peu mon ultime réticence, avant de sortir n’importe quel plat à base d’insectes. Pour trancher, j’ai décroché mon téléphone et appelé à la rescousse une incorruptible du goût et une esthète des assiettes : Axelle Minne, styliste culinaire - oui, ça existe et votre boulot ne sera probablement jamais aussi cool. À deux, on s’est adonnées à une séance de dégustation des plus méticuleuses.

Résultat, au premier abord, le grillon a une saveur naturellement salée, comme la peau d’un poulet braisé, le savoureux du gras en moins. Séché, c’est forcément croustillant, mais un peu sec aussi. On dit souvent que ça a un goût de noix, mais c’est plutôt de céréales, dont il s’agit. Pour Maïté, la cofondatrice de Little Food, les possibilités culinaires sont sans fin : « Préparé à l’asiatique, ça a une saveur de crustacés. Avec un filet de jus de citron et une crème épaisse, ça ressemble carrément à des champignons. Mais c’est toujours assez léger et subtil ». Pour le plat principal, le grillon a donc cette fois joué les caméléons, en s’associant à des saveurs et des parfums semblables : des filets de poulet marinés au beurre de cacahuète et cuit au four façon dinde de Noël, une sauce saté de grillons et des légumes qui rappellent ce goût brut que peut avoir l’insecte. On ne va pas se mentir, ça descend tout seul.

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La touche sucrée : Crumble de farine de grillons aux pommes, amandes effilées.

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Mais si on veut l’honnêteté la plus totale, il faut l’avouer : les insectes sont difficiles à intégrer, sinon anecdotiquement, à un menu occidental complet - qui plus est festif comme celui d’un réveillon. Tout dans l’ingrédient élevé en Europe, de son aspect peu ragoutant à son goût un peu rustre, le ramène à sa condition : un produit bâtard, plus idéologique que vraiment gourmand. Et laissez tout de suite tomber, les apprentis Thierry Marx : il ne suffira pas de le recouvrir d’une feuille d’or, comme dans l’inutile émission de Netflix « The Final Table », pour lui faire retrouver ses antiques lettres de noblesse. Qui plus est, un repas de cuisine française classique comme on en trouve sur les tables des fêtes est par essence frileux à la nouveauté : essayez d’introduire le pâté en croûte et aux insectes ou un bœuf bourguignon épaissi à la farine de grillons, et vous verrez tout de suite se lever les panards des défenseurs du bien-manger, prêts à botter vos arrière-trains d’hérétiques.

Le grillon n’est tout simplement pas adapté à cette vision d’une cuisine d’abondance, qui a figé il y a des années le bizarre dans une gelée un brin prétentieuse, mais goûtue. Sauf que les temps changent, et que s’il y a bien une personne qui aura toujours plus raison que n’importe quel chef français, c’est ma mère. Celle-là même qui a fait aimer la langue de bœuf à une gamine sauvage de dix ans. Et vous savez quelle parole d’or elle me répétait toujours ? « Tu goûtes avant de dire que tu n’aimes pas ».

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